Questions-réponses

Gaz à effet de serre, élevages industriels, incidents : toutes les controverses sur la méthanisation

Questions-réponses

par Simon Gouin (Grand Format), Sophie Chapelle

Énergie totalement renouvelable pour certains, dévoreuse de terres pour d’autres, la méthanisation pose de nombreuses questions. Pour tout comprendre, voici un état des lieux des débats autour de cette technique de production d’énergie.

Comment fonctionne la méthanisation ?

Un méthaniseur est une sorte de marmite : une grande cuve, elle-même recouverte d’un dôme. La recette : des déchets végétaux – de l’herbe, du maïs, des pailles de céréales, de colza... pour le carbone – et des déchets animaux (lisiers et fumiers pour l’azote). Le tout est chauffé entre 35 et 40 degrés pendant de longues heures. Certains exploitants ajoutent des déchets issus de l’agro-alimentaire (venus des abattoirs, des laiteries...), des boues de stations d’épuration, les matières de vidange, ou encore des ordures ménagères [1].

A l’intérieur d’un méthaniseur. Des déchets végétaux et animaux sont chauffés entre 35 et 40 degrés, pendant de longues heures. Photographie de ©Patrick Bard

Dans cette marmite sans oxygène, des bactéries transforment les déchets et produisent notamment du méthane (CH4, le fameux « biogaz »). Celui-ci est récupéré par de grands tuyaux pour être transformé en électricité via un générateur, ou injecté directement dans le réseau de gaz de ville. Le biogaz peut aussi servir à produire de la chaleur, pour des habitations par exemple, ou être utilisé comme carburant. A la fin du processus, il reste des « déchets » solides et liquides, qu’on appelle « digestat ». Ces digestats, riches en azote, phosphate, potassium... sont épandus sur les terres agricoles comme engrais.

Schéma-type d’une unité de méthanisation. Cliquez sur l’image pour l’agrandir. © Ineris

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Combien d’unités de méthanisation en France ?

En mars 2018, la filière méthanisation représentait, selon le ministère de la Transition écologique et solidaire, environ 400 installations agricoles, territoriales et industrielles, dont 230 à la ferme. Depuis cette date, le nombre d’installations accélère. Selon la base de données régulièrement mise à jour par le Collectif scientifique national méthanisation raisonnée (CNSMR), il y aurait 812 unités en service et 362 en projets (voir cette carte).

Ce nombre ne cesse d’augmenter pour atteindre les objectifs fixés par la Loi relative à la transition énergétique de 2015. L’objectif : parvenir à 10 % de gaz « renouvelables » dans les consommations de gaz naturel à l’horizon 2030, ce qui impliquerait la mise en service d’environ 5784 méthaniseurs [2]. Pour atteindre les 100% de biogaz à l’horizon 2050, comme le suggère une étude de l’Ademe, 42 800 unités de « gros calibre » seraient nécessaires.

La moyenne d’intrants, végétaux (sur cette photo) et animaux est aujourd’hui de 31 400 tonnes par unité de méthanisation et par an, contre 6000 tonnes avant 2017. Photographie de ©Patrick Bard

Aujourd’hui, la taille des unités de méthanisation est très variable : de quelques milliers de tonnes de matières entrantes par an à plusieurs dizaines de milliers. La moyenne d’intrants est aujourd’hui de 31 400 tonnes par unité de méthanisation et par an, contre 6000 tonnes avant 2017. Les unités construites tendraient donc, de plus en plus, à être de grande taille.

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La méthanisation permet-elle de réduire les émissions de gaz à effet de serre ?

Le ministère de la Transition écologique et solidaire considère le gaz issu de la méthanisation comme une énergie renouvelable. 12 millions de tonnes de CO2 par an seraient évitées (3% de nos émissions) prévoit le ministère, avec 10 % de biogaz en 2030. Avec un système gazier en 2050 basé à 100 % sur du gaz renouvelable, 63 millions de tonnes de CO2 par an seraient économisées, selon l’Ademe. Une étude menée sur des fermes engagées dans la méthanisation montre une consommation énergétique globale en baisse de 10 % pour 30 d’entre elles. Six des 46 exploitations suivies sont même devenues des fermes à énergie positive, dans la mesure où elles produisent plus d’énergie qu’elles n’en consomment [3].

Les données sur les gaz à effet de serre ne font toutefois pas consensus. « L’estimation du bénéfice environnemental d’un projet est aujourd’hui impossible », estime le Collectif scientifique national méthanisation raisonnée. En cause : l’impossibilité de se procurer les méthodes de calcul et formules utilisées par le logiciel DIGES2 servant à réaliser le bilan des méthaniseurs en termes de gaz à effet de serre. Ce programme de calcul ne prend par ailleurs pas en compte les émissions dues aux épandages des digestats dans les champs. L’Ademe n’a pas donné suite à nos demandes de précisions sur le bilan carbone du cycle complet de la méthanisation.

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Y a-t-il des fuites et peuvent-elles alimenter l’effet de serre ?

Les fuites de gaz peuvent être liées à un défaut d’étanchéité ou à des fissures dans les cuves, stockages et conduits de méthanisation. « On n’a aucun chiffre en France, mais en Allemagne les fuites ont été observées régulièrement », souligne le chercheur Daniel Chateigner, membre du collectif scientifique national méthanisation raisonnée (CSNMR). « C’est logique, tout procédé industriel comporte des fuites à plus ou moins long terme. Surtout en milieu anaérobie [sans oxygène, ndlr], comme la méthanisation au sein desquels du sulfure d’hydrogène, très corrosif même sur les structures inoxydables, est présent. Les gaz émis sont des gaz à effet de serre que l’Ademe ne prend pas en compte dans ses calculs environnementaux. »

Photographie de ©Patrick Bard

Du méthane peut notamment s’échapper, en particulier lorsque les cuves de stockage de digestat sont laissées à l’air libre. Or, le méthane est un gaz dont l’effet de serre est 25 fois supérieur à celui du gaz carbonique. « Seulement 4 % de fuite de méthane suffisent pour que la méthanisation ait un impact sur l’effet de serre plus fort que l’utilisation des carburants fossiles », souligne le CSNMR. « Les cuves de méthanisation doivent donc être parfaitement étanches car la moindre fuite de méthane grève lourdement le bilan gaz à effet de serre de l’opération », précise à ce sujet l’association Solagro, spécialisée dans les transitions écologiques.

Cette dernière alerte également sur le risque de volatilisation de l’azote lors de l’épandage, sous la forme de protoxyde d’azote. Le pouvoir de réchauffement global du protoxyde d’azote (N2O) est de 310 fois celui du gaz carbonique : c’est le second gaz à effet de serre émis par l’agriculture. Solagro préconise des solutions techniques pour réduire ce risque.

Test de capteur de méthane. Des détecteurs doivent normalement être positionnés à proximité des équipements présentant les plus fortes probabilités de fuite © Ineris

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La méthanisation enrichit-elle ou appauvrit-elle les sols ?

Avec la méthanisation, le digestat solide épandu sur les champs nourrirait le sol, et le digestat liquide jouerait le rôle d’engrais pour les cultures [4]. Mais selon le Collectif scientifique national méthanisation raisonnée (CSNMR), le digestat épandu entrainerait une perte de carbone progressive du sol. L’Ademe prévoit de mettre un couvert végétal intermédiaire entre deux cultures alimentaires – on parle de CIVE, Cultures intermédiaires à vocation énergétique –, que l’on garde pour le méthaniseur.

Avant, ces cultures intermédiaires retournaient au sol et l’alimentaient. « Avec la méthanisation à marche forcée, au lieu de laisser le sol se reposer, on le fait travailler en permanence sans qu’il ait le temps de se reconstituer entièrement, il s’appauvrit », estime Daniel Chateigner du CNSMR. Cette baisse de fertilité des sols pourrait nécessiter à terme l’utilisation de plus d’engrais [5].

Cette position n’est pas partagée par Solagro. « On observe dans de nombreux cas que la méthanisation joue un rôle bénéfique tant sur les propriétés physiques que les propriétés biologiques des sols », souligne l’association qui évoque une augmentation de l’activité microbienne et racinaire, et une plus grande abondance de lombrics. D’après ses études, l’épandage de digestat solide, à la place d’un compost [6], n’aurait pas d’impact négatif sur le stockage du carbone dans les sols. Solagro admet avoir observé quelques cas contraires mais selon cette association, l’évolution de la matière organique du sol est dépendante essentiellement des modifications de pratiques culturales (labour par exemple), et très peu liée au fait que les matières épandues soient digérées ou non.

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Quel risque de spéculation et d’accaparement du foncier avec le biogaz ?

En Allemagne, la politique de soutien à la méthanisation a engendré un développement fulgurant des surfaces de maïs pour nourrir les méthaniseurs, et une hausse du prix du foncier devenu inaccessible pour les petites fermes (lire notre article). En France, certains agriculteurs s’inquiètent de dérives similaires. La Confédération paysanne de l’Orne a par exemple mené une action fin 2018 contre une unité de méthanisation dont les exploitants ont acquis 100 hectares de terres cultivées dans le but d’alimenter cette unité. Ils constatent également un prix des ressources fourragères bien au-dessus des prix pratiqués avant l’arrivée des méthaniseurs - 80 euros, contre 40 euros la tonne de paille à presser.

Le 20 décembre 2018, des militants de la Confédération paysanne de l’Orne et de la Sarthe posent sur un tas de maïs en décomposition qui attend d’être méthanisé. Ils dénoncent les dérives d’un projet de méthaniseur porté par deux agri-managers du Nord de la France.

Solagro considère pour sa part que la réglementation française a répondu à ces risques en fixant la limite de 15 % maximum de cultures alimentaires dans le plan d’approvisionnement des méthaniseurs. Ce garde-fou peut toutefois être contourné comme nous l’expliquons dans ce reportage. Les calculs réalisés par le Collectif scientifique national méthanisation raisonnée sont également inquiétants. Atteindre l’objectif de 10 % de méthanisation de gaz impliquerait de consacrer plus de 18 000 km2 - soit la superficie de trois départements français - à des cultures servant uniquement à alimenter les méthaniseurs (lire notre enquête). D’après ce collectif, des méthaniseurs se retrouvent déjà aujourd’hui en compétition pour l’approvisionnement en intrants.

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La méthanisation contribue t-elle à l’industrialisation des élevages ?

Selon Solagro, la méthanisation peut fonctionner sur tous types d’élevage, qu’ils soient industriels ou non, comme ils peuvent aussi concerner des exploitations en grandes cultures sans élevage. Nos reportages témoignent en effet d’une diversité d’expériences (voir ici et ). Dans leur grande majorité, précise Solagro, les installations en fonctionnement en France dépassent une puissance de 100 kW électrique. Pour pouvoir alimenter ce type d’installations, il faut disposer de fumier produit par 300 vaches.

Un agriculteur qui se lance dans un tel projet doit donc posséder un troupeau « important », ou chercher des sous-produits dont il sera alors dépendant, auprès d’usines agroalimentaires notamment. En ce sens, les projets individuels de méthanisation auraient tendance à davantage relever de « gros » élevages. Notre enquête révèle d’ailleurs un afflux de demandes pour des méthaniseurs adossés à des élevages industriels.

Photographie de ©Patrick Bard

Une autre approche consiste à bâtir des projets collectifs, qui permettent alors à tout agriculteur d’avoir accès à une unité de méthanisation, et bénéficier ainsi d’un complément de revenu.

La méthanisation peut toutefois être contradictoire avec l’agriculture paysanne soucieuse d’élevage en plein air. En effet, optimiser une unité de méthanisation implique de laisser les animaux en stabulation le plus longtemps possible, hors des prés, afin de récupérer leurs effluents pour nourrir quotidiennement le méthaniseur. « Le choix du curseur entre le "tout pâture" et le "tout bâtiment" est un choix de système qui s’effectue bien en amont de celui de la méthanisation », considère de son côté Solagro.

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Y a-t-il des risques d’incident dans les unités de méthanisation ?

La réglementation stipule que les digesteurs doivent être implantés à plus de cinquante mètres des habitations occupées par des tiers afin de minimiser l’impact en cas d’accident. Les usines de méthanisation ne sont pas classées Seveso mais plusieurs « phénomènes dangereux » restent néanmoins associés au biogaz. Un document du ministère de l’Agriculture et de l’Ineris liste les nombreuses exigences de sécurité à adopter dans les installations de méthanisation agricole. En 2019, le collectif scientifique national méthanisation raisonnée (CSNMR) a relevé 21 incidents sur des méthaniseurs, dont 18 sur des méthaniseurs d’agriculteurs. Les incidents sont de plusieurs ordres : pollutions olfactives, déchirement de bâches au-dessus des dômes des digesteurs contenant le gaz, incendie, explosion…

Certains faits sont également troublants comme la mort de 23 veaux en contrebas d’une unité de méthanisation entre août 2017 et janvier 2018. Les résultats des analyses d’eau menées par l’agriculteur ont révélé des taux de coliformes, c’est-à-dire de bactéries liées à des matières fécales, anormalement élevés et la présence de métaux lourds dans l’eau.

Photographie de ©Patrick Bard

Concernant le risque sanitaire, l’Ademe reconnait que des germes peuvent résister à la méthanisation et se retrouver dans le digestat. Solagro estime pour sa part qu’un digestat contient de l’ordre de 100 fois moins de pathogènes qu’un fumier. Le CSNMR pointe également le risque d’émissions de gaz irritants et dangereux pour la santé comme l’ammoniac ou l’hydrogène sulfuré, en cas de fuite par exemple, et demandent des contrôles indépendants fréquents. « Le rythme de l’incidentologie croît plus vite que celui des installations, preuve d’un manque de considérations des dangerosités de ces usines », estime le collectif scientifique.

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Comment les unités de méthanisation sont-elles contrôlées ?

Toutes les installations de méthanisation, aussi petites soient-elles, sont soumises à la réglementation ICPE (« Installation classée pour la protection de l’environnement »). En dessous de 30 tonnes de matières entrantes par jour, il n’y a pas d’étude d’impact et l’unité relève d’un simple régime de déclaration. Entre 30 et 100 tonnes de matières entrantes par jour, l’unité relève d’un régime d’enregistrement : elle est soumise à une contribution envoyée à l’inspection des installations classées, puis à l’avis du conseil municipal et à une consultation publique. Au-dessus de 100 tonnes de matières entrantes par jour, l’unité entre dans le régime d’autorisation qui implique une enquête publique et administrative, ainsi qu’une autorisation préfectorale.

Une fois le méthaniseur mis en service, il revient à celui qui l’exploite de réaliser des « auto-contrôles ». « C’est tout le problème des limites », note Jean-Marc Thomas, paysan en Bretagne. « Prenons un projet à 29 tonnes par jour. A 30 tonnes, il bascule du régime de déclaration au régime d’enregistrement. Comment avoir la garantie que demain n’entreront pas 31 tonnes par jour ? » La même réserve concerne le ratio de 15 % de cultures alimentaires dédiées.

Photographie de ©Patrick Bard

« C’est bien l’administration qui s’assure du non-contournement du seuil pendant la période d’exploitation des installations », précise à ce sujet l’Ademe. « Cette vérification peut s’effectuer soit au niveau du respect des plans d’approvisionnement, soit à la faveur de demande d’augmentation de la production d’énergie. » Des contrôles menés par des organismes agréés par le ministre de la Transition écologique et solidaire sont prévus tous les cinq ans.

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Sophie Chapelle et Simon Gouin

Photos en noir et blanc : © Patrick Bard

Notes

[1Selon le cabinet de conseil Solagro, spécialisé dans les transitions énergétique, agroécologique et alimentaire, on peut rencontrer des unités individuelles à la ferme qui traitent majoritairement des sous-produits de l’agro-alimentaire et des unités territoriales qui reçoivent essentiellement des matières agricoles. Certaines installations ne traitent que des déchets agro-alimentaires.

[2Selon les calculs du CNSMR qui se base sur une moyenne de production d’énergie équivalente électrique de 7,4 GWh par méthaniseur.

[3Voir à ce sujet l’étude MéthaLAE coordonnée par Solagro.

[4Solagro précise à ce sujet : « Le digestat solide contient la matière organique, l’azote organique, le phosphore et le potassium non solubles et biodisponibles sur le long terme car ils se minéralisent lentement. Il joue le rôle d’amendement : nourrir le sol. Le digestat liquide contient peu de phosphore, la majorité du potassium, et surtout de l’azote sous forme ammoniacale. Comme il est moins riche en matières sèches, il s’infiltre plus facilement dans le sol et joue le rôle d’engrais (nourrir les plantes avec les nutriments immédiatement assimilables) ».

[5Télécharger la fiche sur le cycle du carbone réalisée par le CSNMR

[6Sans méthanisation, les agriculteurs mettent généralement leur fumier en tas. Le fumier se transforme en compost et est ensuite épandu dans les champs.