En transition

Nantes Saint-Nazaire, le grand port industriel et polluant qui voulait devenir vert

En transition

par Samy Archimède

Dépendant du pétrole, du charbon et du gaz, le quatrième port de France mise sur les énergies renouvelables et affiche un discours pro-environnemental. Il demeure pourtant une source majeure de pollution et de danger pour la Loire et ses riverains.

Un drôle de navire à coque bleue apparaît sur la droite. « Ça, c’est le Vole au vent, un bateau qui transporte des éléments d’éoliennes offshore. » La jeune guide du Grand Port maritime de Nantes Saint-Nazaire (GPM) emmène une vingtaine de touristes pour une balade en bus à travers les principaux terminaux (porte-conteneurs, méthanier, agroalimentaire, roulier, charbonnier) qui bordent l’estuaire de la Loire.

Début avril, les premiers mâts du premier parc éolien offshore français ont été installés au large du Croisic. À partir de l’an prochain, il est censé fournir 20 % de l’électricité de la Loire-Atlantique . Dans son projet stratégique 2021-2026 et ses différents supports de communication, le quatrième port français l’affiche clairement : il veut devenir « le port de référence de la transition énergétique et écologique… et en vivre » (sic).

Larguer les énergies fossiles sans faire naufrage

Verdir ou périr, telle pourrait être la nouvelle devise du Grand Port à l’heure du réchauffement climatique. En 2021, il a perdu près du tiers de son trafic. Une dégringolade principalement due à la crise sanitaire et à un long arrêt de la raffinerie pétrochimique de Donges pour maintenance. Administré par l’État et la Région Pays de la Loire, le GPM héberge la deuxième raffinerie de l’Hexagone et tire l’essentiel de ses revenus commerciaux des activités liées aux énergies fossiles. Dans ce contexte, peut-il devenir dans les prochaines années un champion des énergies marines renouvelables et un modèle en matière de respect de l’environnement ?

Comme nombre de ses concurrents français et européens, le GPM cherche à sortir de sa dépendance aux hydrocarbures tout en évitant un naufrage économique et social. Un vrai casse-tête. « Les trafics qui pourraient être générés [par les énergies renouvelables, ndlr] ne seront vraisemblablement pas en mesure de prendre le relai des énergies fossiles », prévenait le Conseil économique, social et environnemental régional (CESER Pays de Loire) dans un rapport publié en novembre 2020. À moyen terme, le GPM « pourrait [donc] voir diminuer fortement une bonne part des revenus qu’il tire des droits de port. »

Le GNL, un gaz pas si vert

La loi énergie-climat entrée en vigueur le 1er janvier dernier prévoit la fermeture définitive de la centrale thermique (au charbon) EDF de Cordemais en 2026 [1]. Alors qu’un projet alternatif basé sur la combustion de granulés de bois peine à s’imposer, le GPM espère transformer son terminal charbonnier en parc dédié aux énergies renouvelables. Il multiplie également les initiatives pour installer des panneaux photovoltaïques sur ses rares espaces encore disponibles.

En revanche, pas question de toucher à la raffinerie de Donges. Créée en 1932, « [elle] joue un rôle stratégique essentiel dans la préservation de l’indépendance énergétique nationale », souligne le GPM. De fait, elle alimente tout l’ouest ainsi que l’est de la France via l’oléoduc Donges-Melun-Metz. Le GPM prévoit par conséquent de stabiliser ses importations de pétrole à partir de l’an prochain. Alors, pour réduire à terme sa dépendance à l’or noir, le port compte sur son atout maître : le gaz naturel liquéfié (GNL), dont les importations ont très fortement augmenté depuis 2015. Les volumes et revenus qu’il génère dépassent désormais ceux du pétrole brut. En octobre 2020, le terminal de Montoir est entré dans la cour des grand en accueillant pour la première fois un Q-Max, le plus grand méthanier du monde. Problème : le GNL n’a rien d’une énergie propre, contrairement à ce que prétendent parfois ses promoteurs. De plus, une partie de ce GNL provient de Russie.

« Un coup de com’ » visant à attirer de nouveaux investisseurs ?

Difficile pour le Grand Port de convaincre ses plus gros clients que l’ère du pétrole roi est révolue alors qu’il ne sait pas lui-même comment s’en passer. « Dans les réunions, certains industriels ne veulent toujours pas entendre parler de transition écologique, rapporte Xavier Métay, coordinateur de France nature environnement (FNE) Pays de Loire. Le plus urgent pour eux, c’est de continuer à développer les énergies fossiles. » Désabusé, le bénévole qui représentait FNE au sein du conseil de développement du port, a décidé de jeter l’éponge en mars dernier.

Pour devenir « l’écoport national du Grand Ouest », le GPM se doit néanmoins de montrer l’exemple. En réduisant, par exemple, les émissions de gaz à effet de serre de ses propres installations. Il s’est ainsi lancé dans un programme d’électrification de ses quais. Une initiative bienvenue, à la fois pour l’environnement et pour les dockers souvent exposés aux fumées des bateaux en attente de déchargement (et à celles de divers engins), reconnaît Pascal Pontac, secrétaire général de la CGT du Port.

En matière de santé au travail, « le Port a mis en place des contrôles renforcés pour le personnel et a énormément développé les protections individuelles des salariés exposés », affirme-t-il. Au sein du conseil développement (où il siège également), « tout le monde peut s’exprimer sur les questions de transition écologique et tous les avis sont pris en compte, y compris ceux des associations environnementales », avance-t-il. Un point de vue qui n’est pas vraiment partagé par les associations concernées.

La fin des projets d’extension en bord de Loire ?

En aspirant la vase et le sable dans l’estuaire, la drague Samuel de Champlain permet à de très gros navires d’entrer dans le port.
Samy Archimède

Électrifier les quais est un bon début. Mais les enjeux environnementaux en question dépassent de loin le strict périmètre des docks. Le GPM est un gigantesque complexe industriel et portuaire qui s’étire sur 65 kilomètres, de Nantes à Saint-Nazaire, et occupe 2722 hectares, dont 1077 hectares d’espaces naturels. Chenalisé, dragué, creusé, remblayé, bétonné pendant un siècle et demi pour y faire entrer des bateaux de plus en plus gros, l’estuaire du plus long fleuve de France n’a plus grand-chose de sauvage, même s’il constitue toujours une réserve de biodiversité d’importance internationale.

« Avec plusieurs associations, on s’est battus pendant vingt ans contre l’extension du port à l’est de Donges (460 hectares), raconte Guy Bourlès, président de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) de Loire Atlantique. On a fini par gagner en 2009 et la vasière et les roselières ont pu être sauvées. » Après ce revers, le GPM a tenté de poursuivre son extension sur une autre vasière de 50 hectares, toujours sans succès. Puis au Carnet, sur la rive sud cette fois-ci. Mais la résistance de quelques dizaines de zadistes a eu raison de ce projet de 110 hectares censé devenir une vitrine nationale des énergies marines renouvelables.

Dans son projet stratégique, le GPM a annoncé qu’il « confortera la protection et la gestion des espaces naturels [dont il est propriétaire] » en intégrant une partie d’entre eux dans le projet d’extension du site Natural 2000 géré par le Département. D’après Guy Bourlès, « la seule façon de protéger l’estuaire serait de créer une réserve naturelle nationale. » Sur ce dossier, la Ligue de protection des oiseaux (LPO), FNE et Bretagne vivante prêchent dans le désert depuis plus de dix ans.

Yara et Total, cauchemar des associations de riverains

Le Grand port génère 25 000 emplois et héberge plus de 500 entreprises, dont les Chantiers de l’Atlantique, Airbus et leurs nombreux sous-traitants. Mais aussi pas moins de 70 sites ICPE (installations classées pour la protection de l’environnement), dont trois sites Seveso « seuil haut », la plus haute classification en termes de dangerosité. Deux entreprises suscitent des inquiétudes particulièrement fortes en raison des pollutions qu’elles génèrent et des risques qu’elles font courir aux riverains ainsi qu’à leurs propres salariés : Yara (engrais de synthèse) et TotalEnergies (pétrole et gaz).

La raffinerie Total de Donges vue de Paimbœuf.
La raffinerie Total de Donges vue de Paimbœuf.
Samy archimède

Entre fin mars et mi-avril, la raffinerie Total de Donges a été bloquée par une grève déclenchée par la CGT et FO, pour demander une amélioration du statut des travailleurs sous-traitants. Ils demandaient le passage de 43 CDD en CDI et l’application d’un « socle social minimum basé sur la convention collective nationale des industries du pétrole ». Les syndicats accusaient aussi la direction de vouloir faire des économie au détriment de la sécurité des installations.

« S’il y a des doutes sur la sécurité des salariés, on peut en avoir aussi sur notre propre sécurité », estime Marie-Aline Le Cler, présidente de l’ADZRP, l’association dongeoise des zones à risques et du PPRT (plan de prévention des risques technologiques). L’association a été créée en 2011 afin de contraindre les industriels à réduire les risques à la source et d’informer les riverains sur les polluants auxquels ils sont exposés. « À la raffinerie, il y a régulièrement des accidents, des fuites d’hydrocarbures, d’essence, et des retards dans les inspections des tuyauteries », déplore Marie-Aline Le Cler. Les mises en demeures du préfet ont beau se succéder, elles ne semblent pas avoir beaucoup d’effet sur TotalEnergie.

De l’avis unanime des associations locales de défense des riverains et de l’environnement, la palme du cynisme revient toutefois à Yara. Depuis de nombreuses années, le leader mondial des engrais de synthèse dépasse impunément les limites réglementaires de rejets de poussières et de nitrate d’ammonium dans l’atmosphère et pollue allègrement la Loire et les eaux souterraines par ses rejets chargés d’azote et de phosphore. « On se demande comment le Préfet peut continuer à fermer les yeux sur cette entreprise en lui accordant sans arrêt de nouveaux délais sans qu’il ne se passe rien », s’insurge Marie-Aline Le Cler.

L’entreprise norvégienne a été placée en juillet 2021 sous « vigilance renforcée », procédure mise en place par le ministère de la Transition écologique un an après l’incendie de Lubrizol. Épinglée aux côtés de cinq autres industriels pour « non-conformités récurrentes », Yara devra remettre au ministère un « plan de conformité » prouvant qu’il a mis en œuvre des « mesures concrètes, quantifiables et vérifiables » avant… le 31 décembre 2022. Soit un délai supplémentaire de dix-huit mois.

Toujours pas d’étude épidémiologique

Ammoniac, benzène, métaux lourds, fumées de soudage… Les riverains du GPM respirent au quotidien un cocktail de particules nocives. En septembre 2019, une étude de l’Observatoire régional de la santé révélait une surmortalité de 28 % chez les moins de 65 ans dans l’agglomération nazairienne par rapport à la moyenne nationale. Et un taux d’insuffisances respiratoires graves très supérieur lui aussi (+35 %). Depuis mars 2021, une étude de zone est en cours pour recenser les sources de pollution de plusieurs dizaines d’entreprises industrielles de l’agglomération.

Mais seule une étude épidémiologique pourrait permettre d’établir un lien entre ces polluants et les maladies constatées. Santé publique France en a déjà réalisé une dans le bassin industriel de Fos-sur-mer, situé sur le littoral méditerranéen et vient d’en entamer une autre dans celui de Lacq. Rien n’est prévu pour le moment dans l’agglomération de Saint-Nazaire.

Samy Archimède
Photo de Une : Mâts d’éoliennes prêts à rejoindre le premier parc offshore français, au large du Croisic © Samy Archimède

Notes

[1Elle fournit actuellement 12 % de l’électricité de la région.