Autonomie

Grâce à la méthanisation, un paysan veut faire vivre « une ferme sans pétrole »

Autonomie

par Michèle Roux (Campagnes Solidaires)

Jules Charmoy, paysan en Dordogne, a créé une unité de méthanisation sur sa ferme, pour ne plus être dépendant du pétrole sur son exploitation.

Jules s’installe comme paysan en 1999. Il est alors très impliqué dans les luttes écologiques. Avec des copains paysans, il réfléchit à utiliser diverses sources d’énergie locales et renouvelables, via leur coopérative d’utilisation de matériel agricole (Cuma) : récupération du bois des taillis et des haies, récupération des huiles usagées... Puis vient l’idée de la méthanisation des déchets de la ferme, donc en premier du fumier – mélange des litières (paille, fourrage,....) et des excréments des animaux de son élevage.

Habituellement, que devient le fumier sur une ferme ? Il est mis en tas et se transforme en compost. Lors de cette opération, 40 % de sa richesse sont perdus par vaporisation, donc avec émission de gaz à effet de serre – dont le redoutable méthane –, et par infiltration. Même dans le cas d’installations aux normes, ces pertes sont importantes.

Moins polluant que des engrais de synthèse

Avec la méthanisation, le méthane est valorisé et le reste se retrouve dans la cuve. C’est le « digestat » : la partie solide c’est le compost, et la partie liquide ce sont les engrais. Épandre du digestat sur nos sols revient ainsi à épandre du fumier composté qui n’a pas perdu sa partie liquide riche en engrais. Il faut quand même utiliser du matériel adéquat pour éviter l’émission dans l’atmosphère des particules fines ou de gaz à effet de serre, en particulier du protoxyde d’azote. Jules considère son digestat enrichissant pour les sols et surtout beaucoup moins polluant que des engrais achetés et produits à partir du pétrole.

Mais que mange vraiment ce méthaniseur ? Qu’en est-il de la concurrence entre alimentation et production d’énergie ? Un méthaniseur ne peut pas être alimenté qu’avec du fumier, encore moins qu’avec du lisier (mélange liquide d’excréments d’animaux). Il lui faut aussi des végétaux, donc des cultures. Chez Jules, il y en a de deux types. Le premier, ce sont les cultures intermédiaires : semis après la récolte (moisson ou autre) et fauche 90 à 120 jours plus tard (par exemple : du seigle ou du sorgho après l’orge). Le deuxième type : les cultures loupées et les prairies délaissées. Même si on est quelqu’un de très compétent, on peut louper des cultures. Les pois chiches qui ont très mal poussé à cause d’un printemps froid ou une céréale envahie de plantes non souhaitées, Jules les fauche et les met dans la cuve du méthaniseur.

Malheureusement, avec le rapide déclin de l’élevage, de plus en plus de prairies permanentes sont délaissées, avec comme seul avenir la friche. Très souvent, les propriétaires refusent de les louer mais acceptent qu’elles soient fauchées ou broyées une fois par an. L’herbe de ces prairies alimente alors le méthaniseur.

Pas une révolution mais une « évolution dans le bon sens »

Mais Jules est avant tout un éleveur : il élève 80 vaches allaitantes et leurs veaux et engraisse 250 porcs par an. Pour lui, la priorité est l’alimentation des animaux avant celle du méthaniseur – qu’il faut tout de même nourrir une fois par jour. Sa ferme est gérée par deux associés, avec deux salariés et un apprenti. Ils travaillent 271 hectares, dont 130 de cultures et 125 de prairies. Le but de Jules, depuis toujours, est de faire une ferme sans pétrole, de ne plus être dépendant du pétrole. Il ne pense pas avoir fait une révolution avec la méthanisation, mais plutôt une évolution dans le bon sens : grâce au méthane récupéré et valorisé, il produit certes de l’électricité, mais en plus il chauffe un séchoir en grange, une maison d’habitation, bientôt un bureau et une salle d’accueil du public. L’objectif suivant est de produire du biogaz pour les véhicules de la ferme en valorisant les huiles et graisses usagées.

Jules cultive ainsi l’autonomie, sans oublier la qualité de ses produits, le développement local ou le travail avec la nature. À son niveau, il lutte contre le réchauffement climatique. Il préfère mettre des céréales immatures dans un méthaniseur, plutôt que d’exporter des produits vers d’autres pays au risque de déstructurer durablement leur agriculture.

Michèle Roux, paysanne en Dordogne

 En photo de une : Jules Charmoy, devant son méthaniseur et auprès de son troupeau.

Lire notre dossier « méthanisation » :
Méthanisation : rencontre avec ces agriculteurs qui choisissent de produire de l’énergie

 
Cet article est extrait de Campagnes solidaires, le magazine de la Confédération paysanne qui a consacré son dossier de décembre 2019 à la méthanisation.