Mouvement social

Le ras-le-bol des pêcheurs bretons, entre baisse des revenus et injonctions écologiques

Mouvement social

par Guy Pichard

En marge des protestations contre la réforme des retraites, en Bretagne les pêcheurs se mobilisent aussi pour exprimer leur ras-le-bol contre les crises qui pressurisent la filière, dont le prix du gasoil qui monte en flèche. Reportage.

« Quand j’ai commencé mon métier de caseyeur avec mon patron, nous avions 320 casiers et nous gagnions bien notre vie. Aujourd’hui, nous sommes quatre à bord et nous levons 900 casiers par jour pour seulement y arriver ». Le constat de Yann Didelot, patron-armateur du chalutier breton Komz me Rèr à Lorient (Morbihan), est sans appel. Une partie de la pêche française souffre des crises à répétition, comme celles du Covid et du Brexit. Les travailleurs du secteur s’étaient donné rendez-vous à Rennes le 22 mars. Ils étaient environ 500, essentiellement des marins-pêcheurs venus de la façade ouest des côtes françaises.

Sans slogan ni pancarte, ce rassemblement était prévu depuis quelques semaines. « Si nous en sommes à manifester, c’est que nos revenus ont baissé drastiquement et que nos entreprises ne dégagent même plus d’économie. Nous sommes en flux tendu », déplore David Le Quintrec, patron pêcheur de l’Izel Vor II, basé à Lorient également et porte-parole de la contestation. S’ils ne sont pas concernés par la réforme des retraites en raison de leur régime spécial, les pêcheurs en colère s’estiment en revanche accablés par l’inflation, la législation et les règlements.

Yann Didelot et David Le Quintrec.
Yann Didelot, patron-armateur du Komz me Rèr et David Le Quintrec, patron-pêcheur de l’Izel Vor II, à Lorient.
©Guy Pichard

Augmentation du prix du gasoil, fermetures de zones de pêche, éoliennes en mer, quotas, interdiction d’ici 2030 du chalutage de fond dans les aires marines protégées, concurrence de la pêche industrielle... les griefs sont nombreux. « Les pêcheurs sont mécontents et à raison, approuve Thibault Josse, coordinateur de l’association Pleine mer, qui n’a pourtant pas pris part à la mobilisation rennaise la semaine dernière. Nous n’avons pas souhaité nous joindre à eux à Rennes, car les revendications sont trop diverses. Nous sommes en désaccord avec certaines d’entre elles, mais le problème est plus compliqué qu’une simple manifestation, la crise est avant tout structurelle. »

Les dauphins de la colère

Le 20 mars, le Conseil d’État a décidé de fermer certaines zones de pêche « pendant des périodes appropriées » dans le golfe de Gascogne pour protéger les dauphins, « victimes de captures accidentelles lors des actions de pêche ». Des centaines de ces cétacés ont été retrouvés morts ces derniers mois sur les plages du littoral atlantique. Trois associations, Sea Shepherd France, France nature environnement et Défense des milieux aquatiques, ont donc saisi le Conseil d’État, qui a jugé que les dauphins sont « en danger sérieux d’extinction, au moins régionalement ».

Salutaire pour la survie de l’espèce, cet acte fort de la plus haute juridiction du pays ne passe pas chez certains acteurs de la filière de la pêche. « Ils ont raison d’être en colère à ce sujet, tranche Jean Piel, chargé de communication au comité départemental des pêches maritimes et des élevages marins du Morbihan. Du côté des médias, c’est super facile d’attaquer les pêcheurs. Ce sont des gens qui travaillent beaucoup, qui connaissent souvent mieux le milieu marin que les ONG et on est constamment sur leur dos », accuse-t-il.

Des manifestants des fumigènes à la main
©Guy Pichard

D’autres solutions moins radicales auraient été préférables selon la profession, à commencer par les appareils électroniques installés sur les navires pour éloigner les marsouins. « J’ai placé un effaroucheur sur la coque de mon bateau, explique David Le Quintrec. L’année dernière j’ai pêché en tout sept dauphins, mais en mettant l’appareil en route, un seul est remonté dans mes filets. »

Travailler plus pour compenser la hausse du gasoil

Au-delà du très médiatique sujet des marsouins, la colère générale exprimée à Rennes est alimentée par des causes similaires aux manifestations qui animent les villes françaises ces derniers jours. L’inflation et le pouvoir d’achat reviennent sur toutes les lèvres, ajoutés à une pénibilité au travail et un nombre d’heures passées à la tâche qui a peu d’équivalents dans le monde professionnel, agriculture mise à part. « Pour gagner autant qu’avant, il faut travailler plus, regrette David Le Quintrec. Je commence autour de une heure du matin et je rentre vers 16 heures chaque jour, sauf le week-end. Pourtant en termes de salaire, le dernier trimestre n’a jamais été aussi minable depuis un paquet d’années », explique-t-il.

Cette pression financière est dominée par un problème majeur : le prix du gasoil. Un chalutier consomme environ 1200 litres de gasoil par jour. Le gasoil représente environ 50 % de la charge financière d’une entreprise de pêche au chalut sur une marée. Des chiffres qui donnent le tournis. Heureusement pour la filière, le gasoil bénéficie encore du soutien de l’État, prolongé jusqu’en octobre 2023, à hauteur de 20 centimes par litre pour faire face à la hausse du prix du carburant. Malgré ce pansement, le prix du précieux liquide continue d’augmenter. « Il faut investir massivement dans la transition au lieu de maintenir la filière sous perfusion avec les aides au gasoil », tranche Thibault Josse, de l’association Pleine mer.

Un drapeau bretons avec un slogan contre les éoliennes en mer brandi pendant la manifestation
Les éoliennes en mer sont aussi l’un des sujets de contestation.
©Guy Pichard

Le gouvernement français et l’Union européenne sont largement critiqués par les pêcheurs. Mais ils ont aussi un discours dur envers le président du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins, Olivier Le Nézet... qui est aussi à la tête du comité départemental des pêches maritimes du Morbihan, du comité régional des pêches de Bretagne, de l’association BreizhMer et qui est aussi PDG du port de pêche de Lorient. Ce cumul des fonctions ne passe pas auprès des contestataires.

Rejoints par des étudiants

« Le comité des pêches de Lorient a voté pour ne pas affréter de bus pour que les marins-pêcheurs viennent à ce rassemblement à Rennes, lâche David Le Quintrec, porte-parole du mouvement. Nous lui donnons de l’argent pour nous défendre et nous représenter et cela se retourne contre nous. S’il ne nous suit pas, c’est pour des raisons politiques et commerciales. C’est une structure mafieuse », accuse-t-il. Les reproches à l’encontre du comité sont nombreux, tels que l’impossibilité de vendre en direct leurs produits ou une politique générale jugée trop tendre face à l’arrivée des éoliennes en mer dans le secteur.

Des jeunes manifestants dans les rues de Rennes entre des fumigènes rouge.
Des étudiants et sympathisants ont rejoint les pêcheurs.
©Guy Pichard
Un camion de police fait l'usage d'un canon à eau
Pour bloquer l’accès de la foule au Parlement de Bretagne, les forces de l’ordre ont fait usage de canons à eau, de fumigènes et de grenades de désencerclement.
©Guy Pichard

« Les pêcheurs ont tout à fait le droit de vendre en direct et cela existe dans le Morbihan, nous ne les avons jamais empêchés de travailler ainsi, se défend Jean Piel, en charge de la communication au Comité départemental des pêches. Et c’est faux de dire que le comité ne les a pas défendus au sujet des éoliennes. Les pêcheurs étaient invités à chaque réunion pour définir la zone la moins impactante pour leur activité et peu d’entre eux sont venus. » Cette mobilisation des marins-pêcheurs n’a en fait pas démarré à Rennes le 22 mars, mais à Lorient, la semaine précédente. Le 14 mars, neuf chalutiers bloquaient déjà les pontons du port de plaisance pour demander une réunion avec Hervé Berville, le secrétaire d’État chargé de la Mer, et la démission d’Olivier Le Nézet.

Port de Lorient
Le port de Lorient tient une place centrale dans ce mouvement de contestation.
©Guy Pichard

Dans la capitale bretonne, les professionnels de la pêche mobilisés ont été rejoints par des étudiants et divers sympathisants. Finalement bloquée par la police, la mobilisation s’est terminée avec trois manifestants blessés et neuf personnes interpellées pour dégradations et usage de fumigènes. Une délégation a tout de même obtenu une entrevue avec le préfet de région. Emmanuel Macron a même évoqué la manifestation de Rennes lors de son intervention télévisée. Alors que le président fustigerait la veille « la foule » des manifestants contre la réforme des retraites qui n’aurait « pas de légitimité », il a exprimé toute sa compréhension pour les pêcheurs. « Il faut les entendre et les aider », a-t-il assuré.

Pourtant, l’atmosphère s’est encore tendue ces derniers jours. Le 25 mars en Vendée, des marins-pêcheurs ont violenté des représentants de Sea Shepherd, l’ONG étant tenue par certains travailleurs de la mer pour responsable de la décision du Conseil d’État de fermer certaines zones de pêche pour protéger les dauphins.

Le 24 mars à Lorient, une cinquantaine de manifestants ont amarré leurs bateaux à l’entrée du port de plaisance pour bloquer la navigation. Des fusées de détresse ont à nouveau été tirées, cette fois-ci en direction de la gendarmerie maritime. Les locaux de l’organisation de producteurs Pêcheurs de Bretagne ont été endommagés. Sur place, David Le Quintrec a fait part de sa volonté de continuer les actions dans l’attente d’une rencontre avec Hervé Berville, secrétaire d’État chargé de la Mer. Le port du Morbihan était toujours bloqué lundi 27 mars, rejoint par celui de Boulognes-sur-Mer, dans le Nord. Dans le même temps, des pêcheurs bretons ont manifesté au domicile de la présidente de Sea Shepherd, dans le Finistère.

Guy Pichard
Photo de Une : © Guy Pichard