Il fallait voir le sourire de William Martinet, député LFI-Nupes, lorsque son amendement a été adopté par l’hémicycle (avec les députés LREM) jeudi 21 juillet lors des débats sur la loi pour des mesures d’urgence pour le pouvoir d’achat. Cela faisait trois jours que tous les amendements proposés par les députés de la Nupes étaient presque systématiquement refusés. Aucun compromis n’a par exemple été possible sur la hausse des salaires ou du Smic.
L’amendement de William Martinet porte sur l’encadrement des loyers. L’objectif du député est d’éviter les abus des propriétaires peu scrupuleux qui appliquent dépassent les niveaux de loyers autorisés en appliquant un complément de loyer à des logements indignes. Que son amendement soit passé, voilà une « victoire minimaliste », ironise l’élu LFI. Le logement est le premier poste de dépenses des ménages en France [1]. Pourtant, les mesures d’urgence votées par l’Assemblée nationale prennent à peine en compte ce constat.
La majorité refuse de geler les loyers
L’article de la loi consacré au logement prévoit seulement deux mesures. Le plafonnement de l’indice de revalorisation des loyers (IRL), donc de la hausse des loyers, à 3,5 % jusqu’en 2023 ; et l’indexation immédiate du barème des aides au logement sur cette augmentation de 3,5 % (l’indexation des APL sur l’IRL intervient sinon normalement en octobre).
Malgré tout, cette limitation de l’augmentation des loyers reste une hausse, que celle des APL ne couvrira pas. Comme le résume le député LFI Maxime Laisney en séance publique : « +3,5 % sur un loyer de 600 euros, c’est une augmentation de 21 euros par mois ; +3,5 % sur des APL de 200 euros, c’est une augmentation de 7 euros par mois. Non seulement le compte n’y est pas, mais à la fin de l’année, les locataires auront perdu 168 euros de pouvoir d’achat. »
Cette mesure a largement été critiquée par les députés de la Nupes qui demandaient de leur côté que les loyers soient gelés en ces temps de forte inflation. La proposition a été rejetée en bloc par les bancs LREM, LR et RN. Leur argument : il ne faudrait pas pénaliser les « petits propriétaires », victimes également de cette hausse des prix galopantes. L’argument semble difficile à défendre face aux chiffres de l’Insee sur la concentration de la propriété des logements parue en 2021.
Le mythe du petit propriétaire précaire
Cette étude pointe par exemple que 93 % des ménages propriétaires d’un seul logement habitent dedans. Face à ça, 50 % du parc locatif est détenu par seulement 3,5% des ménages qui, eux, possèdent au moins cinq logements. Le petit propriétaire précaire qui arrive à boucler les fins de mois grâce au loyer qu’on lui verse reste donc un phénomène largement marginal, qui ne correspond pas à la réalité du parc locatif français.
« Je le redis, le choix, par le gouvernement, d’un plafond à 3,5 % me semble correspondre au plafond maximum d’équilibre, permettant aussi bien aux locataires d’être protégés [d’une hausse supérieure à 3,5% ndlr] qu’aux propriétaires qui en ont besoin de réaliser des travaux et de procéder à une augmentation des loyers », a aussi justifié le ministre délégué chargé de la Ville et du Logement, Olivier Klein.
C’est le second argument avancé par la majorité présidentielle pour refuser le gel des loyers : cela enverrait un mauvais message aux propriétaires qui souhaitent rénover leur logement, notamment en vue d’en réduire les consommations énergétiques.
La rénovation énergétique, un levier non-exploité
En France, 4,8 millions de logements sont catégorisés comme étant des passoires thermiques. Or, ce sujet est intimement lié au pouvoir d’achat : plus le logement est énergivore, plus les ménages qui vivent dedans subissent l’inflation massive des prix de l’énergie. S’attaquer à ce problème permettrait de réduire les factures d’énergie, de consommer moins et donc de réduire les émissions de gaz à effet de serre dues au logement. Et pourtant, la rénovation énergétique des logements est absente du texte adopté par l’hémicycle dans la nuit du 21 juillet.
La question a bel et bien été débattue. « Parmi les mesures de pouvoir d’achat, il en est une qui consisterait à ne plus devoir payer des factures inutiles. Alors que la facture de gaz s’élève aujourd’hui en moyenne à près de 1500 euros par foyer (par an, ndlr), il serait d’utilité publique de lancer un grand plan d’urgence visant à diminuer notre besoin en gaz. Pour cela, il faut que nos logements soient si bien isolés l’hiver que nous n’ayons quasiment plus besoin d’allumer les radiateurs », a par exemple lancé à la tribune la député EELV-Nupes Sandrine Rousseau. Son groupe parlementaire a soumis un amendement pour augmenter l’investissement dans la rénovation énergétique dans le cadre de la loi de finance rectificative. Sans succès.
À droite, la rénovation des logements est même utilisée pour proposer un amendement voulant augmenter le plafond de l’indice de revalorisation des loyers. « Je propose de substituer au taux de 3,5 % de variation de l’IRL celui de 4 % parce que, dans certains cas les coûts de rénovation augmentent, ce qu’il faut par conséquent prendre en compte », affirme le député Les Républicains Thibault Bazin. « Le fait de rénover les logements pour réduire leur consommation d’énergie ne doit pas reposer sur les locataires, répond William Martinet. Si nous partons du principe que ce sont les catégories populaires et les jeunes – qui représentent bon nombre de locataires – qui doivent faire les efforts pour organiser la transition énergétique dans notre pays, cela ne fonctionnera pas, nous irons dans une impasse. »
L’impensé des transports en commun
Le député socialiste (Nupes) Gérard Leseul a de son côté regretté « l’absence dans le présent texte d’articles concernant les mobilités du quotidien. Ces dernières constituent pourtant l’un des trois principaux postes de dépenses des Français – c’est une question lancinante dans nos territoires. Le problème du déplacement est encore plus crucial et plus onéreux qu’hier pour les Français. »
Le constat qu’il fait est limpide : pas un seul article de la loi ne concerne le prix des transports en commun. Le gouvernement a décidé d’axer sa politique pour le pouvoir d’achat sur le seul prix des carburants : ristourne à la pompe, doublement du plafond de la prime transport, qui permet aux employeurs de verser à leurs salariés une aide défiscalisée pour couvrir leur frais de carburants. Mais aucune aide massive, en revanche, pour les transports en commun.
Pourtant, la fréquentation des trains est en hausse de 10 % cette année par rapport à l’été 2019. Les prix des billets, eux, n’ont pas baissé, voire continuent de grimper. Comme nous vous l’expliquions dans Basta!, l’Insee constate une augmentation de 15 % des prix des trains entre janvier et avril 2022.
La baisse de la TVA sur les transports en commun rejetée
Sur le sujet, il faut se contenter de miettes dans la loi sur le pouvoir d’achat. La prime transport, facultative pour l’employeur, peut désormais être cumulée à la prise en charge - obligatoire elle - de 50 % du prix de l’abonnement aux transports en commun. Autre petit changement : la hausse de 200 euros par an du plafond du forfait mobilités durables, un dispositif facultatif qui permet à l’employeur de soutenir financièrement ses salariés qui font leur déplacement domicile-travail avec des mobilités dites « durables » (covoiturage, vélo, trottinette, transports en commun hors abonnement…).
Lors des débats, des députés de la Nupes ont pourtant proposé plusieurs amendements pour une politique incitative sur les transports en communs. Les mesure phares proposées : débloquer un milliard d’euros pour développer le ferroviaire et baisser la TVA à 5,5% sur ces derniers, une mesure qui figurait dans les conclusions de la Convention citoyenne pour le climat.
La baisse de la TVA est « une mesure à la fois écologique et sociale, a défendu le député insoumis Thomas Portes dans l’hémicycle. Sociale, parce qu’elle redonnera du pouvoir d’achat aux usagers ; et écologique, parce qu’elle encouragera nos concitoyens à utiliser des transports vertueux, ce qui est nécessaire. »
L’amendement a été rejeté. « La mesure que vous proposez est coûteuse et ne modifiera en rien le comportement des consommateurs », a justifié le rapporteur général de la loi, le député LREM Jean-René Cazeneuve. La Nupes a également essayé de rendre obligatoire le forfait mobilité durable. Cette proposition a aussi été refusée.
Ailleurs en Europe, des mesures pour le train
Certains de nos voisins européens ont à l’inverse réagi à l’inflation en mettant en place des dispositifs avantageux sur le rail. En Espagne, certains trajets de trains, notamment locaux et régionaux, seront gratuits du 1er septembre jusqu’à la fin de l’année. Cela fait suite à une réduction en juin de 30 % des prix des tickets de métro, de bus et de tramways. « Cette mesure encourage le recours aux transports publics, pour garantir un moyen sûr, fiable, confortable, économique et durable de réaliser ses trajets quotidiens, dans un contexte d’augmentation exceptionnelle des prix de l’énergie et du carburant », a écrit dans un communiqué Raquel Sanchez Jiménez, la ministre espagnole des transports.
En Allemagne, un pass à 9 euros par mois permet de juin à août d’utiliser de manière illimitée les transports en commun de toutes les villes et tous les trains régionaux. De manière pérenne et pour répondre à l’urgence climatique, l’Autriche a créé cette année un billet unique nommé Klimaticket pour voyager sur tous les réseaux de transport en commun du pays. Prix de ce billet climat : 1095 euros par an, soit trois euros par jour.
À défaut de politique nationale, certaines agglomérations françaises ont décidé de mettre en place des tarifs préférentiels pour lutter contre l’inflation. C’est par exemple le cas de La Rochelle, qui a baissé de plus de 50 % le tarif des abonnements pour les scolaires et les étudiants à la rentrée. Malgré tout, ces initiatives restent minoritaires.
Pis, le pass TER, qui permettait aux jeunes de voyager en illimité sur le réseau TER pendant l’été, pour 29 euros par mois, a été supprimé cette année. Compétence des régions, celles-ci accusent l’État de ne pas les avoir accompagnées dans ce projet, qui a pourtant connu un franc succès lors des étés 2020 et 2021.
En refusant toute politique d’envergure sur les transports en communs, les mesures pour le pouvoir d’achat peinent à répondre à l’urgence climatique. Pire, comme le rappelle Mediapart, la loi pour le pouvoir d’achat prévoit la réouverture d’une centrale à charbon et l’installation au Havre d’un terminal pour importer du gaz de schiste.
Pierre Jequier-Zalc
Photo : À Paris, le 24 juillet 2022. ©Serge D’ignazio.