Le groupe d’extrême droite du Parlement européen a de nouveau distribué des centaines de milliers d’euros d’argent des contribuables européens à des entreprises ayant des liens étroits avec le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen en 2023, selon de nouveaux chiffres, ce qui soulève des soupçons de favoritisme.
Ces contractants ont reçu des centaines de milliers d’euros de la part du groupe d’extrême droite Identité et Démocratie (ID) [dont les élus RN au Parlement européens sont membres], selon les chiffres publiés en début de semaine, et ce malgré les règles parlementaires qui disposent que les groupes politiques ne sont pas autorisés à utiliser les fonds du Parlement européen pour soutenir les partis politiques nationaux. Le Parlement européen donne aux groupes politiques de l’argent pour les campagnes, les voyages et les fournitures de bureau, entre autres.
Ces dernières années, le groupe ID a fait l’objet d’une attention grandissante, car il est soupçonné de favoriser des personnes liées à des partis nationaux par le biais de procédures d’appel d’offres douteuses.
Le Parlement européen a distribué quelque 66 millions d’euros à des groupes politiques en 2023.
Le groupe ID n’a pas répondu aux demandes de commentaires sur le dossier.
L’entreprise d’un ancien des jeunes RN a touché 1,6 million
La société de conseil en communication E-Politic a reçu la plus grosse somme du groupe ID au fil des années : 1,6 million d’euros. En 2023, elle a reçu quelque 400 000 euros. La société appartient à l’ancien vice-président des jeunesses du RN, Paul-Alexandre Martin, et a aidé à organiser les campagnes électorales de Marine Le Pen pendant des années, a rapporté le magazine belge Knack l’année dernière.
Nick Aiossa, directeur de l’ONG Transparency International pour l’Europe, se dit préoccupé par le fait que les groupes politiques ne sont pas suffisamment surveillés lorsqu’ils distribuent ces fonds parlementaires. Le Parlement européen n’a pas le pouvoir d’enquêter sur ces questions.
« Le manque de contrôle financier indépendant sur les groupes politiques qui utilisent des sommes considérables de l’argent des contribuables est préoccupant, déclare-t-il. Il y a eu des contrats douteux dans le passé qui n’ont semble-t-il pas fait l’objet d’une enquête. »
Un porte-parole du Parlement européen déclare que les groupes politiques eux-mêmes sont responsables de veiller à ce que les crédits soient utilisés conformément aux règles du Parlement. Les groupes doivent prendre des mesures pour empêcher toute dépense qui n’est pas conforme à ces règles, dit le porte-parole. « En ce qui concerne les mécanismes de contrôle, les groupes politiques sont soumis à un audit externe annuel », affirme-t-il.
Un ancien membre du GUD et sa femme
Une autre société controversée, Unanime, a reçu près de 1,5 million d’euros au total du groupe ID pour couvrir les frais d’« impression » au fil des ans, selon le document ; rien qu’en 2023, elle a reçu plus de 750 000 euros.
Sighild Blanc, condamnée pour escroquerie, a dirigé cette organisation jusqu’à l’année dernière. Elle est l’épouse de Frédéric Chatillon, ancien membre du Groupe union défense (GUD), mouvement d’extrême droite et de jeunesse violente. Frédéric Chatillon détient actuellement 99% des actions de la société. Lui aussi entretient des liens étroits avec le RN de Marine Le Pen.
Marine Le Pen elle-même est actuellement poursuivie pour des soupçons de détournement des fonds européens. Marine Le Pen, qui a démissionné de son poste d’eurodéputée en 2017, nie les accusations.
Selon les règles du Parlement européen, les groupes de partis doivent faire circuler un appel d’offres officiel à au moins cinq prestataires de services potentiels pour les contrats de plus de 60 000 euros. Les groupes politiques peuvent décider eux-mêmes qui contacter, mais au moins trois prestataires doivent répondre par une proposition. Les groupes de partis sont alors obligés de choisir l’option la moins chère.
« En réalité, il est impossible de savoir si les groupes politiques respectent réellement ces règles, puisque le Parlement européen n’a pas accès aux contrats », déclare Nick Aiossa. Même si les contrats sont légitimes, le Parlement n’a aucun moyen de le savoir, explique-t-il. « Le Parlement européen a délégué la responsabilité financière aux groupes politiques, mais il doit la reprendre. »
Jesse Pinster a contribué à cet article.
Alistair Keepe, journaliste pour Follow the Money (Lire l’enquête originale)
Traduction : Emma Bougerol
Photo de une : Marine Le Pen au Parlement européen CC BY-NC-ND 2.0 European Parliament via Flickr