De la France à l’Allemagne, en passant par l’Italie, la Hongrie, l’Autriche, le Danemark ou les Pays-Bas, les partis européens d’extrême droite prospèrent sur un discours contre les « élites » en place. Ils se posent souvent en défenseurs des travailleurs et des plus pauvres, en tous cas s’ils sont nationaux, voire blancs. Et stigmatisent les migrants. C’est avec cette rhétorique qu’ils pourraient récolter de très bons scores lors des élections européennes qui se déroulent du 23 au 26 mai à travers l’Europe (le 26 en France) : l’extrême droite italienne est créditée de 36 %, l’autrichienne de 22 %, le RN en France de plus de 20 %, l’AfD allemande de 14 %... Une alliance des extrêmes droites est en train de se préparer pour former un puissant groupe au Parlement européen.
Dans les faits, ces partis – le Rassemblement national français (ex-FN), la Ligue en Italie, le Fidesz en Hongrie, l’Ukip britannique… – sont largement soutenus, voire directement financés, par de puissants milliardaires. Ils sont aussi traversés de scandales de corruption et de détournements de fonds. Leurs élus au Parlement européen sont parmi ceux qui ont le plus de revenus annexes à leur émoluments de parlementaires, pourtant généreux. C’est ce que montre un rapport de l’organisation indépendante bruxelloise Corporate Europe Observatory (CEO) qui sort ce mercredi 15 mai.
« Ce rapport montre que loin de rejeter le “système”, ces partis politiques sont en fait très heureux de cajoler avec les riches, les puissants et les entreprises, chez eux ou à l’étranger, pour les financer et les soutenir, écrit l’ONG spécialisée dans la surveillance des lobbies. Que ce soit la cohorte de milliardaires qui sont les bailleurs de fonds de l’Ukip, les financements illégaux qui vont à l’AfD allemande, les financements venus d’un groupe haineux appuyé par un millionnaire états-unien qui vont au PVV néerlandais, les neuf millions d’euros de prêts russe du Front national, ou la relation étroite du Fidesz hongrois avec les multinationales, ces partis reçoivent des soutiens importants de nombreux riches et de puissants intérêts », souligne CEO.
Détournements de fonds et financements illégaux
Viktor Orban, par exemple, le Premier ministre hongrois (du Fidesz) au pouvoir depuis neuf ans, a comme ami personnel et soutien le cinquième homme le plus riche de Hongrie, Lőrinc Mészáros. Celui-ci a construit sa fortune grâce à de nombreux contrats publics fournis à lui et sa famille… par le gouvernement d’Orban. La famille du Premier ministre hongrois fait par ailleurs l’objet de plusieurs enquêtes de l’Office anti-fraude européen pour des possibles détournements de fonds européens.
En Autriche, des investigations de corruption et de détournements de fonds publics ont été lancées à l’encontre du parti d’extrême droite FPÖ. Ce parti adopte par ailleurs de plus en plus des positions clairement favorables aux patrons, et aux dépens des droits des travailleurs : promesses de réduction de l’impôt sur les sociétés et sur la succession (les gros héritages), coupes dans les budgets sociaux et de santé. Le gouvernement dont il fait partie est en train de faire passer une loi de dérégulation du travail, pour augmenter la durée maximale de travail à 60 heures par semaine, sans garantie de paiement des heures supplémentaires. Une loi similaire avait été passée l’an dernier en Hongrie.
De très opaques et très gros revenus pour certains députés européens d’extrême droite
Le parti d’extrême droite allemand AfD est depuis des mois sous le feu des projecteurs pour des affaires de financements illégaux venus de Suisse, semble-t-il de milliardaires allemands qui y vivent. En Pologne, un « scandale des bonus » a frappé en 2017 des ministres du parti au pouvoir, ultraconservateur, PiS. Ils avaient reçu d’énormes primes, supérieures au salaire moyen annuel polonais, juste avant un remaniement ministériel. Le scandale révélé, ils ont finalement reversé ces primes à des associations caritatives. En Italie, un secrétaire d’État, issu de la Ligue, a démissionné ce mois-ci après des accusations de corruption. Il aurait reçu des pots-de-vin d’un homme d’affaires lié à la mafia sicilienne
« En 2017, la Ligue a signé un accord de coopération avec le parti de Poutine », souligne aussi le rapport de CEO. Tout comme le FPÖ autrichien. En fait, que ce soit le Rassemblement national/Front national avec son prêt russe, l’AfD ou le Fidesz, la plupart de ces partis d’extrême droite européens ont des liens étroits avec le pouvoir russe.
Abus de biens sociaux et emplois fictifs
Ces partis sont aussi ceux dont les élus au Parlement figurent parmi les plus riches, en exerçant des activités hautement lucratives en plus de leur mandat. Comme le député français du RN Jean-Luc Schaffhauser, qui avait oublié de déclarer ses revenus supplémentaires de 140 000 euros gagnés pour avoir arrangé le prêt russe du Front national. Le député britannique xénophobe Ukip Nigel Farage est quant à lui encore plus fortuné, avec 360 000 euros de revenus gagnés l’année dernière en plus de son salaire de député.
Un élu italien de la Ligue, Angelo Ciocca, a lui déclaré travailler également comme « freelance » en plus d’être député, sans rien déclarer sur la nature de ce travail, ni des revenus qu’il lui apporte. Ce n’est pas le sujet de la campagne choisi par la Ligue, qui préfère encore et toujours s’en prendre aux migrants. En France aussi, les candidats du Rassemblement national préfèrent stigmatiser les migrants que s’attaquer à la délinquance financière : plusieurs membres de leur liste aux européennes sont mis en examen pour abus de bien sociaux ou emplois fictifs.
Rachel Knaebel
– Lire le rapport (en anglais) : « Europe’s two-faced authoritarian right : ‘anti-elite’ parties serving big business interests »