Mobilisation internationale contre Tesla : « Elon Musk agit ici comme au Far West »

par Rachel Knaebel

L’entreprise du milliardaire Elon Musk produit des véhicules électriques près de Berlin, en Allemagne. Le projet d’agrandissement du site attise la contestation, alors que les syndicats y bataillent pour de meilleures conditions de travail.

« Il y a beaucoup de raisons pour lesquelles on peut être contre Tesla, et beaucoup de raisons pour lesquelles on peut être contre une nouvelle usine automobile. » Esther habite au sud de Berlin. C’est à quelques kilomètres de chez elle que l’entreprise automobile du milliardaire Elon Musk, Tesla, a installé un immense site de fabrication de voitures électriques, une « gigafactory » comme l’appelle la multinationale. Environ 12 000 personnes y travaillent pour l’instant. La production de véhicules électriques y a débuté en 2022. Mais des habitants des alentours et des activistes écolo s’opposent à l’entreprise depuis le lancement du projet, en 2019.

L’an dernier, Tesla a annoncé vouloir agrandir davantage le site. Pour ce faire, 50 hectares de forêt doivent être rasés. Ce qui a encore attisé la contestation. Fin février, des militants ont installé un campement dans les arbres menacés. La police a essayé à plusieurs reprises de le faire évacuer, sans succès, la justice ayant tranché à chaque fois en faveur du droit à manifester, même perché.

Un panneau de rue "Tesla Strasse" devant le chantier d'un bâtiment en construction et une forêt dans le fond.
Sur le site de la « gigafactory » de Tesla alors en construction à Grünheide, en 2021.

Une mobilisation internationale est prévue sur le site cette semaine, du 8 au 12 mai. Plusieurs milliers de personnes sont attendues. En mars, l’incendie d’un pylône d’une ligne haute tension avait mis à l’arrêt l’usine. Le sabotage avait été revendiqué par un groupe antifasciste, le Vulkangruppe.

Tapis rouge pour Tesla

Pour Esther, qui participe à l’initiative « Couper le robinet à Tesla », la raison de s’opposer à cet agrandissement, c’est avant tout la protection de la ressource en eau. « Tesla utilise pour son usine des produits chimiques qui restent dans les sols, et des nitrates. Et Tesla s’autorégule, ce sont eux qui mesurent si les limites sont tenues. Ils ont négocié cela avec le gouvernement régional, critique-t-elle. Tesla s’est vu dérouler le tapis rouge par les autorités. La région était si enthousiaste que Tesla s’installe ici qu’elle a promis de faire des exceptions aux règles environnementales. »

L’opposition à l’entreprise dépasse les cercles militants. En février, la commune sur laquelle se trouve le site, Gründheide, a organisé une consultation de ses quelque 5000 habitants au sujet de l’agrandissement. Plus de 60 % se sont prononcés contre. « Mais le coin est divisé, admet Esther. Nous avons fait du porte-à-porte au moment de cette consultation. On a parlé aux gens, on leur a demandé ce qu’ils pensent de l’usine. Il y en a aussi qui sont pour, qui disent que ce sont des emplois. »

La région du Brandebourg, autour de Berlin, a longtemps connu, comme le reste de l’ex-Allemagne de l’Est, un chômage bien plus important que dans l’ouest du pays, et des salaires bien plus bas. Alors, la promesse de plus de 10 000 emplois industriels dans la production de voitures électriques, secteur présenté comme d’avenir à l’heure de la transition écologique, a largement séduit les autorités locales. « Tesla est l’exemple le plus marquant de la nouvelle dynamique économique du Brandebourg. Ensemble, nous construisons une nouvelle chaîne de création de valeur pour l’e-mobilité, pour une croissance économique durable et pour la neutralité climatique », se félicitait le chef du gouvernement régional au moment du lancement de la production en 2019. 

Hostile envers les syndicats

« Sur le principe, nous ne sommes pas contre ce site de production de Tesla, et nous nous sommes toujours battus pour des emplois industriels dans la région. Car là où il y a de l’industrie, il y a de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail », souligne auprès de Basta! Sebastian Walter, élu du parti de gauche Die Linke au parlement régional du Brandebourg. Pourtant, lui aussi s’oppose à Tesla. « Dès 2019, nous avons alerté sur les pratiques d’Elon Musk, très hostiles envers les syndicats, dans les autres pays où il est installé. »

Une foule de dos dans les bois devant une banderole "Water is a human right", une cabane dans les arbres au loin sur laquelle est accrochée un drapeau antifasciste sur fond vert.
En mars 2024, au campement contre Tesla, pour protéger les 50 hectares de forêt menacés.
© Tesla den Hahn abdrehen

Sur ses sites de production aux États-Unis et en Suède, Tesla a adopté une politique résolument antisyndicale. L’année dernière, le richissime Elon Musk affirmait même qu’il était « en désaccord avec l’idée de syndicats ». En Suède, les salariés de Tesla et la Fédération syndicale de l’industrie mènent une grève depuis l’automne pour obliger Tesla à accepter de négocier une convention collective. En Allemagne, le puissant syndicat IG Metall conduit une bataille similaire depuis deux ans sur le site de Grünheide, pour une convention collective et de meilleures conditions de travail.

Suppressions d’emplois

« Nous avons besoin d’emplois de qualité dans la région, et cela signifie avec des conventions collectives, appuie Sebastian Walter. Ce sur quoi on avait alerté s’est vérifié. Ici comme aux États-Unis, Elon Musk prétend que les travailleurs de Tesla ont les mêmes intérêts que la direction, c’est-à-dire que l’entreprise se porte bien. Ce discours porte dans notre région, où les gens sont encore traumatisés par les conditions d’après la réunification, quand le chômage était très élevé. »

En avril, Tesla a annoncé supprimer des centaines d’emplois sur son site allemand, et 10 % de ses emplois au niveau mondial. À Grünheide, c’est 300 intérimaires et 400 permanents qui vont se retrouver sur le carreau. Les médias avaient d’abord parlé de 3000 suppressions d’emplois sur le site, soit un quart des effectifs.

« Ils ne pouvaient pas licencier autant qu’ailleurs, car on a en Allemagne une protection forte contre les licenciements. Pour licencier plus, il aurait fallu négocier un plan social avec les représentants du personnel, avec des indemnités. La direction de Tesla ne le voulait pas, pense Sebastian Walter. Elon Musk agit ici comme si c’était le Far West. Et comme dans l’est de l’Allemagne, on a peu de représentation du personnel, des salaires plus bas et des conditions de travail moins bonnes, les autorités laissent faire », accuse l’élu de gauche.

La résistance pourrait finalement venir du conseil municipal de la petite commune de Grünheide. « On attend une décision du conseil communal le 16 mai sur l’agrandissement et la destruction des 50 hectares de forêts », précise Esther. La mobilisation internationale de cette semaine, « c’est aussi pour envoyer un message aux gouvernements régional et fédéral, pour qu’ils reconnaissent et acceptent le vote du conseil municipal ».

Rachel Knaebel

Photo de Une : Le campement dans la forêt menacée par l’agrandissement de l’usine Tesla le 19 février 2024/©Tesla Stoppen.