Accès à l’eau

Face aux méga-bassines, ces mobilisations qui pourraient gêner dès l’été le futur gouvernement

Accès à l’eau

par Samir Tazaïrt

Manifestations, recours, Parlement européen… Face aux méga-bassines, rétentions d’eau destinées à l’irrigation, défenseurs d’une agriculture paysanne et de l’environnement luttent sur tous les fronts. Ces derniers mois, les conflits se durcissent.

« Depuis six mois, les actions contre les bassines ont changé de registre. On revendique la désobéissance civile, et chaque fois, on monte d’un cran. » Julien Le Guet est le porte-parole du collectif Bassines non merci, qui s’oppose depuis plusieurs années à ces réserves d’eau géantes entourées de digues, censées se remplir en hiver pour irriguer en été des cultures intensives. Elles se multiplient en particulier dans le Marais poitevin. Fin mars, des milliers d’opposants aux méga-bassines ont défilé dans les Deux-Sèvres.

À l’automne 2021, près de 3000 personnes avaient rallié un rassemblement dans le département, après une première manifestation à Niort en septembre. Ces projets de vastes rétentions d’eau cristallisent depuis une décennie un conflit de fond entre l’agriculture industrielle et les partisans d’une agriculture paysanne et de la défense de l’environnement. « Le chef de l’État a fait très peu cas de notre mouvement qui prend pourtant une ampleur nationale, accuse le porte-parole du mouvement. S’il continue, on ira directement sur les traces d’un Larzac ou d’un autre Notre-Dame-des-Landes. »

Les contentieux juridiques se multiplient

Avant d’en arriver là, le collectif a tenté de trouver du soutien à Bruxelles. En janvier 2021, il avait saisi le Parlement européen (la commission des pétitions dite « PETI ») pour dénoncer la violation par ces projets de neuf directives européennes, dont la directive-cadre sur l’eau. S’en est suivi une audition en mars de l’année dernière, qui avait été favorable aux opposants.

« Nous sommes actuellement en train de créer les conditions pour une deuxième audition de la commission PETI lors de laquelle nous formulerons la demande de désigner une commission d’enquête et d’expertise, composée de scientifiques et d’eurodéputés, pour constater de visu les multiples infractions que nous dénonçons », explique Julien Le Guet.

Les opposants aux méga-bassines misent sur le volet judiciaire. Une dizaine de contentieux sont en cours au tribunal de Bordeaux au sujet de projet de réserves d’eau. Une centaine de réserves de substitution sont prévues dans l’ensemble du pays, notamment en Charente ou dans le bassin du Clain, dans la Vienne. Les projets sont attaquées sur différents volets : incompatibilités avec le droit administratif, procédures d’annulation d’arrêtés d’autorisation des travaux, remise en cause du financement par l’Agence de l’eau… « Un empilement d’affaires en justice, regrette Julien Le Guet. Il faut mener ces batailles juridiques, mais malheureusement, très souvent, les décisions finales arrivent trop tard ou alors que d’importants travaux sont déjà réalisés. »

Condamnés pour avoir construit une bassine sans autorisation

C’est ce qui est arrivé pour le lac de Caussade, projet de retenue d’eau pour l’agriculture inaugurée en 2019 dans le Lot-et-Garonne. Il a d’abord été autorisé avant d’être suspendu. Entre-temps, le lac artificiel avait déjà été construit, « illégalement », rappelle l’activiste de Bassines non merci. En janvier dernier, la cour d’appel d’Agen a condamné le président et le vice-président de la chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne (Serge Bousquet Cassage et Patrick Franken) à dix mois de prison avec sursis et à 7000 euros d’amende pour avoir creusé cette réserve d’eau sans autorisation. Ce dont s’était également rendu coupable l’Association des irriguants des Roches qui a entamé la construction d’une bassine sans attendre le résultat d’un recours en justice.

Mobilisations
Des manifestants opposés à la construction d’une mégabassine en Poitou-Charente, en novembre 2021.
© Manuel Blanchard

Cette lenteur de la justice pousse aujourd’hui le collectif à envisager d’autres formes de luttes. La Confédération paysanne, engagée aux côtés de Bassines non merci, est partie prenante dans un combat juridique contre 17 bassines mises en place par l’Association syndicale d’irrigation des Roches, composée de treize agriculteurs qui gèrent ensemble des réserves d’eau. La Confédération paysanne songe aussi à adopter la désobéissance civile comme mode opératoire. « Il y a des réflexions en cours sur les différentes possibilités d’intervention », indique Caroline Nugues, chargée de la communication du syndicat paysan.

Le porte-parole de Bassines non merci défend de son côté la nécessité impérieuse de « de reprioriser les usages de l’eau tel que la loi sur l’eau l’impose ». Selon la loi, l’eau potable arrive en tête des priorités, avant la préservation de l’eau des milieux et des écosystèmes naturels. Arrive ensuite l’eau destinée à la production agricole ou industrielle.

L’agroécologie comme alternative

Un rapport parlementaire du député Modem Philippe Bolo et du sénateur LR Gérard Longuet, publié en mars, conforte en partie les anti-bassines dans leur argumentaire. Le document sur « les aspects scientifiques et technologiques de la gestion quantitative de l’eau » affirme que les retenues de substitution alimentées par pompage de nappe phréatique ou de rivière présentent « divers inconvénients, qui dépendent notamment de la nature de l’ouvrage et de son emplacement ». Le rapport examine les alternatives possibles à ce type de projet, et mentionne « l’adaptation des modes de culture, notamment l’adoption de pratiques agroécologiques ».

C’est justement ce que défend Bassines non merci. « Aujourd’hui, on est en train de payer le prix fort d’une hyper spécialisation des territoires. On va privilégier le maïs, pour l’export, qui est une céréale très gourmande en eau alors que nous n’avons ni les sols ni le climat pour qu’il se développe spontanément. Là où des solutions vertueuses consisteraient à remettre en place d’urgence la polyculture ou l’agroécologie », dénonce Julien Le Guet. À ses yeux, la seule voie honorable de sortie du conflit autour des méga-bassines est « la remise à plat de l’ensemble des projets ».

Pour l’instant, les fronts se durcissent plutôt. Ces derniers mois (par exemple en mars dans la Vienne et les Deux-Sèvres), des réserves ont été dégradées. « Il y a six bassines en tout qui ont été mises hors état de nuire dans les Deux-Sèvres », recense Julien Le Guet. Il assure qu’il s’agissait d’actions menées par des individus isolés, qui n’ont pas de lien avec le collectif. « Mais elles dénotent le niveau d’exaspération », ajoute-t-il. Des plaintes ont été déposées.

Samir Tazaïrt
Photo de Une : © Guy Pichard