Santé publique

Des communes tentent d’interdire localement des pesticides, malgré l’opposition de l’Etat

Santé publique

par Sophie Chapelle

38 euros d’amende pour celui ou celle qui utilise du glyphosate, qu’il soit jardinier amateur ou agriculteur. C’est l’objet de l’arrêté municipal pris le 14 juin par le maire de Boussières, une commune d’un millier d’habitants dans le Doubs. « L’utilisation de tout produit contenant du glyphosate » y est proscrit sur l’ensemble du territoire communal. Depuis le 1er janvier 2019, la loi interdit l’utilisation des pesticides de synthèse, dont le glyphosate, aux utilisateurs non professionnels. Le maire a décidé d’aller plus loin en étendant l’interdiction du glyphosate à tous les usagers. « L’État n’a pas le courage de prendre ses responsabilités, explique Bertrand Astric, le maire de Boussières. J’estime, moi, que j’ai la responsabilité de prendre des mesures pour veiller à la bonne santé de mes administrés. » [1]

Télécharger l’intégralité de l’arrêté en cliquant sur l’image ci-dessus.

« Faire cesser les pollutions de nature à mettre en danger la santé humaine »

De l’autre côté de la France, une autre commune a décidé de monter au front contre les pesticides de synthèse. La « commune écologique bretonne » de Langouët, en Ille-et-Vilaine, a pris le 18 mai un arrêté interdisant l’utilisation de pesticides à moins de 150 mètres des habitations ou locaux professionnels. Dans les faits, en raison de la dispersion des habitations de cette commune rurale de 600 habitants, l’interdiction s’étendra à presque tout le territoire. L’arrêté précise que « le maire a le devoir et la responsabilité de prendre au titre de son pouvoir de police toutes mesures de nature à prévenir et à faire cesser toutes pollutions sur le territoire de sa commune, et particulièrement celles de nature à mettre en danger la santé humaine ».

À la genèse de la décision, une opération menée dans la commune par les « pisseurs volontaires » qui, rappelle Politis, a révélé des taux de contamination au glyphosate 16 à 17 fois supérieurs à la norme. Parce que ses concitoyens pourraient être tentés d’intervenir eux-mêmes pour faire cesser cet empoisonnement, Daniel Cueff estime de son devoir d’agir. « L’absence de prise immédiate de mesures de précaution par I’autorité municipale serait de nature à entraîner des troubles à I’ordre public », est-il précisé dans l’arrêté.

– Notre reportage : Des centaines de « pisseurs volontaires » partent en campagne contre l’empoisonnement au glyphosate

Des arrêtés systématiquement retoqués par les tribunaux administratifs

Reste que ces arrêtés sont, pour l’heure, jugés illégaux par les préfectures, représentantes de l’État. « L’utilisation des produits phytopharmaceutiques relève d’un pouvoir de police spéciale confié au ministre chargé de l’Agriculture », explique la préfète d’Ille-et-Vilaine. Qui rappelle que seul le ministre de l’Agriculture est habilité à prendre toute mesure d’interdiction, de restriction ou de prescription particulière concernant la mise sur le marché, la délivrance, l’utilisation et la détention de ce type de produits. Le maire de Langouët a donc été sommé de retirer son arrêté d’ici deux mois, sous peine de poursuites devant le tribunal administratif.

Plusieurs communes comme Château-Thierry (Aisne) qui demandait l’interdiction des épandages aériens à 200 mètres des habitations, ou Ruelle-sur-Touvre (Charente) qui souhaitait l’interdiction de toute pulvérisation de produits chimiques à moins de 50 mètres des habitations, ont pris des arrêtés similaires. Tous ont été retoqués par le tribunal administratif.

Neuf Français sur dix pour une interdiction totale des pesticides d’ici 2024

Alors que la préfecture du Doubs risque de prendre la même décision à l’encontre de la mairie de Boussières, l’élu local ne désarme pas. « Si la préfecture devait nous retoquer, je veux qu’elle argumente, souligne Bertrand Astric auprès du journal L’Est Républicain. Pourquoi interdire le glyphosate aux collectivités locales et aux particuliers si ce produit n’est pas dangereux ? S’il n’est pas nocif, que l’État le démontre, et s’il n’est pas capable de le démontrer, s’il y a le moindre doute, c’est le principe de précaution qui s’applique ».

Localement, de plus en plus de municipalités se prononcent pour l’interdiction au plus vite des pesticides de synthèse. Le mouvement des coquelicots, qui a lancé un appel en septembre 2018 demandant l’interdiction de tous les pesticides en France, a établi une recension des collectivités engagées. C’est le cas de Villeurbanne, une ville de 150 000 habitants dans le Rhône, qui a adopté le 21 mars dernier, une délibération aux termes sans ambiguïté, ou bien encore de Brest (139 000 habitants). Friand des sondages, le gouvernement devrait être interpellé par celui réalisé par l’Ifop et commandé par l’association Agir pour l’environnement. 89% des Français sont pour une interdiction totale des pesticides d’ici à cinq ans.

Sophie Chapelle

Dessin : Cécile Guillard.

 Deux pétitions en soutien à Daniel Cueff ont été lancées, ici et ici.