Mine de lithium en France : contestations et inquiétudes au niveau local

par Valentin Caball, Violeta Ramirez

Quelles seront les répercussions environnementales de l’éventuelle exploitation d’une mine de lithium dans l’Allier ? « L’eau concentre toutes les inquiétudes », soulignent Violeta Ramirez et Valentin Caball qui ont mené des enquêtes de terrain.

[Mise à jour le 8 juillet 2024 : Le gouvernement a publié un décret le dimanche 7 juillet faisant de l’extraction de lithium dans l’Allier un « projet d’intérêt national majeur ». La Commission nationale du débat public (CNDP) organise pourtant un grand débat public sur le sujet jusqu’au 31 juillet 2024.]

Dans un précédent texte, nous expliquions pourquoi le projet de mine de lithium de l’Allier a été accueilli favorablement par une bonne partie de la population locale. Parmi les facteurs expliquant cette réception se trouve le fait que l’extraction minière constitue une activité ancrée historiquement dans le territoire des Combrailles, ayant marqué durablement l’identité et la mémoire locales. À cette perception du projet comme étant en continuité avec l’identité du territoire, s’ajoute l’expectative locale que l’activité de la mine de lithium redynamise la région, en créant de l’emploi et en favorisant le maintien des commerces et services locaux. 

Cette vision du projet de mine n’est évidemment pas la seule suscitée par l’annonce du projet par l’entreprise Imerys en octobre 2022. Lorsque les facteurs mentionnés ci-dessus perdent relativement en importance, une réception plus défavorable du projet a lieu, centrée fondamentalement dans les répercussions environnementales de l’éventuelle exploitation. Alors que la vision favorable domine, sans être unanime, à Échassières (commune d’implantation du site d’extraction), dans d’autres communes également concernées par le projet, celui-ci fait l’objet d’une forte contestation.

C’est le cas de la commune de Saint-Bonnet-de-Rochefort, situé à 15 km d’Échassières, vers où le mica lithinifère serait conduit par canalisations pour être ensuite chargé dans des trains en direction de l’usine de conversion. Par ailleurs, des habitants de différentes communes entourant le site d’extraction (Échassières, Louroux-du-Bouble, Coutansouze, Bellenaves, Servant, Nades, etc) se sont rassemblé dans des associations et collectifs pour lutter contre ce projet extractif, dénonçant ses impacts et le modèle productiviste derrière l’extraction. Enfin, même à l’intérieur des groupes d’habitants portant une vision favorable, des interrogations et inquiétudes subsistent, notamment concernant la ressource en eau.

Opposition aux infrastructures locales

Le projet EMILI (Exploitation de mica lithinifère par Imerys) prévoit la construction d’une usine de chargement qui réceptionnera par canalisations la matière première extraite et concentrée sur le site d’Échassières, pour qu’elle soit transportée en train à l’usine de conversion prévue près de Montluçon. Le site doit donc se situer près de la ligne ferroviaire connectant Clermont-Ferrand à Montluçon. Très vite, en avril 2023, des rumeurs courent sur le choix de la commune de Saint-Bonnet-de-Rochefort pour réaliser le chargement.

Aussitôt, des habitants se mobilisent et constituent le collectif des riverains SBR. « On ne peut pas laisser faire ça ici, c’est juste pas possible. Parce que c’est notre commune, c’est chez nous, parce que c’est pas ça ce qu’on veut pour notre futur, et parce que on pense qu’il y a d’autres axes de développement que ce genre de choses », explique une habitante du hameau Chalignat. L’opposition se diffuse dans la commune qui se retrouve habillée de banderoles signalant en lettres capitales « Non au chargement du lithium à Saint-Bonnet-de-Rochefort ». Si bien qu’en mai 2023, la mairie a voté une motion objectant la construction de ladite usine dans le périmètre de la commune. 

Situé dans la plaine agricole et non dans la région des Combrailles, Saint-Bonnet n’a pas connu d’activité minière dans son territoire et cette activité n’est pas donc inscrite dans son identité. Par ailleurs, la commune compte dans son périmètre la zone d’activité Naturopôle nutrition santé, regroupant plusieurs entreprises spécialisées dans la transformation de matières végétales et générant environ trois cents emplois. Ainsi, la commune mise surtout sur le maintien et le développement de ce pôle d’activités, l’activité agricole et le tourisme pour assurer l’économie locale.

Labellisé “Station Verte” (comme Échassières), le village craint que l’implantation d’une usine de chargement ne s’oppose à l’identité qu’il s’efforce de construire depuis plusieurs décennies, alors qu’Imerys maintient sa décision. « On se sent mis au pied du mur, témoigne une membre du collectif SBR. C’est comme si on nous disait c’est comme ça et pas autrement ».

Contre « la mine et son monde »

L’association Préservons la forêt des Colettes, créée en 2019 pour lutter contre un projet de parc éolien au sein de la forêt des Colettes, fut la première à se mobiliser contre le projet de mine. Elle a été suivie par la création de l’association Stop mines 03, qui a suivi le modèle de Stop mines 23 dans la Creuse. Alors que Préservons la forêt des Colettes s’est consacré au décorticage technique du projet de mine et de ses impacts, Stop mines s’est d’emblée déclaré contre « la mine et son monde ». Constituées pour l’essentiel d’habitants des différentes communes autour du site d’extraction, les deux associations ont régulièrement collaboré depuis le début de la mobilisation pour organiser actions et réunions d’informations.

Cette contestation locale alerte sur les répercussions environnementales de la possible exploitation en termes de pollutions, consommation d’eau et impacts sur la forêt. Elle dénonce ainsi la contradiction des projets de transition énergétique, notamment l’extraction minière, avec le respect de la biodiversité et de la ressource en eau en temps d’incertitude climatique. Les représentantes de cette contestation prônent la modération de la demande, c’est-à-dire, la sobriété.

Ces arguments se font entendre depuis le début du débat organisé par la Commission nationale du débat public : « La construction d’un SUV est égale à la construction de cinq citadines [...] Donc, je suis assez étonné du fait qu’aucune des tables rondes de la Commission nationale du débat public ne porte sur les usages du lithium », dit un habitant de Servant dès la première réunion de ce débat, le 12 mars dernier.

Suite au débat public, des branches locales d’associations nationales ont apporté leur soutien aux mouvements de contestation, comme France nature environnement ou la Confédération paysanne. Ces associations se rejoignent sur la nécessité de définir, au préalable de l’ouverture de la mine, les conditions de la transition énergétique annoncée.

Inquiétude pour la ressource en eau

De façon plus partagée, l’eau concentre toutes les inquiétudes. Alors qu’une bonne partie des habitants d’Échassières se montre confiante voire enthousiaste par rapport aux bienfaits du projet pour le développement du territoire, la question de l’eau semble être le point non-négociable dans l’acceptation du projet.

Notamment quant aux répercussions que pourrait avoir l’extraction sur l’écoulement naturel des eaux du bassin versant de la Bosse, sommet du massif et lieu d’extraction. « Il y a de quoi s’inquiéter quand même, il y a beaucoup de paysans qui parlent de l’eau. Allez creuser à 400, 500 mètres sous terre, aller faire une mine de gruyère dans une montagne qui est au-dessus de nous. Il y a une quinzaine de ruisseaux qui démarrent de la Bosse. Si on nous perturbe ça... », s’inquiète un ancien agriculteur d’Échassières.

La question est d’autant plus complexe qu’elle est influencée par le changement climatique, constaté par les habitants de l’Allier lors des dernières années de sècheresse, et rappelé par l’hydrologue Charlène Descollonges lors de la réunion sur l’eau du débat public le 30 mai dernier : « Le changement climatique est à l’œuvre et va très vite. Il faudra essayer d’estimer les incertitudes. On va aller vers des étiages de plus en plus sévères ». Or, c’est seulement quelques jours avant cette réunion sur l’eau qu’Imerys a dévoilé ses "fiches eau" manquantes à son dossier de maître d’ouvrage.

Elles sont le résultat d’études commandées par Imerys et donnent des informations sur les prélèvements nécessaires pour les futures usines de concentration et de conversion. Néanmoins, elles ne décrivent pas avec certitude comment le contexte géohydrologique de la Bosse serait impacté ; elles ne prennent pas non plus en compte les influences que pourrait avoir le changement climatique sur la ressource en eau.

Ainsi, en l’espace d’un an, un réseau local de contestation s’est tissé, concentrant ses arguments sur les impacts environnementaux de l’extraction de lithium dans le contexte du changement climatique. En particulier, la question de la ressource en eau est centrale, largement partagée dans le territoire. Si Imerys apporte des réponses, elles sont jugées insuffisantes, trop imprécises comme l’a souligné Gérard Laplanche, représentant de la Sivom Sioule et Bouble, qui gère l’assainissement et l’eau potable aux alentours d’Echassières : « Ce qui nous gêne, c’est que nous sommes sur des chiffres qui sont des projets et qui sont donc des hypothèses de travail », intervenait-il lors de la réunion du débat public. Bref, l’acceptation locale de la mine n’est pas encore jouée.

Violeta Ramirez, anthropologue, chercheur postdoctoral sur la transition et la sobriété énergétiques, Université Savoie Mont Blanc. Elle est la réalisatrice du documentaire Transition sous tension (2024).

Valentin Caball, photojournaliste

Photo de Une : © Violeta Ramirez

*Les auteurs ont mené, de manière séparée, des enquêtes de terrain à Échassières depuis le début de 2023 jusqu’à aujourd’hui. Violeta Ramirez a mené une enquête ethnographique filmée dans le cadre du projet de recherche TRAM du Labex ITTEM ; enquête qui a donné lieu au documentaire Transition sous tension (2024, 52 minutes). Valentin Caball a réalisé un photoreportage sur la culture locale de cet ancien bassin minier, duquel il a tiré sa série photographique « Wolfram, la bave du loup ».