Le rendez-vous n’était initialement pas inscrit dans l’agenda d’Emmanuel Macron sur le site de l’Élysée. Le 27 novembre, des lobbyistes brésiliens de l’agroindustrie ont été reçus par le président de la République. Cette rencontre est intervenue alors que le même jour, une très large majorité de députées a voté à l’Assemblée nationale une résolution demandant à Emmanuel Macron de bloquer l’accord entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay). Contacté par Basta!, l’Élysée confirme cette rencontre et indique, suite à nos demandes de précisions, avoir « mis à jour » l’agenda.

« Lors de cette rencontre, le chef de l’État a échangé, comme il le fait régulièrement, avec des dirigeants d’entreprises brésiliennes déjà implantées en France ainsi que des investisseurs potentiels, écrit l’Élysée. Tous les secteurs industriels étaient représentés : transition écologique, mode, art de vivre, ingénierie et construction... »
Dans sa réponse, l’Élysée omet de mentionner la présence des représentants brésiliens de la filière bovine. Or, c’est précisément l’arrivée massive en Europe de viande bovine en provenance du Mercosur, à des prix défiant toute concurrence, qui inquiète le monde agricole français.
Une multinationale brésilienne
José Batista Junior figurait ainsi parmi les invités à l’Élysée. Il est le fils du fondateur de la multinationale agroalimentaire brésilienne JBS, entreprise dont il a été dirigeant pendant trente ans, et est désormais à la tête de JBJ, entreprise d’élevage de bovins. Juste avant la rencontre, le Brésilien a précisé ses intentions lors du forum d’affaires Brésil-France, organisé par le groupement d’entreprises brésilien LIDE, qui se tenait le matin au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
« Le plus important est de clarifier et de rassurer, surtout les producteurs français et européens dans leur ensemble, que nous ne sommes pas là pour nuire, mais pour aider à approvisionner, à contenir l’inflation et à établir cette connexion tant pour l’importation que pour l’exportation, afin que tous les pays puissent faire de bonnes affaires », a dit l’homme, cité par RFI.
Les demandes du mastodonte de la viande bovine
Peu connue en France, JBS est le mastodonte du secteur de la viande avec un chiffre d’affaires de 66 milliards d’euros. Cette multinationale de l’élevage regroupe 270 000 collaborateurs répartis à travers le monde, exporte vers 150 pays et se dit en mesure d’abattre 75 000 bovins par jour.
Une enquête de l’ONG Greenpeace, rendue publique en septembre, a montré que le groupe JBS a commercialisé des bovins élevés sur des terres déboisées illégalement puis transférés dans d’autres propriétés. Selon Greenpeace, l’accord UE-Mercosur permettrait à JBS de réaliser jusqu’à 1,7 milliard d’euros de bénéfices supplémentaires avant impôts.
En échange de l’exportation vers le Brésil de biens et de services notamment dans le secteur automobile, l’accord doit permettre à l’agroindustrie brésilienne d’exporter davantage de sucre, de bœufs et de volailles en Europe à travers des droits de douanes réduits. Bien que les syndicats agricoles français s’accordent sur le risque d’effondrement économique des filières agricoles françaises, leurs voix ne se sont pas faites entendre lors de cet événement.
Emmanuel Macron « ne s’oppose pas à l’avancée de l’accord »
Que s’est-il dit lors de la rencontre entre Emmanuel Macron et les représentants de l’agroindustrie brésilienne ? L’Élysée n’a pas répondu à Basta! sur la teneur des échanges, précisant simplement que « l’objectif était, comme toujours pour ce type d’exercice, de pouvoir attirer des investisseurs potentiels en France ». Pourtant, le patron du groupement industriel brésilien LIDE, organisateur de cette rencontre, Luiz Fernando Furlan, a été très clair concernant la position d’Emmanuel Macron : « Il soutient l’accord Mercosur-UE, avec des conditions déjà connues ».
Pour le collectif national Stop Mercosur, « c’est un nouvel exemple du double jeu du Président de la République : dire qu’il n’est pas (encore) satisfait de l’accord, tout en rassurant les milieux économiques derrière des portes closes sur le fait que cet accord nocif verra bien le jour ».
Les 46 organisations de la société civile, qui ont écrit à Emmanuel Macron en octobre dernier, ainsi qu’à plusieurs ministres dont celui des Affaires étrangères, n’ont reçu aucune réponse à leur lettre ouverte jusqu’à aujourd’hui.
Vote décisif le 18 décembre
Les prochaines semaines seront décisives. Le 18 décembre doit se tenir le Conseil européen lors duquel les chefs d’État et de gouvernement de l’Union doivent décider de donner leur accord, ou non, à la ratification de ce traité avec le Mercosur. Pour être adopté, le volet commercial du traité doit recueillir le soutien d’une majorité qualifiée des États membres – a minima 15 pays sur 27, représentant au moins 65 % de la population de l’UE.
Alors que le collectif Stop Mercosur appelle Emmanuel Macron à constituer une minorité de blocage, ce dernier a multiplié les déclarations semant le doute. Mi-octobre, il se déclarait « plutôt positif » sur l’obtention de « clauses de sauvegarde », avant de déclarer mi-novembre que le traité, « tel qu’il existe aujourd’hui, recueillera un non très ferme de la France ». Le collectif Stop Mercosur redoute qu’Emmanuel Macron accepte la ratification de l’accord, « en contrepartie d’une clause de sauvegarde et de mesures miroir qui ne changeront pas le caractère nocif de cet accord ».
Une campagne est en cours en France pour interpeller le gouvernement et demander aux collectivités locales de s’engager.
