Législatives

La gauche réunie met en difficulté le camp présidentiel sans réussir à mobiliser les abstentionnistes

Législatives

par Ivan du Roy

Pari réussi pour la gauche écologiste et sociale désormais réunie sous une même bannière. Malgré une abstention record, la Nupes sera présente dans 400 circonscriptions et pourrait priver Emmanuel Macron d’une majorité absolue à l’Assemblée.

Plus d’un.e Français.e sur deux ne s’est pas prononcé au premier tour des élections législatives le 12 juin. 26 millions de citoyens, en comptant les votes blancs et nuls, ne se sont pas exprimés. L’abstention bat un nouveau record en 70 ans de 5e République – 52,5 % – après celui de 2017. Au regard des scrutins récents, on vote désormais davantage pour élire les députés européens.

Est-ce par désintérêt, par dépit, ou par défiance ? Sans doute les trois. Cette indifférence de la moitié du corps électoral est en tout cas très inquiétante à l’heure où de nombreux choix cruciaux pour l’avenir doivent être faits : que faut-il faire face à la crise de l’hôpital public ? Faut-il continuer à dévaloriser l’Éducation nationale et instaurer définitivement un système éducatif à deux vitesses – l’un pour les plus aisés et les débrouillards, l’autre, avec peu de moyens, pour les plus pauvres ? Doit-on continuer à ne quasiment rien faire pour s’adapter au réchauffement climatique et le freiner, alors que de nouveaux records de chaleur s’annoncent ? Enfin, faut-il se contenter de la répartition actuelle des richesses, que ce soit le déséquilibre entre revenus du travail (salaires) et du capital (dividendes), l’allongement du temps de travail annoncé par Emmanuel Macron (retraite à 65 ans) ou les inégalités générées par le système fiscal, exonérant les plus riches d’un effort plus conséquent en faveur de l’intérêt général ?

Ces choix – et bien d’autres – détermineront le futur. Pour l’instant, ce sont les électeurs et électrices les plus âgés qui y répondent : les plus de 60 ans ont beaucoup plus voté que les jeunes (69 % des plus de 70 ans ont participé à l’élection, 60 % des 60-69 ans, contre 30 % seulement des 18-34 ans selon l’enquête réalisé par Ispos pour France Télévisions et Radio France). Elles et ils ont avant tout choisi des candidates et candidats soutenant Emmanuel Macron et sa politique, qui se sont pourtant eux-mêmes abstenus d’exprimer clairement leurs réponses à ces questions cruciales.

La Nupes au second tour dans 372 circonscriptions métropolitaines

Cela n’a pourtant pas suffi à légitimer par les urnes le mouvement présidentiel, « Ensemble » (composé de Renaissance, ex-LREM, et de ses alliés du Modem et d’Horizon, le parti de l’ancien Premier ministre Édouard Philippe). Ensemble est au coude à coude avec l’union de la gauche, la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes), avec environ 26 % des voix chacun [1]. C’est l’autre enseignement de cette élection : pour la première fois sous la 5e république, le camp présidentiel est en difficulté lors d’une élection qui suit directement celle de son champion à l’Élysée. Comme nous l’anticipions, il est donc loin d’être acquis qu’Emmanuel Macron dispose d’une majorité absolue (289 députés) au soir du 19 juin.

Dispersée et divisée en 2017, la gauche sera désormais présente au second tour dans 372 circonscriptions métropolitaines sous l’étiquette Nupes, auxquelles s’ajoutent une quinzaine de circonscriptions d’Outre-mer [2]. La Nupes affrontera au second tour des candidats macronistes dans 272 circonscriptions et Les Républicains (LR) dans 25 circonscriptions. Il y aura également 61 duels entre la Nupes et le Rassemblement national (RN), quatre duels internes à la gauche et huit triangulaires (entre la Nupes, Ensemble et le RN).

Le pari de réaliser l’union avec une base de programme commun a été payant. Une stratégie nécessaire pour éviter une débâcle semblable à celle 2017 mais pas suffisante pour séduire au-delà de son camp, au vu du niveau de l’abstention. La mobilisation de l’électorat, en particulier les jeunes et les classes populaires dont la Nupes assure défendre les aspirations, sera pourtant déterminante pour tenter de faire élire 200 députés ou plus à l’Assemblée et priver Macron d’une majorité absolue.

Des macronistes se refusent à appeler à battre l’extrême droite

Car davantage que la Nupes, les candidats macronistes qui affronteront la gauche au second tour dans 272 circonscriptions peuvent bénéficier d’une réserve de voix : une partie de la droite et de l’extrême droite. Le camp présidentiel n’hésite d’ailleurs pas à agiter le péril rouge pour séduire l’électorat LR (10,5 % des voix). La Première ministre Élisabeth Borne a elle-même entretenu la confusion entre « les extrêmes », renvoyant scandaleusement dos à dos la gauche et l’extrême droite. La ministre de la Transition écologique Amélie de Montchalin a même dénoncé (sur la chaîne d’extrême droite CNews) le « boulevard » donné « aux anarchistes d’extrême gauche » mis au même niveau que l’extrême droite. Une marque de mépris supplémentaire envers les millions d’électeurs et électrices de gauche qui avaient voté contre Marine Le Pen au second tour de la présidentielle.

Dans 61 circonscriptions, la Nupes sera opposée à un candidat lepéniste le 19 juin (18,7 % des voix pour le RN au niveau national). À part quelques exceptions comme le ministre délégué à l’Europe Clément Beaune, les macronistes se refusent à appeler à battre l’extrême droite. C’est notamment le cas de l’ancien ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, distancé par le RN et la gauche dans le Loiret. C’est dire la sincérité de son attachement aux principes républicains ! Et face à Marine Le Pen, opposée à l’écologiste Marine Tondelier dans le Pas-de-Calais, la candidate de la majorité présidentielle Alexandrine Pintus appelle à... voter blanc.

« Macron a été élu grâce aux voix humanistes, écologistes, féministes, antifascistes qui ne trembleront jamais quand il faut battre l’extrême droite, a rappelé la sénatrice écologiste Mélanie Vogel sur twitter. Votre faillite morale est totale », a-t-elle lancé aux responsables macronistes. Que se serait-il passé si les macronistes avaient eu à choisir entre la gauche et Reconquête, le parti d’Eric Zemmour ? Nous ne le saurons pas, tous ces candidats d’extrême droite, y compris leur leader, ont été éliminés dès le premier tour, leur mouvement récoltant cependant 4,2 % des suffrages exprimés.

Ivan du Roy

Photo : Au QG de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes), le soir du 12 juin, avec Jean-Luc Mélenchon, leader de La France insoumise et plusieurs responsables de partis de gauche / © Valentina Camu

Notes

[1Nous nous basons sur les résultats publiés par le ministère de l’Intérieur, qui sont cependant critiqués pour ne pas avoir attribué l’étiquette NUPES à certains candidats, ce qui fait baisser le score national de l’union de la gauche

[2Celles-ci n’étaient pas concernées par l’accord. Des candidats affiliés à la gauche sont cependant en mesure de l’emporter.