Scandale sanitaire

« Leur implant de contraception, c’est de la mort aux rats » : un rapport met en cause Bayer et les autorités

Scandale sanitaire

par Faustine Sternberg, Juliette Cabaço Roger

Des milliers des femmes alertent sur leur calvaire, qu’elles attribuent à la pose d’implants de contraception définitive. Splann ! révèle un document commandé par les autorités sanitaires qui pointe un risque de défectuosité lié à leur composition.

Malgré un vif succès commercial, Bayer décide de retirer ses implants Essure du marché français en 2017. Ils étaient pourtant présentés comme l’avenir de la contraception définitive. Que s’est-il passé ? Face à des témoignages de femmes sur de lourds effets secondaires et des signalements de plus en plus fréquents (239 en 2015, soit 100 de plus que l’année précédente) et à certains incidents non rapportés par le fabricant, l’Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) place le dispositif de stérilisation définitive sous surveillance renforcée en 2015. Cela fait treize ans que ces implants sont commercialisés, d’abord par la société états-unienne Conceptus, ensuite par Bayer, qui l’a rachetée en 2013. Plus de 200 000 femmes en France se sont ainsi vus prescrits cette technique par leurs gynécologues. Les deux implants en alliage métallique étaient posés dans les trompes de Fallope des femmes de façon définitive. Deux ans plus tard, la création d’un Comité de suivi scientifique temporaire (CSST) chargé d’étudier la balance bénéfice-risque de l’implant est annoncée en grande pompe.

La même année, en février 2017, en marge de ce comité et sans couverture médiatique, un expert d’une École des Mines est également mandaté par l’ANSM pour étudier un paramètre très précis : le risque de corrosion de l’implant. Son rapport, rendu en avril de cette même année, ne laisse que peu de place au doute : « L’assemblage des matériaux est un cas typique de corrosion galvanique » engendrant des « produits de corrosion » qui vont provoquer des « réactions inflammatoires différentes face à ces produits ».

Selon ce rapport qui date de 2017, {« l'assemblage des matériaux est un cas typique de corrosion galvanique » engendrant des « produits de corrosion »} qui vont provoquer des {« réactions inflammatoires différentes face à ces produits »}. [Télécharger le rapport complet->https://splann.org/wp-content/uploads/2022/10/2210117-Rapport-fanto%CC%82me.pdf].
Extrait du rapport révélé par Splann !
Selon ce rapport qui date de 2017, « l’assemblage des matériaux est un cas typique de corrosion galvanique » engendrant des « produits de corrosion » qui vont provoquer des « réactions inflammatoires différentes face à ces produits ». Télécharger le rapport complet.
Splann !

Ces « réactions inflammatoires hétérogènes » mentionnées dans le rapport comme conséquence de la présence des implants expliqueraient les multiples effets secondaires observés chez les femmes, comme des migraines chroniques, des problèmes pulmonaires, urinaires ou la perte de mobilité de certaines parties de leur corps.

Les résultats détaillés de cette étude n’ont jamais été rendus publics. Le rapport ne figure pas dans le dossier thématique sur le site de l’ANSM qui regroupe l’ensemble des études menées autour des implants. Cette expertise n’est mentionnée nulle part. Pas plus que la décision officielle mandatant l’expert.

Splann ! a réussi à retrouver cette expertise grâce à l’aide de Sabine Hahner pour l’association Victimes DMI. C’est ainsi qu’une source proche du dossier a accepté de témoigner, à condition que nous préservions son anonymat.

De son côté, l’Agence assure n’avoir jamais cherché à cacher le risque de corrosion galvanique. En effet, sur un diaporama du comité de suivi, une phrase indique « possible corrosion galvanique », en s’appuyant sur les données fournies par Bayer et non sur notre rapport « fantôme » qui n’est pas mentionné. Des mots également prononcés par la chercheuse présentant les résultats des différentes études lors de la réunion du comité du 19 avril 2017. Sans jamais pour autant alerter les victimes présentes des effets que cette possible corrosion pourrait avoir.

« Leur implant, c’est de la mort aux rats »

Une corrosion galvanique, « c’est exactement comme une pile dans le corps humain ! » explique notre source. Ce rapport confidentiel montre que le contact entre trois matériaux présents dans l’implant Essure provoque ce qu’on appelle une corrosion galvanique. « Littéralement, avec un pôle « + » et un pôle « – ». Ça ne peut qu’engendrer la corrosion qui est à la base de la réaction allergique que l’on pouvait observer chez les patientes. »

De quoi expliquer tous les symptômes, aussi variés soient-ils ? « La réponse de chaque patiente va être très différente, étaye-t-elle. Mais en tout cas, tout le monde a eu les produits toxiques dans le sang. Que ce soit du nickel, du fer, du chrome, du titane… Avec des doses qui dépassent largement les (doses) normales dans le corps. »

Bayer avait déjà connaissance de ce risque, comme l’indique la multinationale dans sa réponse à Splann ! « Parmi les 150 pages du dossier envoyé, une phrase le stipule », peut-on lire d’ailleurs dans le document que nous révélons. Une phrase qui ne semble pas avoir inquiété les chercheurs de l’ANSM lors de l’examen du dossier.

Le rapport des Mines mentionne expressément le risque de corrosion des implants de contraception.
Composition de l’implant Essure
Le rapport des Mines mentionne expressément le risque de corrosion des implants.

Les résultats de cette expertise ont été confirmés plus tard par une étude de chercheurs américains publiée le 13 mai 2022 dans la revue scientifique internationale Acta Biomaterialia, puis par une étude publiée en juillet 2022 dans le European Journal of Obstetrics & Gynecology and Reproductive Biology par une équipe de chercheurs français.

Bayer, pour sa part, nous a confirmé avoir eu connaissance de ce rapport. La multinationale estime néanmoins que « le rapport évoque la simple possibilité d’une corrosion galvanique, sans toutefois que celle-ci ne soit démontrée de quelque manière au terme de ce rapport ». Tout en ajoutant que « les tests et essais cliniques menés dans le cadre du développement et de l’approbation réglementaire du dispositif médical ont pris en compte le risque éventuel de corrosion du dispositif ».

Quelques mois plus tard, le National Standards Authority of Ireland (NSAI), organisme qui a labellisé l’implant Essure en 2013, suspend le marquage européen CE qui lui permet d’être commercialisé (voir volet « Le contrôle défectueux des autorités sanitaires ») le temps que la multinationale Bayer fournisse un certain nombre de documents concernant les incidents liés à l’implant, considérés comme sous-déclarés. Sans quoi le marquage serait définitivement perdu à l’issue de ce délai.

Mais Bayer prend les devants et retire finalement les implants Essure du marché « pour des raisons commerciales ». Dans le courrier de rappel du produit envoyé par Bayer aux hôpitaux et cliniques, il est précisé que « l’ANSM considère que la décision de suspension temporaire de trois mois du marquage CE prise par l’organisme notifié n’est pas de nature à remettre en cause à ce stade les recommandations du comité d’experts relatives à la prise en charge des femmes porteuses d’un implant Essure ».

Comprendre : pas de remise en cause du produit… De quoi déclencher la colère de notre source : « Bayer continue à dire qu’il n’y a pas de défaut du produit, c’est faux ! Leur implant, c’est de la mort aux rats. » À cette affirmation, Bayer n’a pas souhaité réagir.

Interrogé, Thierry Thomas, directeur adjoint en charge des dispositifs médicaux à l’ANSM, assure que c’est parce que l’implant a été retiré du marché que l’Agence « n’est pas allé plus loin par rapport à la corrosion galvanique ». Quant à la raison officielle du retrait du dispositif du marché, « cela nous a gêné que Bayer annonce une raison commerciale. À mon sens, l’entreprise n’avait pas les éléments pour répondre à l’organisme certificateur. C’est une façon de suspendre une procédure… »

Une balance bénéfice-risque biaisée

Moins de deux semaines après la remise du rapport des Mines qui mentionne expressément le risque de corrosion des implants, le Comité de suivi scientifique temporaire (CSST) réuni par l’ANSM rendait lui aussi ses conclusions en parallèle : la balance bénéfice-risque de l’implant n’est pas remise en cause. Un résultat repris en boucle dans les médias et qui suscite l’incompréhension des victimes.

Comment le comité de suivi peut-il conclure à un résultat qui ne semble pas tenir compte du rapport fantôme ? Pourquoi le comité s’en est-il tenu à cette conclusion sans exiger davantage de tests, comme semble le suggérer l’auteur de ce rapport ? Il faut tout d’abord regarder du côté du protocole qui a guidé le travail du CSST. Les chercheurs devaient comparer l’implant Essure à la ligature des trompes, opération nécessitant une anesthésie générale et présentant de ce fait un certain nombre de risques. « Il n’y a jamais eu de comparaison avec d’autres dispositifs de contraception, alors que c’était comparable et qu’il fallait les comparer », estime Thierry Rabilloud, biologiste membre du comité, en évoquant par exemple le stérilet.

Il faut également noter que l’absence d’anesthésie générale pour poser les implants Essure a été un axe majeur du travail du comité de suivi. Pourtant, la réalité est bien différente : une étude de l’ANSM, réalisée en 2017 sur 71 303 femmes ayant été implantées, montre ainsi que 73 % ont reçu un acte d’anesthésie générale.

Un premier biais selon le chercheur qui nous livre également une deuxième clé pour comprendre le dossier. « La crainte de l’ANSM c’est que toutes les femmes implantées aillent se faire explanter – avec le risque anesthésique et opératoire associé –, si on affirme qu’il y a un problème avec l’implant, assure-t-il. Les termes de risque qu’on a employés [dans le rapport, NDLR] étaient systématiquement en dessous des définitions admises en médecine. L’information n’était pas aussi claire qu’elle aurait pu l’être, même si les chiffres exacts sont là, on n’a rien caché. »

Le bilan du comité de suivi, dont la rédaction minimiserait donc les risques liés à l’implant, ne mentionne pas non plus le risque de corrosion galvanique et de relargage de métaux dans leur corps. Dans sa réponse, la multinationale Bayer affirme pourtant que l’expertise sur la corrosion de l’implant doit être lue en complément des conclusions du comité de suivi.

Le relargage d’étain connu depuis 2004

Toutefois, des éléments du dossier auraient pu inquiéter les autorités françaises bien avant cette expertise de 2017. Dès la mise sur le marché de l’implant, différentes études, réalisées par Conceptus – société américaine qui a conçu l’implant – puis Bayer, ont été fournies aux autorités.

L’une d’entre elles, datée de 2004, montrait déjà des taux significatifs de relargage d’étain (métal présent dans l’implant). Des données qui n’ont en aucun cas alerté les agences du médicament, ni en France ni aux États-Unis, comme le révélait Le Monde en 2020.

Michel Vincent, président du laboratoire lyonnais Minapath, qui a montré que la soudure de l'implant relargue de fortes quantités d'étain.
« On parle d’un implant où le métal est en contact direct avec les chairs et va se diffuser partout dans le corps. »
Michel Vincent, président du laboratoire lyonnais Minapath, qui a montré que la soudure de l’implant relargue de fortes quantités d’étain.
© Juliette Cabaço Roger

Splann ! a également pu consulter ce document confidentiel interne à Conceptus. L’étude conclut que le taux d’étain relargué dans le corps des femmes n’est pas supérieur à la quantité « normale » ingérée par jour.

Des chiffres remis en cause, entre autres, par les chercheurs de Minapath. « Et surtout, on ne peut pas comparer ce qui n’est pas comparable », s’exclame Michel Vincent, président de ce laboratoire lyonnais qui a montré que la soudure de l’implant relargue de fortes quantités d’étain. « Ces études précliniques font référence au taux d’étain ingéré, alors qu’ici, on parle d’un implant où le métal est en contact direct avec les chairs et va se diffuser partout dans le corps. »

Face à tous ces éléments, les plaintes de victimes s’accumulent dans les tribunaux. En 2020, aux États-Unis, Bayer a versé 1,6 milliard de dollars pour clore 39 000 plaintes concernant les implants Essure. Dans son rapport d’activités de 2018, l’implant figure parmi les plus grosses dépenses du budget consacré par la firme pharmaceutique et agrochimique allemande à la justice (qui a plus que doublé entre 2017 et 2018) aux côtés d’autres dispositifs médicaux, médicaments… et du Roundup, herbicide populaire à base de glyphosate.

Juliette Cabaço Roger et Faustine Sternberg

photo de Une : © Guy Pichard

P.-S.

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