Mobilisations

En première ligne mais « invisibles » : les animateurs en grève pour la reconnaissance de leur métier

Mobilisations

par Pierre Jequier-Zalc

Les animateurs en école et centre de loisirs sont en grève cette semaine. Le mouvement, d’une ampleur inédite, demande une revalorisation des salaires et que le rôle éducatif de leur métier soit reconnu à sa juste valeur.

La crise est profonde. Les animateurs sont de nouveau en grève ces 14 et 15 décembre après une première journée de protestation le 19 novembre dernier. À l’origine de cette mobilisation, un collectif, France animation en lutte, soutenu par plusieurs syndicats (Solidaires, CGT, CNT). « Dans l’animation, on est invisibles, on était chacun isolé dans nos écoles, nos centres de loisirs. Avec ce collectif on s’aperçoit qu’on vit tous la même chose », confie Anaïs, animatrice périscolaire à Toulouse. Ce métier, c’est sa vocation. Ce mardi et mercredi, comme beaucoup de ses collègues, elle est en grève.

« Ce collectif permet la libération de la parole dans un secteur où il y a beaucoup de différences, mais où il reste toujours un trait commun : la grande précarité », explique Pierre, animateur dans une association d’éducation populaire à Angers, et syndiqué à Asso Solidaires. La précarité est structurelle dans le secteur. Les faibles salaires n’en sont qu’un des aspects.

« On doit refuser des enfants, faute d’animateurs »

Depuis la rentrée 2021, la branche de l’animation est en très forte tension. De nombreux postes ne sont plus pourvus, faute de candidat. Dans la partie privée du secteur, qui regroupe 307 000 postes occupés, on estime à 50 000 le nombre de postes non pourvus. « Je n’ai jamais été confrontée à de telles difficultés de recrutement », souligne Brigitte Dimmers, présidente de l’association Boulogne-sur-Mer Action Jeunesse (BAJ) qui gère entre sept et dix centres de loisirs de la ville selon la période. « Chaque mercredi, on se demande combien on aura d’animateurs, ce qu’on pourra mettre en place. Et ça impacte toujours l’enfant à la fin. C’est ça qui est terrible. » Un directeur de centre de loisirs, qui souhaite rester anonyme, nous confie même être régulièrement obligé de refuser des enfants, faute d’animateurs : « On le fait pour rester dans un cadre légal, tout simplement. On ne peut pas avoir un animateur pour 30 enfants, c’est trop risqué. Pour nous, et pour les enfants. Donc on en laisse à la porte, et ça, quand on est dans l’éducation populaire, c’est le pire. »

Comment expliquer cette pénurie ? Selon les principaux concernés, c’est l’accumulation de plusieurs facteurs, dont la rémunération et la précarité de l’emploi. Dans le secteur public, 40 % des animateurs ne sont pas titulaires de leur poste. Un tiers des animateurs salariés du secteur privé dont l’animation est l’emploi principal ne sont pas en CDI. Le chiffre monte à 63 % si on y ajoute les emplois annexes, pour celles et ceux qui font de l’animation en plus d’une autre activité [1]. À cette précarité contractuelle s’ajoute celle des temps partiels subis. « Presque personne n’a de temps plein. Dans l’animation on n’a que des petits contrats de 12, 14 ou 16 heures par semaine », déplore Dimitri, animateur dans le périscolaire à Toulouse et membre du collectif France animation en lutte.

C’est le problème des horaires découpés. « Prenez une journée de base dans le périscolaire. Un animateur va être payé de 7 h 30 à 8 h 30 lors de l’accueil des enfants le matin, de 11 h 30 à 13 h 30 pour la pause de midi et de 15 h 30 à 17 h 30 pour les temps d’activité périscolaire », explique Dimitri. « C’est totalement absurde. C’est comme si on payait les pompiers seulement lorsqu’ils éteignent un incendie, ça n’a aucun sens », regrette Pierre, d’Asso Solidaires.

600 euros par mois

Un chiffre illustre les conséquences de ces horaires : dans le privé, il y a 307 000 postes d’animateurs pour seulement 87 000 équivalents temps plein. Ces petits contrats, payés à peine plus qu’au Smic horaire, ont forcément un impact sur les rémunérations. « Avec mon contrat en horaires découpés en accueil périscolaire, je gagne 600 euros par mois, souffle Anaïs. Pendant quelques mois j’ai vécu qu’avec ça. Maintenant je complète en bossant en centre de loisirs pendant les vacances, où je fais 40 heures par semaine. À la fin, avec tout ça, je touche un peu moins que le Smic. »

Parmi les revendications du mouvement figurent notamment une « réelle revalorisation salariale », mais aussi des CDI à temps plein dans le secteur privé, la titularisation de l’ensemble des animateurs du secteur public et la rémunération des temps de préparation. « On passe des heures à monter des projets pédagogiques, à faire des réunions d’équipe, à préparer des animations. Et nous sommes très rarement payés pour ces temps-là », note Anaïs. « Je travaillais en centre de vacances. Certains soirs, je bossais jusqu’à 3 h du matin pour préparer des chorégraphies. Je n’ai jamais été payée pour ça », rapporte Ambre, animatrice dans le sud de la France. « Une heure travaillée doit être une heure payée. Point », défend Vincent, animateur en périscolaire à Maizières-les-Metz, en Moselle, et délégué syndicale CNT.

« On n’est pas une garderie »

La non-prise en compte des temps de préparation est centrale dans le mal-être global de la profession. « Plus que la question des salaires, c’est celle de la reconnaissance de notre activité qui se pose aujourd’hui », explique Grégoire Ramet, directeur de centre de loisirs à Boulogne-sur-Mer. Sur la dizaine d’animateurs et d’animatrices avec lesquels basta! a échangé, tous clament la même phrase : « On n’est pas une garderie ! » « On accompagne l’enfant dans ces premiers pas, on porte un projet éducatif, on transmet des valeurs, on leur apprend des choses », poursuit Grégoire Ramet.

La baisse des taux d’encadrement dans les accueils périscolaires organisé par les villes [2] en 2016 a également très mal été vécue par la profession. D’un animateur pour 14 enfants en élémentaire, le quota est passé à 1 pour 18. En maternelle, le 1 pour 10 a été abaissé à 1 pour 14. « Ça n’a pas de sens. Si les villes mettent en place un projet éducatif, elles peuvent baisser les taux d’encadrement, c’est absurde. On n’est pas une garderie mais quand on cumule tout, on se dirige tout droit vers ça, souligne Dimitri. On est en train de tuer l’animation, tout simplement », souffle l’animateur toulousain. Ce quota d’un animateur pour 18 enfants en école élémentaire est allègrement dépassé, faute de postes pourvus, dans plusieurs écoles de Seine-Saint-Denis et font également l’objet de mobilisations de parents d’élèves, notamment à Montreuil et Noisy-le-Sec.

Depuis plusieurs années, le métier se professionnalise sans être pour autant revalorisé, ni économiquement, ni symboliquement. Un des meilleurs exemples est sans doute celui des contrats d’engagement éducatif. Ils ne dépendent pas du Code du travail mais du Code de l’action sociale et des familles, et prévoient une rémunération minimum de 23,06 euros brut par jour. « C’est inadmissible. Ces contrats sont l’héritage d’une époque qui est aujourd’hui révolue. Les professionnels du métier ne peuvent plus accepter ça », souligne Nathanaël, animateur à Caen.

« L’État est resté bloqué dans une vision "job d’été" »

Face à la crise du recrutement, Sarah El Haïry, la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, chargée de la Jeunesse et de l’Engagement a annoncé plusieurs aides au secteur. La principale : une aide de 200 euros pour 20 000 jeunes afin de les encourager à passer le brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (Bafa). « On voit bien là que l’État ne reconnaît pas la profession d’animateur et est resté bloqué dans une vision "job d’été" qui n’est plus la bonne », note Brigitte Dimmers.

« Cette aide est une non-valorisation de l’animation comme une vraie branche professionnelle », renchérit Pierre, d’Asso Solidaires. Du côté d’Hexopée, organisation représentative des employeurs de la branche privée de l’animation, on salue tout de même ce premier geste. « Moins de gens ont passé le Bafa durant la crise sanitaire. Donc, ça va rebooster la demande pour passer le brevet, même si ça ne résout pas tous les problèmes », explique David Cluzeau, son délégué général.

Certains professionnels du secteur mettent en doute l’utilité même de cette formation. « On voit les jeunes qui arrivent chez nous avec le Bafa. Ils ont eu des formations express et ne savent même pas élaborer un projet pédagogique. Les centres de formations Bafa sont une pompe à fric, c’est tout », tranche Isabelle Debienne, directrice pédagogique de Boulogne Action Jeunesse. « Le Bafa est une vaste blague à la portée du premier venu. C’est un brevet qu’on passe quand on fait ça en tant que job étudiant en attendant de trouver un "vrai" travail. Sauf que bien des gens n’ont que ça pour travailler dans l’animation actuellement », souligne Florent, qui s’est écarté du métier suite à un burn-out.

Des formations non professionnalisantes ajoutées à un marché du travail extrêmement précaire aboutissent à un turn-over très important. « La durée moyenne des carrières c’est cinq à six ans », explique Nathanaël, d’Asso Solidaires. « Ça fait dix ans que je suis animateur. J’en ai vu beaucoup obligés de partir dans des boulots alimentaires simplement pour pouvoir vivre. Alors que l’animation était leur vocation », assure Dimitri. « Aujourd’hui, bosser dans l’animation, c’est souvent entraver ses projets de vie. Donc dès qu’on peut, on en part, malgré une vocation initiale », abonde Pierre. La garantie d’une évolution professionnelle par des diplômes reconnus par l’État comme le brevet de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport (BPJEPS) est également une des revendications de l’intersyndicale.

Des assises de l’animation... sans les animateurs

Pour essayer de résoudre cette profonde crise, Sarah El Haïry a également annoncé fin octobre le lancement des Assises de l’animation. Problème : les représentants des salariés n’y sont pas conviés ! « On a été consulté en amont, mais on n’est pas invités à la table des discussions. Tant qu’on n’y est pas, on n’en attend rien. C’est encore plus méprisant. Comment voulez-vous que le métier soit revalorisé ? Nous, nous voulons ouvrir une vraie et grande négociation », dit Pierre, d’Asso Solidaires. « On ne veut pas un nouveau numéro vert », ironise Florent. Les premières réunions entre organisations d’employeurs, l’État et certaines collectivités territoriales se sont tenues en novembre. De nouvelles doivent avoir lieu cette semaine. « Je pense que ces assises vont se poursuivre jusqu’à l’année prochaine, note David Cluzeau, présent lors des premières réunions, Nous voulons trouver des solutions à des situations complexes. Je vois ces assises comme une opportunité pour faire quelque chose de bien. On espère ne pas être déçus. »

Sur ce dernier point, tout le monde, au moins, est d’accord. Les attentes du côté des animateurs sont immenses, accentuées par deux ans de crise sanitaire particulièrement éprouvantes. « On est en première ligne depuis le début. Mais encore une fois, personne ne parle de nous, on est invisibles », souffle Dimitri. « On fait de l’humain, on travaille avec des enfants. Avec tous les protocoles sanitaires, on doit refuser des câlins d’enfants de maternelle qui ont des chagrins. C’est pas notre métier ça… », souffle Vincent.

Pierre Jequier-Zalc

Photo : © Anne Paq (issue de ce reportage de basta!)

Notes

[1D’après le « Rapport de la branche professionnelle des métiers de l’éducation, de la culture, des loisirs et de l’animation », Quadrat études, mai 2020.

[2Dans le cadre des projets éducatifs territoriaux (PEDT).