« Alors que la convention citoyenne pour le climat place l’enseignement agricole au centre de la transition écologique, le ministère de l’Agriculture nous méprise toujours un peu plus. » Dominique Blivet, porte-parole du syndicat de Sud rural territoires, vient d’apprendre, au détour d’une réunion au ministère, que les heures d’enseignement individualisé ne seront plus rémunérées en intégralité, mais seulement à moitié de leur valeur initiale dès la rentrée prochaine. Cela concerne plus de 2000 professeurs dans les lycées agricoles, qui, en plus de leurs cours, accompagnent une à deux heures par semaine les élèves en difficulté [1].
« Deux heures seront payées une heure », résume Dominique Blivet, joint par Basta!, qui qualifie cette décision de « coup de poignard dans le dos ». Un mois plus tôt, le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume se félicitait du faible nombre de décrocheurs dans l’enseignement agricole durant la période de confinement [2]. Interpellée par les syndicats, la direction générale de l’enseignement et de la recherche aurait fait savoir que cet accompagnement ne nécessitait ni préparation, ni cours, ni correction. « Juste du suivi dans le meilleur des cas, voire de la garderie en quelque sorte », s’agacent les syndicats. « En sous payant l’aide personnalisée, le ministère économise l’équivalent de vingt équivalent temps plein pour la rentrée », précise Dominique Blivet.
Suppression de postes, dégradation des conditions d’apprentissage
D’autres annonces des services du ministère de l’Agriculture font craindre aux agents de la communauté éducative « une rentrée en mode dégradé, à un niveau jamais atteint ». Les enseignants avaient la possibilité de dédoubler les classes en faisant deux heures de cours au lieu d’une - une heure avec un groupe, une avec l’autre. « Ça vaut en particulier pour les travaux pratiques dans les disciplines techniques où il faut regarder les manipulations des élèves, surveiller en permanence, aller expliquer quand le geste n’est pas le bon... Enseigner devant un groupe de 12 ou de 24 élèves, ce n’est pas la même chose », explique Jean Marie Le Boiteux, du Snetap FSU [3]. Ce dédoublement est essentiel par exemple pour assurer la sécurité des élèves sur des chantiers forestiers.
Le seuil de dédoublement des classes avait déjà été relevé par le ministère, passant de 24 à 32 élèves. Ces dédoublements ne seront désormais plus assurés à défaut de financement. « Dans mon lycée à Angers, qui compte 540 élèves, on perd deux postes et demi avec la fin des dédoublements », illustre Dominique Blivet. Le ministère de l’Agriculture prévoit, sur la période 2019-2022, la suppression de 300 équivalent temps plein dans l’enseignement agricole (15 000 professeurs exercent dans les lycées agricoles). Les remontées de terrain des syndicats confirment la multiplication des suppressions de postes d’enseignants contractuels.
Comment enseigner l’agroécologie dans ces conditions ?
Un préavis de grève national a été déposé par l’intersyndicale (Snetap-FSU, CGT-Agri, Sud-Rural Territoires) ce 30 juin, jour du rattrapage du bac technologique agricole, afin de « permettre à tous les personnels (...) d’exprimer leur mécontentement à propos des conditions dans lesquelles se prépare la rentrée de septembre » [4]. Des rassemblements et des actions sont prévus devant les centres d’examens. La Commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat recommandait elle-même, le 3 juin dernier, de « réviser le schéma prévisionnel d’emploi (...) pour mettre fin à la baisse du nombre d’équivalent temps plein, afin de permettre un accompagnement des élèves en petits groupes » [5].
Cette fragilisation de l’enseignement agricole intervient au moment même où le modèle dominant de culture et d’élevage doit être réformé. « La transition agroécologique ne saurait s’opérer avec des établissements publics et des agents fragilisés, insécurisés, précarisés, dans leur fonctionnement au quotidien », souligne également l’intersyndicale. Elle souhaite que les apprentissages de tous les élèves soient confortés sur la durée, « quoi qu’il en coûte ». La Convention citoyenne pour le climat préconise, parmi ses 149 propositions, d’atteindre 50 % des exploitations en agroécologie en 2040, et de réformer l’enseignement agricole en intégrant au tronc commun obligatoire sur l’agroécologie. Alors que les établissements bataillent pour conserver leurs budgets et personnels, le gouvernement persistera t-il dans cette stratégie de courte vue ? Plus de 115 000 élèves et apprenti.es s’y forment à l’aménagement des espaces ruraux, à la protection de l’environnement ou à la production agricole.
Sophie Chapelle
Photo de une : action dans le Maine et Loire à l’occasion des épreuves de rattrapage du bac technologique agricole, le 30 juin 2020 / © Snetap FSU