Immigration : ces fausses informations véhiculées par l’extrême droite

par Emma Bougerol, Sophie Chapelle

« Submersion migratoire », « vol du travail » des Français, « appel d’air » créé par notre système de soins... Basta! s’attaque à cette désinformation propagée par les responsables RN et qui occupe une place centrale dans nombre de médias.

Sondage après sondage, il apparaît qu’une majorité de personnes, en France, ont peur de l’immigration. Pourquoi ? Une étude d’opinion réalisée par le Musée de l’histoire de l’immigration, en partenariat avec l’Ifop, donne des éléments de réponse. Elle montre une méconnaissance de la population sur le sujet.

Or, moins on connaît la réalité de l’immigration, plus on la considère négativement. Sur mille personnes interrogées pour cette étude, une seule a su répondre correctement aux six questions posées sur le sujet. Si l’on en croit la majorité des sondées, un cinquième de la population vivant en France serait immigrée, les immigrés seraient presque tous des hommes, sans diplôme, venus d’un pays hors d’Europe. La réalité est tout autre.

Un ou une immigrée est une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France, selon la définition adoptée par le Haut Conseil à l’intégration [1]. Dans les faits, l’immigration en France ne représente qu’un peu plus de 10% des habitants du pays. La moitié des personnes immigrées sont des femmes, et 40% des personnes immigrées ont le niveau du baccalauréat ou plus.

Le Musée de l’histoire de l’immigration a constaté avec son étude que les personnes qui en savent le moins sur l’immigration sont aussi celles qui considèrent qu’il y a trop d’immigration en France. Basta! propose donc ici une démystification des idées fausses sur l’immigration.

Préjugé n°1 : Il y aurait une « submersion migratoire » en France

C’est une expression récurrente de Jordan Bardella. Mais la « submersion migratoire », synonyme d’immigration massive, est avant tout un fantasme de son camp politique. Au 1er janvier 2022, l’Insee comptait dans la France entière (métropole et Outre‐mer) près de 7 millions d’immigrés sur 67,6 millions d’habitants, soit 10,3% de la population.

La catégorie « immigrés » retenue par l’Insee inclut non seulement 4,5 millions d’étrangers mais aussi 2,5 millions de personnes ayant acquis la nationalité française [2].

Si l’on regarde le nombre total de titres de séjour accordés, il est passé de 193 000 en 2005 à 311 000 en 2022. Les 118 000 titres supplémentaires sont dus pour 51% aux étudiants internationaux, pour 27% aux travailleurs qualifiés, et dans une moindre mesure (15%) aux réfugiés reconnus ou régularisés. La migration familiale, qui fait l’objet d’une fixation obsessionnelle dans le débat public, n’est pour rien dans la hausse générale des titres : elle a baissé de 4% sur l’ensemble de la période ! Le regroupement familial n’a par ailleurs rien d’automatique, contrairement aux allégations propagées par le RN.

En 2020, la part de la population née à l’étranger comparée à la population totale du pays est de 13%. À titre de comparaison, la Suède est à près de 20%, et la Suisse à 30%. La France est donc loin d’un tsunami migratoire. Elle n’est pas la plus attractive en Europe, bien au contraire.

Préjugé n°2 : L’immigration coûterait cher à la France

L’immigration n’est qu’une goutte d’eau dans les finances de l’État français. Les dépenses liées à l’immigration représentent en effet moins de 1% du budget de l’État, selon les données partagées par Désinfox-Migrations. En 2022, les dépenses nettes de l’État s’élevaient à 445,7 milliards d’euros. Le projet de loi de finances de la même année prévoyait 1,89 milliards d’euros pour les programmes dédiés à l’immigration, l’asile et l’intégration.

Pour l’Aide médicale d’État (AME), la seule prestation sociale accessible aux personnes en situation irrégulière, le budget prévu en 2022 est de 1,07 milliards d’euros, pour 370 000 bénéficiaires. Les bénéficiaires de l’AME ne coûtent pas plus (par personne) que les autres résidents bénéficiant de l’assurance maladie.

L’impact budgétaire de l’immigration est d’autant plus faible que les personnes étrangères sur le territoire rapportent également de l’argent à l’État via les impôts, les cotisations sociales et les taxes comme la TVA. « La contribution fiscale (impôts et cotisations) des immigrées reste légèrement supérieure aux dépenses consacrées à leur protection sociale, santé et éducation », précise Désinfox-Migrations. L’organisation en conclut d’ailleurs que les programmes d’intégration sont « des investissements très utiles, largement rentables en termes budgétaires ».

Préjugé n°3 : Notre système de soins créerait un « appel d’air »

La droite du spectre politique accuse l’Aide médicale d’État d’inciter les migrantes à venir en France pour se faire soigner gratuitement. Sa suppression est donc proposée par le RN, mais cette suppression avait aussi été proposée par une première mouture de la loi immigration adoptée l’an dernier. Les personnes en situation irrégulière en France sont pourtant plus exposées aux risques sanitaires, souligne l’ONG Médecins sans frontières, car elles ont plus de risque de se retrouver sans domicile, et de rencontrer des difficultés d’accès à la santé, à l’hygiène et à une alimentation saine et régulière.

« Si les personnes ne peuvent pas se soigner, elles vont développer des maladies évitables ou des complications que les hôpitaux déjà saturés vont devoir traiter en urgence », souligne Euphrasie Kalolwa de Médecins sans frontières, ajoutant que « les prises en charges tardives sont plus complexes à traiter et plus coûteuses ». Le non-recours est fréquent dans le cas de l’AME. La moitié des personnes en situation irrégulière sur le territoire, par méconnaissance ou par peur, n’a pas recours à cette assurance maladie de bas. Pourtant, le droit de chacune à être soigné fait partie des droits fondamentaux de notre société.

Préjugé n°4 : L’insécurité et l’immigration seraient liées

Le lien qui existerait entre la présence d’étrangers sur le territoire et la délinquance est dans la bouche d’une grande partie de la droite. Des défenseurs de cette idée mettent en avant la surreprésentation des étrangers dans les crimes et délits. « En France, la proportion d’étrangers dans la population totale était, en 2019, de 7,4 %, mais s’élevait à 14 % parmi les auteurs d’affaires traitées par la justice, à 16 % dans ceux ayant fait l’objet d’une réponse pénale et à 23 % des individus en prison », citent les chercheurs Arnaud Philippe et Jérôme Valette dans The Conversation.

Malgré cela, argumentent-ils, « de nombreux facteurs, certains quasi mécaniques, peuvent expliquer cette surreprésentation sans que le statut d’immigré ne soit en lui-même lié à une probabilité plus forte de commettre une infraction ». Entre autres, le fait que certains délits ne concernent que les étrangers (comme le travail sans titre de séjour) et peuvent faire l’objet d’un ciblage particulier lors de pressions politiques. « Surtout, les immigrés sont en moyenne plus pauvres que les natifs. Or, la précarité économique reste un des principaux déterminants de la délinquance », ajoutent-ils. De plus, « à caractéristiques similaires, les personnes étrangères sont plus souvent condamnées que les Français », et pour plus longtemps.

Des recherches montrent que la presse renforce les croyances initiales sur le lien entre immigration et délinquance en reportant plus systématiquement les infractions commises par les immigrés ou en divulguant de manière plus fréquente l’origine des suspects lorsqu’ils sont immigrés. Si l’on élimine les bais précédemment évoqués, la conclusion des études en sciences sociales est sans appel : l’immigration n’est pas à l’origine d’une augmentation des taux de délinquance.

Préjugé n°5 : Les immigrés « voleraient » le travail des Françaises

En France, un emploi sur dix est occupé par une personne immigrée, européenne ou non. C’est un emploi sur cinq en Île-de-France, note la chercheuse Ekrame Boubtane. Ces travailleurs et travailleuses « sont surreprésentés dans des métiers caractérisés par des conditions de travail relativement contraignantes et/ou des métiers en tension », souligne-t-elle. Ils et elles sont également plus exposées aux contrats précaires, à durée déterminée ou à temps partiel. La situation est plus difficile pour les demandeurs d’asile, qui « ont un parcours migratoire plus difficile que les immigrés qui arrivent dans le cadre professionnel ou dans le cadre familial », à cause de leur statut précaire dans le pays.

Il semble difficile que les immigrés récemment arrivés puissent « voler » le travail des Françaises, notamment car « ils ont généralement moins de choix au départ en matière d’emplois, soit parce que leurs possibilités de travail sont limitées par leur titre de séjour, soit parce que l’accès à certains emplois requiert une reconnaissance formelle des qualifications ou une maîtrise approfondie du français », écrit Ekrame Boubtane. La littérature scientifique a du mal à établir une causalité entre l’immigration et la santé du marché du travail.

« Des données empiriques relatives aux pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, qui réunit les pays industrialisés) ont récemment montré que l’effet global de l’immigration sur les salaires moyens des nationaux est soit neutre soit légèrement positif. L’immigration n’a pas d’impact global sur l’emploi des autochtones », notent les chercheurs à Sciences Po Hélène Thiollet et Florian Oswald, relevant tout de même des différences entre les emplois peu qualifiés et hautement qualifiés.

Parfois, la main d’œuvre immigrée la plus précaire occupe des pans de l’économie où personne d’autre ne veut travailler. C’est le cas par exemple des travailleureuses de plateformes, les livreureuses pour des entreprises comme Deliveroo ou Uber Eats, payées à peine quelques euros pour des livraisons de nourriture de plusieurs kilomètres, qui sont majoritairement sans papiers.

À Paris, « près de 75% des livreurs reçus à la Maison des coursiers [lieu d’aide et de repos pour ces travailleurs ubérisés] sont sans-papiers », illustre L’Humanité. Selon le Musée de l’histoire de l’immigration, les personnes immigrées représentent près de 40% des employées de maison, ou encore 27% des ouvriers ou ouvrières non qualifiés du BTP.

Emma Bougerol et Sophie Chapelle

Photo de une : Un zodiac de l’ONG française SOS Méditerranée dépose des réfugiés naufragés sur un bâtiment des garde-côtes italiens, en 2023/©Guy Pichard. Relire notre reportage "L’Italie de Giorgia Meloni impose aux navires de sauvetage de s’éloigner des zones de naufrage des réfugiés".

Notes

[1Certains immigrés ont pu devenir Français, les autres restant étrangers. Les populations étrangère et immigrée ne se recoupent que partiellement : un immigré n’est pas nécessairement étranger et réciproquement, certains étrangers sont nés en France. La qualité d’immigré est permanente : un individu continue à appartenir à la population immigrée même s’il devient Français par acquisition. C’est le pays de naissance, et non la nationalité à la naissance, qui définit l’origine géographique d’un immigré. Voir la définition de l’Insee.

[2La « deuxième génération » renvoie aux personnes qui n’ont pas connu elles‐mêmes la migration mais sont nées en France d’au moins un parent immigré. L’Insee tient à jour une estimation de leur nombre : elles sont 7,7 millions environ, soit 11,5 % de la population totale, répartis à égalité entre les enfants de deux immigrés et les enfants de couples mixtes. Les deux générations réunies représentaient en 2021 près de 22 % de la population totale de la France, ce qui la situe en position moyenne parmi les pays occidentaux.