« Il y aura une réforme de l’assurance chômage en 2024 », annonçait Gabriel Attal le 27 mars sur TF1. On sait désormais quand. Ce 1er juillet, le gouvernement publiera un nouveau décret de modification de la convention de l’assurance chômage. Il établira les règles, notamment en matière d’indemnisation, pour les 3 ans à venir.
Si le contenu du décret n’est pas encore connu, Gabriel Attal ne s’en est pas caché : il durcira encore l’accès aux indemnités des chômeurs. Plusieurs options sont sur la table : allongement du temps de travail nécessaire pour ouvrir des droits, réduction de la durée d’indemnisation ou encore baisse de l’allocation de retour à l’emploi. Bien qu’elle affecte la vie de tous les salariés – et a fortiori celle des près de 6 millions d’inscrits à France Travail (dont le tiers seulement sont des chômeurs indemnisés) –, cette décision va être prise de manière unilatérale, sans négociations avec les syndicats et le patronat ; sans débat ni contrôle du Parlement.
Syndicats et patronat écartés
C’est la troisième fois en sept ans que le gouvernement reprend la main sur le régime d’assurance chômage pour le réformer par décret. Cette méthode était jusque-là exceptionnelle puisque conditionnée à l’échec des négociations entre le patronat et les syndicats – avant 2018, la reprise en main de l’assurance chômage par l’État n’avait eu lieu qu’une seule fois, en 1983. « Depuis 2018, on est dans un jeu de dupes : l’État organise l’impossibilité de négocier réellement pour justifier son intervention », explique Claire Vives, sociologue au Centre d’étude de l’emploi et du travail.
Depuis cette date, même si l’assurance chômage reste, en théorie, un modèle assurantiel paritaire, géré par les représentants des travailleurs et du patronat (ce sont les salariés et les employeurs qui financent en grande partie, par leurs cotisations, l’assurance chômage), il en va tout autrement dans la réalité. De fait, l’État en change les règles à volonté, en se passant de tout contrôle démocratique. Le résultat ? Une régression des droits d’un niveau jamais constaté depuis la création de l’assurance chômage en 1958, avec notamment la baisse de 25 % de la durée d’indemnisation pour tous et toutes, mais aussi la réduction drastique du montant de l’allocation, allant jusqu’à -50% pour les plus exposés.
Emmanuel Macron n’a pourtant trompé personne. Dès 2017, alors candidat à l’élection présidentielle, il expliquait dans les colonnes du Parisien sa volonté de s’attaquer au paritarisme et de placer l’Unédic (gestionnaire de l’assurance chômage) sous contrôle et sous financement de l’État.
La stratégie Macron
Ainsi, dès son arrivée à l’Élysée, le gouvernement Macron a entrepris des réformes. D’abord en remplaçant, dès 2017, une partie des cotisations salariales qui financent l’assurance chômage, par de la CSG, un impôt, donc dépendant des caisses de l’État. « C’était une mesure assez invisible, mais extrêmement importante, car elle permettait à l’État de dire : ce n’est plus vous qui financez l’assurance chômage, donc ce n’est plus vous qui décidez », détaille Claire Vives.
La loi « avenir professionnel » de 2018 contraint très fortement les négociations paritaires, entre syndicats et patronat, jusqu’à les rendre caduques. Cette loi permet à l’État de définir, par une lettre de cadrage, l’objectif budgétaire des négociations entre syndicats et patronat. « Le niveau d’intervention de l’État est tellement fort que le patronat et les syndicats n’ont plus aucune marge pour négocier », estime Claire Vivès. Ainsi, depuis 2018, et malgré un accord entre syndicats et patronat trouvé en novembre 2023, l’État est parvenu – non sans user de quelques subterfuges – à garder continuellement la main sur l’assurance chômage.
L’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir a-t-elle définitivement changé la nature du paritarisme ? « Depuis 2018, c’est vrai que la négociation est complètement faussée. Mais avant cette date, elle était déjà fortement cadrée. Des reculs sociaux forts ont aussi été négociés dans le cadre du paritarisme », rappelle Denis Gravouil, négociateur de la CGT pour l’assurance chômage. Sa confédération syndicale n’a d’ailleurs jamais signé un seul accord avec le patronat dans le cadre de ces négociations.
« C’est sûr que les nouveaux droits pour les chômeurs sont très difficiles à obtenir puisque le patronat refuse catégoriquement d’augmenter les cotisations sociales. Il faut ajouter à cela que le patronat arrive toujours uni aux négociations, ce qui n’est pas toujours le cas des syndicats », analyse Claire Vivès.
Or il suffit qu’un seul d’entre eux accepte de signer un accord avec les organisations patronales pour que celui-ci soit conclu. « Jusqu’en 1992, c’est Force ouvrière qui a joué ce rôle de partenaire privilégié du patronat. Puis il est remplacé par la CFDT », poursuit la sociologue. Pour rappel, FO, la CFDT, la CFTC, la CGT et la CFE-CGC se partagent à parts égales 50 % des voix. Le Medef pèse de son côté 30 % des voix, la CPME [Confédération des petites et moyennes entreprises, ndlr] 10 % et l’U2P [Union des entreprises de proximité, ndlr] 10 %.
« Pour que le paritarisme ait une chance de fonctionner, il faut que le patronat ait un intérêt à négocier. Grosso modo, si le patronat a peur que l’État reprenne la main, il signe. Sauf que ça fait des années que le patronat n’a plus peur de l’État. On peut même dire qu’aujourd’hui on a un État qui fait ce que le patronat rêvait de faire, tout en lui permettant de ne pas se mouiller puisqu’il n’a officiellement plus la main », résume Claire Vivès.
Le décret de trop ?
Avec sept décrets en même pas sept ans, celui du 1er juillet pourrait-il être le décret de trop ? « Il y a un décrochage de l’opinion, qui soutient moins qu’avant ce genre de réforme », soutient Denis Gravouil, se basant sur un récent sondage commandé par Les Échos. Ce dernier note que la réforme ne reçoit qu’un soutien mitigé (52 % d’opinions favorables). Surtout, elle a soulevé les critiques de l’aile gauche de la Macronie, notamment celle du député Sacha Houlié qui juge que la réforme n’a aucune justification autre que budgétaire.
« Si on regarde les arguments du côté des économistes proches d’Emmanuel Macron, il y a l’idée que ces réformes s’enchaînent trop vite et sans évaluation. Il y a aussi une situation paradoxale : quand le chômage était à la baisse, le gouvernement réduisait les droits des chômeurs au prétexte qu’il était facile de trouver du travail. Mais depuis novembre 2023, alors que la courbe s’est inversée, le gouvernement dit qu’il faut à nouveau baisser les droits pour remettre les gens au travail », explique Claire Vivès. Au dernier trimestre 2023, le nombre de chômeurs a augmenté de 64 000 par rapport au trimestre précédent, le taux de chômage s’établissant à 7,4 % de la population active. Dans son enquête sur les « besoins de main-d’œuvre » en 2024, réalisée auprès des employeurs, France Travail observe aussi une diminution des projets d’embauche (2,8 millions en 2024 contre plus de 3 millions un an plus tôt). Et un tiers de ces « intentions de recrutement » concernent des secteurs et des métiers souvent pénibles, mal payés et dévalorisés : restauration, saisonniers agricoles, nettoyage ou aides à domicile.
De son côté, la CGT compte sur l’exaspération générale pour mobiliser contre la réforme dès le 1er mai. « Nous comptons aussi mener des actions, la fédération du spectacle, les intérimaires, mais aussi les dockers, sont particulièrement remontés », prévient Denis Gravouil.
Guillaume Bernard