Handicap : la galère des parents d’élèves pour avoir une aide à l’école

par Maïa Courtois, Valentina Camu

Pour les parents d’élèves en situation de handicap, le combat pour le droit à l’école ne s’arrête jamais. Ils et elles doivent se battre pour obtenir une aide humaine en classe et pour la renouveler chaque année.

Quelques mois avant sa première rentrée à l’école maternelle, Gabin, trois ans, a été diagnostiqué autiste asperger. Ses parents ont immédiatement déposé une demande d’accompagnatrice d’élève en situation de handicap (AESH). « Mais comme il y avait un manque de moyens, les enfants rentrant en primaire étaient prioritaires... Je ne pouvais pas entendre que, sous prétexte d’un manque de moyens, ce droit soit refusé à mon enfant, se souvient Emmanuelle, sa mère, habitant le Grand Est. Ça a été le début de notre combat. »

Dans chaque école, une institutrice est référente des élèves dits « à besoins éducatifs particuliers ». C’est elle qui fait le lien entre la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et les parents. Cette référente, « je crois que je l’ai appelée tous les jours, confie Emmanuelle. J’ai menacé d’aller camper devant leur bureau s’il le fallait. Cette bataille a duré quelques mois. »

Un élève et l'AESH debout rit à l'entrée de la classe.
Roumana Nguyen, accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH), dans une classe “unité localisée pour l’inclusion scolaire” au collège Chantereine de Sarcelles.
©Valentina Camu

Elle a finalement été gagnée : Gabin a pu être accompagné à sa rentrée en maternelle. Mais tous les parents n’obtiennent pas gain de cause comme Emmanuelle et son mari. La presse locale, depuis des années, se fait l’écho du manque de personnel dans certains territoires entravant la scolarisation d’un grand nombre d’enfants en situation de handicap.

Des parents en collectifs

Encore aujourd’hui, trouver une AESH, « c’est la plus grande de nos préoccupations, expose Lydia Puesch, du collectif Collectif de parents et professionnels pour une réelle inclusion des enfants en situation de handicap (CPRIEH), fondé dans les Pyrénées-Atlantiques. Au moment où je vous parle, j’ai deux messages sur mon téléphone à ce sujet. Les gens viennent chercher auprès de nous un soutien et des conseils pour obtenir une aide humaine pour leurs enfants. »

Le Collectif des parents d’élèves en faveur des AESH, basé à Lyon, a même mis à disposition des parents un « kit de mise en demeure, comprenant un courrier type à l’inspecteur d’académie », présente Émilie, membre de ce collectif. Elle-même avait bataillé à la rentrée en maternelle de sa fille Chloé, en 2016. « La première aide humaine est arrivée seulement en classe de grande section », précise-t-elle. Ce collectif de parents, c’est une manière d’accentuer le rapport de forces : « Seule, on ne peut pas grand-chose, mais à plusieurs, on est un petit peu plus entendus par nos élus », résume la parente d’élève.

Un élève dessine sur une feuille
©Valentina Camu

Un recours peut fonctionner si l’enfant a reçu de la MDPH (la structure qui examine le demandes d’aides en matière de handicap) une notification d’accompagnement individualisé par une AESH sur un nombre d’heures fixe. Le recours sert alors à faire respecter la notification de la MDPH. Mais aucune démarche n’est possible si l’enfant a reçu de la MDPH une notification d’aide mutualisée.Dans ce cas-là, le document reçu ouvre droit à une aide humaine mais sans fixer de volume horaire précis. L’AESH d’une école répartit son temps entre différents enfants : chacun d’eux bénéficie donc d’un petit nombre d’heures dépendant de cette organisation pratique.

Des heures d’aide en moins

La mutualisation de l’aide, présentée comme une solution à la pénurie d’AESH, est une tendance grandissante. La proportion est passé de 39% d’aide mutualisée en 2017 à 64% en 2023, selon un document de la Direction générale de l’enseignement scolaire que nous avons pu consulter. La tendance s’est accélérée avec la mise en place des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial) en 2019. Décriés par les syndicats, les Pial répartissent les AESH dans un secteur donné.

Les parents interrogés en sont eux aussi critiques. Chloé, la fille d’Émilie, avait une aide individualisée de 14 heures par semaine en grande section et en CP. En CE1, elle a basculé sur une aide mutualisée. Ce qui a fait chuté son aide à six heures par semaine. « Il y a eu deux mois compliqué. Chloé réclamait de l’aide qu’elle n’avait pas, donc on a vu une petite rechute dans les apprentissages, dans sa concentration », se rappelle Émilie.

Une élève debout à la fenêtre
©Valentina Camu

Puis, toujours avec une aide mutualisée, le nombre d’heures accompagnées a continué de baisser pour Chloé : trois heures par semaine en CE2, deux heures en CM1. « On a vraiment vu la différence avec la mise en place des Pials. Avant, même un enfant avec une notification mutualisée avait la garantie d’avoir six à neuf heures par semaine. Aujourd’hui, il est chanceux s’il en a trois… On est plutôt entre une à deux heures en moyenne d’aide par semaine », décrit Émilie. 


« La baisse de l’aide humaine, en tant que parent, c’est flippant », témoigne Émilie. Pour sa fille Chloé, c’est passé. Elle entre aujourd’hui en classe de sixième. Mais sa mère tient à préciser : « Si ma fille a réussi à se passer petit à petit de l’aide humaine des AESH, ce n’est pas juste parce qu’elle s’est adaptée en puisant dans ses propres ressources. C’est parce qu’elle a été très bien accompagnée sur ses deux premières années d’aide individualisée. Un enfant bien accompagné, selon ses besoins, pourra plus facilement, par la suite, se passer de l’aide humaine. »

Les parents interrogés mettent aussi en avant l’importance de pouvoir garder une seule et même AESH au fil des années. Simon, aujourd’hui en bac pro commerce, a été accompagné du CM2 à la quatrième par la même AESH, Virginie Schmitt. Les apports ont été durables, selon sa mère Clémence. « Tout au long du collège, Virginie a été inventive en discutant avec l’équipe éducative. Alors que Simon était en milieu ordinaire, elle lui a organisé des immersions en Segpa– de l’inclusion à l’envers ! » raconte la mère.

Lien continu avec l’AESH

Simon s’est initié à la cuisine dans la branche Segpa correspondante. Puis, il a testé la section commerce. Une révélation. « Il a fait des stages dans ce domaine dès la quatrième, notamment au supermarché de la ville d’à côté. Aujourd’hui, il passe son bac pro commerce et il est pressé de travailler. »

Deux élèves assis devant des ordinateurs
©Valentina Camu

Quatre ans après la fin de son accompagnement, Simon envoie toujours des nouvelles à son ancienne AESH Virginie. « Dès qu’il la croise dans la rue, c’est un bonheur pas possible, souligne Clémence. Virginie lui a appris tellement de choses. Elle lui a montré que ce n’était pas grave de se tromper, de ne pas être bon partout. Elle lui a montré qu’il n’y avait pas que l’école dans la vie. »

En théorie, les AESH ne doivent pas avoir de contact avec les parents. Mais en pratique, elles débordent souvent cette règle, par petites touches, et agissent pour les parents comme courroie de transmission. « L’AESH, c’est le lien entre les parents et les enseignants. C’est elle qui nous permet de garder la communication, de savoir comment est notre fils à l’école et quelles sont ses difficultés réelles », estime Emmanuelle, la mère de Gabin.

Un couloir bleu et jaune, trois élèves au fond.
©Valentina Camu

Emmanuelle ne le sait que trop bien. En CE1, alors que son fils évolue à l’école privée, l’AESH qui l’accompagne lui glisse, un midi, à la sortie : « je voudrais vous alerter car la maitresse a des mauvais comportements avec votre fils ». Gabin devait travailler par terre dans la cour, ou courir dehors seul, lorsqu’il ne voulait pas faire un travail. « J’ai alerté la directrice, qui m’a dit qu’elle ne croyait pas ce que me disait cette AESH et que celle-ci n’aurait pas dû me parler comme ça, sur un trottoir. L’AESH a été remerciée. »

Violences

Dans les mois qui suivent, l’enfant a des troubles du comportement, mange peu, dort mal. Sa nouvelle AESH ne communique pas avec les parents, comme le veut la règle. Gabin, lui, « me disait qu’il voyait “des nuages violet” à l’école. Il en avait peur et faisait des cauchemars », se souvient Emmanuelle. Un jour, Gabin raconte avoir été plaqué au sol et maintenu par quatre adultes.

« Mes mains à moi elles se battaient pour me libérer », explique-t-il. Emmanuelle, choquée, découvre que « c’était ça tous les jours. Les adultes se mettaient sur lui pour le maintenir sur le tapis où il était censé aller se poser quand il en avait besoin. » Les parents retirent Gabin de l’école, préviennent le rectorat, déposent une plainte. Cette dernière est toujours en cours.

« Il y a des professeurs qui ne savent pas gérer les enfants différents. Et pendant ce temps, on avait l’interdiction de parler à l’AESH. Alors que ce lien est primordial », insiste Emmanuelle. Dans sa nouvelle classe, au sein de l’école publique de la commune, Gabin a retrouvé des copains. Il a rassuré Emmanuelle dès les premiers jours. « Je ne vois plus du tout les nuages violets, maman ! », a-t-il dit à sa mère.

Maïa Courtois

Photos : Dans une classe “unité localisée pour l’inclusion scolaire” au collège Chantereine de Sarcelles/©Valentina Camu.