Y a-t-il eu un passe-droit de l’État ce week-end pour des agriculteurs manifestant dans le Marais poitevin en vue de contrer un rassemblement d’opposants à des projets de méga-bassines ? Réunis à l’appel de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs (JA), ces manifestants ont pu accéder au chantier d’une retenue d’eau géante sans heurts avec les forces de l’ordre. Le site était pourtant situé au cœur des zones interdites par le préfet dans un arrêté publié deux jours plus tôt.
Zones interdites par la préfecture
Prévue depuis plusieurs semaines à Mauzé-sur-le-Mignon dans les Deux-Sèvres, une manifestation d’opposants aux méga-bassines - ces réservoirs d’eau géants destinés à irriguer les grandes cultures, maïs en tête (lire notre reportage) - a dû changer de trajectoire au dernier moment. « On s’est entretenus avec la préfecture le mercredi 3 novembre, explique Julien Le Guet, porte-parole de Bassines Non Merci [1]. Ils ne voulaient pas que l’on s’approche du chantier. Le lendemain, on a proposé un tracé alternatif à celui prévu, en restant à distance de la bassine. Mais en fin d’après midi la préfecture a publié un arrêté annonçant que la zone pressentie serait interdite d’accès. »
Raisons de ces interdictions : la crainte de « graves troubles à l’ordre public » ; et notamment d’ « affrontements entre les parties opposées ». Car entre-temps, la FNSEA a fait savoir qu’elle comptait venir sur le chantier de la bassine de Mauzé pour empêcher toute tentative d’intrusion. « Le 6 novembre prochain, les "anti-tout" ont pour ambition de stopper à nouveau le chantier de la réserve de Mauzé-sur-le-Mignon. Il est hors de question que le travail de concertation effectué par les parties prenantes pour la construction d’un vrai projet de territoire soit anéanti par une minorité d’ayatollah, peut-on lire sur l’appel publié mercredi 3 novembre par le syndicat agricole. Cette mobilisation est bien plus qu’une simple mobilisation départementale, c’est un enjeu national. Ces projets prometteurs doivent pouvoir voir le jour sur le sol français. »
Barrages de policiers face aux manifestants anti-bassines
« En prenant ces mesures [d’interdiction], le préfet des Deux-Sèvres préserve le droit de manifester dans des conditions qui garantissent la sécurité de tous », affirme la préfecture dans un communiqué. « On ne voulait absolument pas provoquer de heurts, intervient Mathieu Durand, de Bassines non merci. Mais on voulait que les manifestants puissent avoir accès au site, pour qu’ils se rendent compte de ce que signifie concrètement un chantier de bassine », à savoir un paysage lunaire. « Nous avons maintenu le rendez-vous initial dans le centre de Mauzé, qui n’était pas interdit, poursuit Julien Le Guet, mais nous avons dû ensuite modifier notre tracé, couper à travers champs, traverser à pied un cours d’eau et essuyer des tirs de lacrymos. »
« Les manifestant.e.s ont ensuite collectivement investi le site d’une méga-bassine illégale de 5 hectares (180 000 m3), et ce malgré un fort dispositif policier, précise la Confédération paysanne, syndicat agricole très engagé dans la lutte. La pompe qui alimente la bassine et puise directement dans la nappe phréatique a été démontée par des paysan.ne.s et emmenée. Une fois la foule montée sur le talus de la bassine, un débâchage a été effectué pour la mettre hors d’état de nuire. La bassine a ainsi été vidée et l’eau rendue à la nappe ! » L’action a été vivement critiquée par les ministres de l’Agriculture et de l’Intérieur ; la préfecture faisant état de trois blessés chez les gendarmes, dont un assez gravement, avec une interruption temporaire de travail de 10 jours.
Laissez-passer et laissez-faire côté pro-bassines ?
Côté pro-bassines, pas d’affrontements avec la police semble-t-il ; alors que le rassemblement s’est tenu au cœur de la zone interdite par la préfecture, sur le chantier de méga-bassine de Mauzé. « On a eu d’un côté des manifestants auxquels on a fait barrage et de l’autre des agriculteurs qui ont réussi à s’introduire sur le site sans aucun problème », s’étonne Mathieu Durand. Comment 500 personnes ont-elle fait pour s’introduire à un endroit où « les cortèges d’engins agricoles et toute autre manifestation [étaient] interdits de 0 h 00 à minuit » ? « Ils ont présenté un laissez-passer que leur ont délivré les syndicats », croit savoir Julien Le Guet.
De fait, l’appel à mobilisation de la FNSEA mentionne en « aspect pratique » les conseils suivants : « Dans ce contexte d’opposition, pour pouvoir accéder au site de la manifestation et passer les barrages des forces de l’ordre, vous devez impérativement présenter cet appel à mobilisation sur votre téléphone ou en version papier. » Contactée par Basta!, la préfecture dément tout passe-droit accordé aux agriculteurs qui se sont rendus sur le chantier. « L’endroit était interdit aux manifestations », résume le service de presse.
De son côté, la FNSEA précise au téléphone que « les gens devaient présenter le laissez-passer pour entrer sur le site du chantier, qui est un lieu privé. Ils devaient simplement prouver aux organisateurs qu’ils étaient bien invités à venir. Ce ne sont pas les gendarmes qui ont effectué les contrôles. D’ailleurs, il était précisé que les gens devaient arriver avant 10h00 car ensuite il y avait des barrages routier ». Les forces de police ont donc attendu que les manifestants rejoignent tranquillement le site avant d’en boucler les accès ? « On a vraiment l’impression d’avoir à faire à des milices privées qui défendent des intérêts particuliers avec la bénédiction de l’État », proteste Mathieu Durand.
Ces agriculteurs seront-ils condamnés, ou au moins rappelés à l’ordre, pour cette appréciation toute personnelle de ce qu’est une zone interdite ? Pour l’instant, cela ne semble pas à l’ordre du jour. Du côté des anti-bassines, on s’attend par contre à de nouveaux signes de répression. La manifestation du 22 septembre dernier s’était soldée par « cinq gardes à vue avec perquisitions des ordis et téléphones », précise Mathieu Durand. Par ailleurs, une centaine de manifestants ont reçu des contraventions pour « défaut de stationnement », suite aux rassemblements de la fin septembre [2].
« Cela concerne des stationnements en rase campagne, sur le bas-coté des routes, précise Julien Le Guet. Il n’y avait pas de signalisation de stationnement interdit ; et la sécurité routière n’était absolument pas en jeu. » Une contestation collective de ces contraventions est en préparation. « Nous ne savons pas encore s’ils vont faire de même pour le rassemblement de ce week-end, termine Mathieu Durand. Pour le moment, seuls des agriculteurs de la Confédération paysanne rentrant chez eux avec leurs tracteurs après la manifestation ont été verbalisés. »
Nolwenn Weiler
Photo : Collectif Bassines non Merci.