Inde-Pakistan : les premières victimes du conflit sont les populations

Débats

Déclenchée par une attaque terroriste, la nouvelle escalade du conflit entre l’Inde et le Pakistan autour du Cachemire s’est soldée par un fragile cessez-le-feu. Les tensions ne sont pas seulement militaires, pointent les médias indépendants.

par Emma Bougerol

, modifié Temps de lecture : ?

Bluesky Facebook Linkedin Mail Enregistrer
Lire plus tard
Portrait dessiné de la journaliste Emma Bougerol
L’édito international d’Emma Bougerol. Pour découvrir notre revue de presse « Chez les indés - International », inscrivez-vous ici.

Le 22 avril, une attaque terroriste secoue la partie sous administration indienne du Cachemire, région montagneuse à cheval entre l’Inde et le Pakistan. 26 civils sont tués. L’Inde accuse immédiatement le Pakistan voisin d’être responsable de l’attentat. Le Pakistan nie, mais l’Inde lance malgré tout une opération militaire appelée « Sindoor », explique le journal allemand Taz. Opération « devenue une promesse de vengeance » face à un pays que l’Inde accuse de soutien au terrorisme.

« Le différend entre l’Inde et le Pakistan au sujet du Cachemire remonte à 1947, après la partition de l’Inde et la formation du Pakistan. Depuis, les deux pays se sont livré trois guerres au sujet de cette région, qui reste divisée entre eux, rappelle The Guardian. Le Cachemire administré par l’Inde est l’une des zones les plus militarisées au monde, et le théâtre d’une violente insurrection qui dure depuis des décennies, qui serait soutenue et financée par le Pakistan. »

L’événement meurtrier du 22 avril « a donné lieu à des échanges directs de missiles visant des sites situés sur les deux territoires et à l’utilisation, pour la première fois, de systèmes de missiles avancés et de drones par les deux rivaux nucléaires », rappelle la chercheuse Farah Jan dans The Conversation.

Mise en danger du partage des ressources en eau

Les médias parlent de la confrontation la plus meurtrière depuis la guerre que se sont livrée l’Inde et le Pakistan en 1999. « L’Inde et le Pakistan ont déjà vu ce scénario se dérouler : un attentat terroriste au cours duquel des Indiens sont tués entraîne une succession de mesures d’escalade du conflit qui mettent l’Asie du Sud au bord d’une guerre totale. Puis il y a une désescalade », écrit la chercheuse spécialiste des rivalités nucléaires. Le samedi 10 mai, les deux pays ont en effet annoncé être parvenus à un « fragile cessez-le-feu », selon les mots de la Taz comme du Guardian.

Le magazine italien Altreconomia s’intéresse de son côté à un aspect peu couvert du conflit : la question du partage des ressources en eau. L’Inde a annoncé, juste avant les représailles militaires qui ont fait suite à l’attentat, « la suspension unilatérale du traité des eaux de l’Indus, qui régit depuis plus de soixante ans le partage des ressources en eau entre les deux pays ». Cette nouvelle est préoccupante, selon le périodique italien : « Dans un monde où les ressources en eau diminuent de plus en plus, le conflit sur [le fleuve] Indus est un signal d’alarme pour tous. »

« Cette suspension intervient à un moment où le stress hydrique s’accroît dans la région », souligne le périodique. L’Inde prévoit d’augmenter considérablement la quantité d’eau prélevée en aval du Pakistan, révèle aussi l’agence Reuters. Alors que le pays est déjà l’un des plus affectés au monde par le changement climatique.

L’accès à l’information menacé

Dans un autre domaine, le conflit affecte la possibilité même de s’informer pour les Indiens comme pour les Pakistanais : « L’Inde a bloqué de nombreux médias et influenceurs pakistanais sur des plateformes telles que X et YouTube. Les médias d’État chinois et turcs sont également touchés par les blocages. Le Pakistan a réagi avec des mesures similaires », note la Taz.

Par exemple, la Pakistan Press Foundation rapporte que « le gouvernement indien a bloqué l’accès à 16 chaînes pakistanaises sur YouTube, sur recommandation de son ministère de l’Intérieur ». En réaction, « le ministre pakistanais de l’Information et de la radiodiffusion, Attaullah Tarar, a condamné la décision de l’Inde de bloquer les chaînes pakistanaises sur YouTube. Il a contacté les responsables des médias et des journalistes concernés, les félicitant d’avoir défendu le discours pakistanais. »

Dans The Conversation, Farah Jan ajoute : « Simultanément, les médias sociaux et les nouveaux médias de droite en Inde sont devenus un front central du conflit. En Inde, des voix ultranationalistes ont incité à la violence contre les musulmans et les Cachemiris ; au Pakistan, la rhétorique anti-indienne s’est également intensifiée en ligne. »

Les deux pays ont revendiqué la « victoire » sur leur voisin. Mais les vrais gagnants, s’il devait y en avoir, seraient peut-être les armateurs chinois et occidentaux, dont les avions de combat sont utilisés respectivement par les forces militaires pakistanaises et indiennes. Et, sans aucun doute, les perdants sont les populations civiles, victimes de conflits entre États vecteurs d’insécurité et qui les exposent à une vulnérabilité accrue au changement climatique.