La Cour suprême indienne a suspendu le 11 janvier l’application des réformes agricoles à l’origine de la colère de millions d’agriculteurs. Alors que les principaux accès à New Delhi sont bloqués depuis le 26 novembre par des manifestations paysannes, le président de la Cour suprême, Sharad Arvind Bobde, a déclaré « suspendre l’application des trois lois agricoles jusqu’à nouvel ordre ». Cette réforme agricole avait été adoptée au Parlement en septembre 2020 et était aussitôt entrée en vigueur. Les textes concernés dérégulaient les relations entre producteurs et acheteurs, laissant notamment présager la fin prochaine des tarifs minimaux garantis par l’État.
« Cette grève de fin novembre est la plus grande grève de l’histoire du monde », souligne Jean-Joseph Boillot, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques, dans un entretien au Média. La grève générale du 26 novembre, lancée à l’appel d’une dizaine de syndicats et soutenue par toute l’opposition, aurait ainsi réuni près de 250 millions de personnes [1]. « Les revendications étaient assez radicales en comparaison des orientations actuelles du régime et couvraient aussi bien des allocations de revenu minimales de 7500 roupies par mois [moins de 100 euros], que l’extension des programmes spéciaux de garantie d’emplois, les droits à la retraite pour tous et le retrait de tous les projets de réformes en cours dont le marché du travail et l’agriculture », ajoute le chercheur.
La mobilisation du monde rural indien n’a pas faibli en décembre contre trois lois qui remettent en cause les prix minimum garantis aux agriculteurs, qui couvrait auparavant au moins 50 % des coûts de revient, au profit d’une libéralisation des relations entre producteurs et acheteurs. Pour « sortir le pays de l’impasse », la Cour de Delhi a donc suspendu ces réformes et annoncé la formation d’un comité d’experts. Ce comité est pour le moment rejeté par les syndicats d’agriculteurs du fait de sa composition : « Tous les membres du comité de surveillance sont favorables au gouvernement », estiment-ils.
Selon le politiste Pratap Bhanu Mehta, « la Cour cherche, peut-être involontairement mais de manière préjudiciable, à briser l’élan d’un mouvement social » rapporte le quotidien Indian Express. Les opposants font savoir qu’« ils ne mettront fin au mouvement que lorsque la réforme sera purement et simplement annulée ». Ils ont décidé de maintenir leur manifestation le 26 janvier, le jour du traditionnel défilé militaire célébrant l’anniversaire de la Constitution, et appellent à en faire la journée de la révolution des paysans.
Sophie Chapelle