« Brusquement, les portes vitrées ont explosé, laissant entrer la tempête. Des objets coupants valsaient dans la pièce », se remémore Céline, infirmière scolaire à Mayotte. C’était le 14 décembre, quand le cyclone Chido a touché de plein fouet le 101e département français. Le collège de Majicavo avait été transformé en centre d’hébergement d’urgence en prévision du cyclone, pour que les résidents des habitations informelles faites de tôles puissent se protéger.
Le bâtiment accueillait 80 personnes quand Chido a frappé l’île. Mais il n’a pas tenu le choc. Face au désastre, et en l’absence de réponse rapide et coordonnée des autorités, des bénévoles se sont très vite organisés de manière autogérée, autour d’un groupe WhatsApp de soignants nommé « Soin Refuge ».

« Les volontaires venaient dans l’appartement où étaient entreposées des réserves de matériel et on préparait les caisses de soins ensemble », explique Axel, l’infirmier coordinateur du groupe. Chaque jour suivant le cyclone, les membres de l’initiative ont arpenté les centres d’hébergement de l’île, découvrant souvent qu’aucun soignant n’y était encore passé.
Soigner dans le noir
Pour Claire Galibert, coordinatrice de mission pour la Protection civile, une association de secouristes, ce réseau de bénévoles a représenté « une lumière dans la tempête ». La Protection civile n’a eu qu’à se greffer à cette « structuration autonome », et fournir matériel médical et professionnels de santé supplémentaires. « C’est grâce à eux que les centres ont tenu. On a juste eu à prendre le relais », dit Claire Galibert.

Les témoignages de ces soignants bénévoles soulignent la précarité des conditions de travail et le manque de matériel. « On soignait dans le noir avec des lampes frontales, décrit Axel. Il n’y avait pas d’assainissement au niveau des toilettes, pas d’évacuation des déchets, qui s’entassaient », ajoute l’infirmier. Au début, « il fallait surtout prévenir les surinfections de plaies, indique aussi Céline. On a craint des épidémies de bronchiolite, la gale, des diarrhées chez les enfants ou les bébés. »
Plus d’une semaine après le cyclone, certaines zones restaient encore sans assistance médicale. Claire Galibert, de la Protection civile, arrivée sur place six jours après le passage de Chido, témoigne de cette réalité : « Nous étions le premier organisme officiel à arriver. Les bénévoles et les habitants étaient en colère, ils n’avaient encore vu personne. » Dans le Grand Mamoudzou, un immense bidonville, elle n’a vu aucun officiel jusqu’au 24 décembre.
Pas assez d’eau
Durant plusieurs jours, les bénévoles, épuisés, ont redouté de voir s’effondrer la chaîne de soins face à l’immensité des besoins. L’aide massive n’est arrivée qu’après dix jours : pompiers, Croix rouge, Médecins sans frontières. « Les plus éloignés ont été pris en charge en dernier, ça a été trop long », critique Claire Galibert.
Alors que le président Emmanuel Macron avait communiqué sur l’eau, promettant trois litres par jour et par habitant, « dans la réalité, il n’y avait pas assez d’eau ni de nourriture, ajoute la responsable de la Protection civile. Tout le monde sait que les recensements à Mayotte ne correspondent pas au nombre réel d’habitants. » Beaucoup n’étant pas enregistrés.
La distribution de l’aide alimentaire a aussi révélé des injustices profondes. Les mairies exigeaient des attestations de domicile, excluant de fait les personnes en situation irrégulière. « Les personnes mangeaient peu », résume Claire Galibert. Dans le centre d’hébergement de Céline, 400 personnes avaient trouvé refuge après le cyclone. Pour nourrir tout le monde, « on rationnait à un repas par jour, alors qu’il nous fallait nourrir plus de 400 personnes », indique l’infirmière.

Selon le bilan officiel annoncé début janvier, le cyclone a fait au moins 39 morts à Mayotte. Une quarantaine de personnes auraient disparu, sans que leurs dépouilles aient été retrouvées. Depuis un mois, les autorités coutumières, elles, ont multiplié les prières mortuaires.