La situation en Kanaky-Nouvelle-Calédonie est passée sous les radars avec les législatives. Mais un homme y a été tué mercredi 10 juillet par les forces de l’ordre. C’est le dixième mort depuis le début des troubles dans l’archipel en mai. À l’origine du regain de violence : la contestation d’un projet de réforme du corps électoral pour les élections provinciales calédoniennes. Cette réforme est pour l’instant suspendue suite à la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin.
Le 19 juin, 13 personnes membres du groupe indépendantiste Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) ont été arrêtées en Nouvelle-Calédonie. Sept ont été éloignées de l’archipel et incarcérées en métropole, à plus de 16 000 kilomètres de chez elles. Les autorités reprochent à la CCAT son rôle dans les émeutes de mai et juin. La leader de la CCAT, Christina Tein, est à l’isolement au centre pénitentiaire de Mulhouse.
Le 1er juillet, cinq sénateurs et sénatrices écologistes, dont le sénateur du Rhône Thomas Dossus, ont rendu visite aux membres de la CCAT incarcérés en métropole, dans les centres pénitentiaires de Mulhouse, Riom, Blois et Dijon.
Basta! : Vous avez rendu visite à l’une des membres de la CCAT emprisonnée en métropole, Brenda Wanado Ipeze, à la maison d’arrêt de Dijon. Que vous a-t-elle dit sur les conditions de son arrestation et de sa détention ?
Thomas Dossus : C’est l’une de deux femmes qui ont été arrêtées et placées en détention en métropole. L’autre est Frédérique Muliava. Les deux femmes sont aujourd’hui [9 juillet] sorties de détention, sous contrôle judiciaire. Mais elles sont assignées à résidence en métropole. Les cinq hommes, eux, restent en détention provisoire en métropole.
Quand j’ai vu Brenda Wanado Ipeze, elle était encore sous le choc de la façon dont tout cela s’était passé. Elle n’a pas compris pourquoi elle devait être éloignée alors qu’elle – c’est en tous cas la manière dont elle le présente - n’a pas une fonction très opérationnelle au sein de la CCAT : elle est chargée de la communication.
Très rapidement après son arrestation, on l’a fait embarquer, elle a fait les plus de 16 000 kilomètres menottée, en plusieurs étapes, sans pouvoir dire à ses enfants qu’elle partait. Quand je l’ai vue, une semaine après son arrivée en métropole, elle n’avait toujours pas eu de contact téléphonique avec ses enfants. C’est cela qui la préoccupait le plus. Son ressenti, c’est que c’est une procédure d’intimidation.
Et quelle est votre analyse ? Pourquoi ces membres de la CCAT ont été envoyé
es en métropole ?C’est une décision du juge. Ce n’est pas à nous de la commenter. Mais nous pensons que ça remet de l’huile sur le feu. Cela n’aura aucune conséquence d’apaisement là-bas. L’objectif de nos visites à ces membres de la CCAT emprisonnés en métropole – et ces visites vont se poursuivre - c’est de mettre de la lumière sur cette situation et de demander au moins la fin de l’éloignement, que les personnes puissent être emprisonnées sur place en Nouvelle-Calédonie. Les indépendantistes ont besoin que ça se sache qu’il y a des personnes qui ont été envoyées en métropole où elles sont enfermées.
Que leur est-il reproché ?
Les chefs d’inculpation sont assez lourds, comme « participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime » [1]. C’est un chef d’inculpation qu’on retrouve en général dans les accusations contre les mouvements indépendantistes, notamment pour les Corses et les Basques.
Je n’ai pour ma part pas à qualifier ce qui est vrai ou pas, la procédure est en cours. Ce que nous constatons simplement, c’est que globalement, cela ne va pas apaiser la situation là-bas de les avoir fait venir ici. En tant que groupe écologiste au Sénat, nous pensons qu’avec ce projet de réforme du corps électoral, l’État est sorti de sa position de neutralité, qui était celle des accords de Nouméa et Matignon. Ces accords stipulaient que l’État organise le débat sur l’indépendance et la décolonisation de la Nouvelle-Calédonie, mais ne prend pas partie.
Depuis que Gérald Darmanin et Sébastien Lecornu ont repris le dossier, c’est-à-dire depuis le troisième référendum de 2021, l’État a changé de posture. L’État a globalement pris partie pour les loyalistes. En nommant Sonia Backès au gouvernement [présidente de l’assemblée de la Province Sud de la Nouvelle-Calédonie, cheffe de file des loyalistes, Sonia Backès a été secrétaire d’État à la Citoyenneté au sein du gouvernement Borne de juillet 2022 à octobre 2023], en reconnaissant en 2021 un référendum sur l’indépendance qui était complètement biaisé par le Covid, l’État a changé de posture. Et pour nous, la gestion du dossier est toujours dans cette ligne, l’État prend fait et cause pour les loyalistes et mène une offensive contre les indépendantistes. Ces éloignements de membres de la CCAT s’inscrivent dans ce cadre.
Êtes-vous aussi en lien avec des élus Kanaks ?
Un sénateur Kanak, Robert Xowie [sénateur de la Nouvelle-Calédonie, membre du [groupe Communiste républicain citoyen et écologiste-Kanaky], a lui aussi visité les prisonniers indépendantistes juste après qu’ils et elles sont arrivés en métropole. On a commencé à organiser le travail en commun avec ses collaborateurs. Et on attend Emmanuel Tjibaou, fils du leader indépendantiste Jean-Marie Tjibaou [assassiné en 1989], qui vient d’être élu à l’Assemblée nationale pour le Nouveau Front populaire. On va essayer d’organiser une rencontre avec lui rapidement.
Que pourrait et devrait-faire selon vous un éventuel gouvernement de gauche, ou en partie de gauche, au sujet de la Nouvelle-Calédonie ?
Pour nous, l’urgence, c’est de revenir à la méthode des accords de Nouméa et Matignon. C’est-à-dire de nommer des tiers qui seraient de confiance pour tout le monde. Ce n’est pas simple, mais il faut trouver des personnalités qui pourraient remettre tout le monde autour de la table, avec aussi la CCAT. Car les membres de la CCAT sont traités de terroristes mais ce sont aussi eux qui organisent le mouvement indépendantiste. Certains parlaient de Lionel Jospin comme personnalité tiers. Il y a aussi des hauts fonctionnaires qui ont travaillé sur la question. On pourrait trouver. L’idée c’est qu’elles soient acceptées par les deux camps.
Il faut vraiment qu’on arrive à apaiser la situation, car là-bas c’est toujours compliqué, il y a des barrages et des affrontements. Je pense qu’un gouvernement de gauche, et même Emmanuel Macron s’il le voulait, devrait nommer rapidement des personnalités qualifiées qui pourraient reprendre la logique des accords de Nouméa et Matignon, celle de l’État impartial, et revenir un peu à ce qui a fonctionné au moment de ces accords. Aucune solution ne peut émerger si l’État ne revient pas à une posture d’arbitre, comme il l’avait avant. Pour nous, c’est là l’urgence, il faut changer de braquet.
Vous parliez des mouvements indépendantistes corses et basques. Faites-vous un parallèle entre ces situations et la Nouvelle-Calédonie ?
Non, ce n’est pas la même chose. Je ne pense pas que la Corse soit colonisée. Il y a peut-être une nouvelle relation à construire entre la Corse et le continent, mais ce n’est pas une colonie. Alors que l’ONU reconnaît encore aujourd’hui la Nouvelle-Calédonie comme un territoire colonisé.
On est encore sur des logiques coloniales là-bas, qu’il faut travailler. On a un problème en France quand on traite ce genre de problématiques : c’est tout ou rien. C’est soit le territoire est complètement indépendant, soit il est complètement intégré dans la République. Or, je pense qu’il y a des chemins d’autonomie partagée. On peut travailler des choses comme l’Angleterre a su le faire avec ses anciennes colonies. Il faut qu’on trouve une voie pour sortir du tout noir ou tout blanc.
Recueilli par Rachel Knaebel
Photo de une : À Paris, le 25 mai 2024. Des drapeaux de la Kanaky lors d’une manifestation en soutien de la révolte de la Kanaky-Nouvelle Calédonie. ©Martin Noda/Hans Lucas