Droits humains

« Nuit de la honte » à Paris : des centaines d’exilés violemment évacués et pourchassés

Droits humains

par Anne Paq, Ivan du Roy

Le 23 novembre, des centaines de personnes exilées ont installé un campement provisoire place de la République à Paris. Il a été démantelé sur ordre de la préfecture. Plusieurs scènes de brutalités policières ont été constatées.

« Les mots nous manquent pour décrire cette soirée. La police qui soulève des tentes pour en jeter leurs occupants au sol, niant une fois de plus toute humanité aux personnes exilées. Les mots nous manquent pour décrire l’abomination des ordres donnés par la préfecture et leur application par les policiers via les charges, matraquages, jets de grenade de désencerclement et tirs de LBD », écrit l’association Utopia 56, dédiée à l’aide des réfugiés, au lendemain des événements survenus place de la République et dans les quartiers alentours.

Ce 23 novembre, vers 17 h, Rahmnulla, un jeune afghan de vingt ans, se rend à pieds avec d’autres exilés et des bénévoles d’associations vers le centre de Paris. Cela fait des semaines que des centaines d’exilés errent dans les rues au nord de la capitale, sans aucune solution d’hébergement durable le temps que leur demande d’asile soit étudiée, et surexposés à l’épidémie de Covid. Ils et elles sont sans cesse délogés et harcelés par les forces de police depuis des semaines, comme Basta! vous le racontait fin septembre.

Les alertes incessantes des associations, grandes ou petites, qui les accompagnent – Utopia 56, Solidarité Migrants Wilson, Médecins du monde, Médecins sans frontières, la Cimade… – se heurtent au silence. Avec l’aide de plusieurs associations, ils et elles ont donc décidé de se rendre visibles en installant leurs tentes au cœur de Paris, place de la République. « Nous ne pouvons même pas dormir. La police nous fait toujours des problèmes », raconte Rahmnulla, installé dans sa tente sur la place. Lors des multiples évacuations précédentes, sa couverture a été aspergée de gaz et son téléphone cassé par des policiers.

Le 17 novembre, un campement où près de 3000 exilés avaient trouvé refuge, à Saint-Denis, à proximité du Stade de France, a été évacué. Après de longues heures d’attente, plusieurs centaines d’entre-eux ont été transportés par bus vers des centres d’hébergement. Plusieurs centaines d’autres sont restés à la rue. « La police nous a dit : nous avons de la place pour tout le monde. Mais ce n’était pas vrai. Quand les journalistes sont partis, ils nous ont repoussés et dispersés », témoigne Aman Jan, un autre afghan de 21 ans. « Avant, au moins, nous avions des tentes et des sacs de couchage. Désormais, les gens ici n’ont plus rien. » La veille, il dormait à proximité de la station Rosa Parks, du nom de la figure afro-américaine de la lutte contre la ségrégation raciale.

Vers 19 h 30, les forces de l’ordre arrivent et encerclent le campement géant, sous le regard figé de la statue de la République et sa tablette de bronze où il est inscrit « droits de l’Homme ». De nombreux soutiens sont également là : des citoyens, des bénévoles d’associations – qui réalisent au quotidien un travail formidable –, des avocats, quelques élus de gauche et écologistes, tels Éric Coquerel, député France insoumise de Seine-Saint-Denis, Esther Benbassa, sénatrice écologiste, Ian Brossat (communiste) ou Audrey Pulvar, tous deux adjoints à la maire de Paris. Une demi-heure plus tard, sur ordre de la Préfecture, les forces de l’ordre, dont des équipes de la BAC de nuit au comportement particulièrement brutal, commencent à repousser sans ménagement les soutiens, à extirper les exilés de leurs tentes, parfois même en les jetant au sol. Des journalistes sont menacés, un photographe est blessé à la tête par un policier et de nombreuses tentes sont confisquées.

Une fois l’évacuation terminée, plusieurs centaines de personnes s’éloignent, certains scandant des slogans tels « solidarité avec les exilés », pour se rendre à l’Hôtel de ville de Paris et demander un hébergement d’urgence ou que les exilés y soient au moins accueillis pour la nuit. Ils sont littéralement pourchassés par les forces de l’ordre. Des grenades lacrymogènes sont tirées, des exilés jetés à terre, le journaliste Rémy Buisine travaillant pour la chaîne en ligne Brut, est matraqué. Les exilés, exténués, sont ensuite escortés par les policiers vers le nord de Paris, pour de nouvelles nuits d’errance. « Nous leur avons donné nos dernières tentes et couvertures », précise Utopia 56.

L’émotion suscitée est grande. C’est « la nuit de la honte » commentent de nombreux observateurs. Plusieurs organisations, dont Amnesty, le Secours catholique, Médecins sans frontières, Médecins du monde et la Cimade demandent la création d’une commission d’enquête parlementaire « sur les violations des droits des personnes migrantes et réfugiées », qui se généralisent depuis plusieurs années, de la frontière franco-italienne à Calais, en passant par Paris. L’association Utopia 56 exige la démission du Préfet et du ministre de l’Intérieur. La Défenseuse des droits, Claire Hédon, a annoncé se saisir « des conditions d’évacuation des exilés hier soir, lundi 23 novembre, place de la République ». Le ministère de l’Intérieur a, lui, demandé à l’IGPN, « la police des polices », de lui remettre d’ici deux jours ses conclusions sur les conditions de l’intervention policière. Un premier rassemblement est appelé ce mardi 24 novembre à 18h, à République. Une marche des libertés, contre les lois liberticides, est également prévue le samedi 28 novembre à 14h, toujours à République.

Photos : Anne Paq
Texte : Ivan du Roy, avec Anne Paq