Basta! : Que pensez-vous de l’objectif de l’ONU de faire d’au moins 30 % des zones terrestres et marines des zones protégées d’ici 2030 ?
Pierre Watremez : Les connaissances disponibles montrent des écosystèmes dégradés en danger, des ressources biologiques qui s’épuisent. Il paraît indispensable de promouvoir une protection forte sur de grandes étendues marines.
Mais ce chiffre rond de 30 % se traduit en France par une seule politique du chiffre dont l’État français se gargarise et ce au détriment de l’efficacité de son réseau d’aires marines protégées (AMP). Les questions de fond, que signifient le développement durable, la protection et l’avenir de l’océan, ne sont jamais traitées concrètement. Vouloir protéger 30 % des océans de la planète nécessite une vision globale et un vrai projet en termes de biodiversité.
Pour la France par exemple, le chiffre de 30 % est très facile à atteindre en désignant des territoires dans le Pacifique et dans l’Antarctique où personne ne vit ou exploite les ressources. Lors du « One Ocean Summit » à Brest, Emmanuel Macron va rester dans cette politique d’affichage et de grandes envolées lyriques autour du bien commun. Faire l’annonce de nouvelles aires marines protégées de papier et « en même temps » ne pas reconnaître l’expertise de ceux qui travaillent à leur mise en œuvre et leur gestion, ne pas affecter de moyens financiers et humains à long terme, ça relève du numéro de claquettes.
Qu’implique une aire marine protégée ?
Construire une aire marine protégée n’est pas qu’un simple coup de stylo ou une annonce. Cela mobilise de la connaissance scientifique, de la concertation avec les usagers et les populations littorales afin de disposer d’une vision et d’un projet partagés, de définir les objectifs et les moyens d’action, d’assurer le suivi du milieu marin concerné pour vérifier son efficacité, etc. Par exemple, les seules zones Natura 2000 en mer, qui sont une protection plus légère, ont mis une dizaine d’années avant de commencer à être réellement opérationnelles. À peine un peu plus de la moitié d’entre elles disposent de documents de gestion.
Pour les aires marines à protection forte, cela nécessitera sans doute encore plus de temps ; elles demanderont des moyens humains, technologiques et financiers importants car un certain nombre d’entre elles seront vastes et très éloignées des terres. Les décisions sont le fait de politiques dont les actions sont marquées par des échéances électorales incessantes, fluctuantes au gré des gouvernements et donc peu compatibles avec les enjeux et les échéances environnementales. Le réchauffement climatique, désormais tangible, est encore plus rapide que prévu et ses conséquences peuvent être irrémédiables.
Il faut bien comprendre qu’une aire marine protégée dépend aussi du milieu marin qui l’entoure et des changements qui l’affectent. Le réchauffement climatique par exemple ne concerne pas qu’une zone mais l’ensemble de l’océan. Par exemple, supposons qu’on veuille interdire la pêche au chalut dans les eaux bretonnes car c’est destructeur pour les fonds marins. Cela n’aura finalement pas beaucoup de sens car au rythme actuel du réchauffement climatique, dans 20-30 ans ans les espèces ciblées auront disparu, migrant vers le nord pour échapper au réchauffement des eaux !
Quelles sont les spécificités des aires marines protégées françaises dans le Pacifique ?
Elles sont immenses mais non contrôlées ! Plus d’un million de km² pour le parc naturel marin de la mer de Corail, en Nouvelle-Calédonie, une des plus grandes AMP du monde. Décréter ces zones ne coûte et ne coûtera pas cher parce qu’il n’y a personne pour les contrôler et les gérer. Parlons du projet de grande aire marine protégée autour des Marquises par exemple, en Polynésie française. Il y a plus de dix ans, la communauté de communes locale (Codim) a souhaité une zone de protection forte pour notamment interdire la pêche industrielle au thon rouge. L’Agence des aires marines protégées avait alors réalisé de grandes campagnes (recensement des mammifères et oiseaux marins, campagne océanographique pluridisciplinaire). La biodiversité marine de l’archipel, exceptionnelle, apparaît comme un spot mondial.
Cependant en 2014, un industriel a proposé de faire venir de grands thoniers pour pêcher le thon rouge. Des dizaines de navires étaient prévus, ainsi que toute la logistique pour traiter la marchandise, avec le soutien des maires des Marquises. La population ainsi que les pêcheurs artisanaux se sont révoltés et finalement, les maires ont changé d’avis et sont allés présenter un projet d’aire marine protégée au congrès de l’Union internationale pour la conservation de la nature à Marseille en 2021. De son côté, le gouvernement polynésien préconise lui les grandes aires marines gérées, un statut flou non reconnu par le Code de l’environnement français. Cet exemple illustre aussi bien l’importance du choix des mots, surtout quand il s’agit de telles surfaces !
Que pensez-vous des projets du président Macron au sujet de « l’exploration des grands fonds ? »
Quand Emmanuel Macron a annoncé vouloir « explorer le potentiel minier des grands fonds », il y a eu une levée de boucliers des ONG telles que Greenpeace, car là aussi on joue sur les mots. L’exploration minière n’a rien à voir avec celle des fonds marins. Cette « exploration » consistera à faire des prélèvement et forages nombreux afin d’évaluer le potentiel des gisements de minerais, déterminer s’il sont exploitables et définir leur mode d’exploitation. Ceci aura forcément un impact sur la nature, sur la biodiversité des fonds marins et de la colonne d’eau.. En creusant, des particules en suspension chargés de métaux lourds sont libérées et on ignore l’importance de leur dispersion ainsi que leur impact sur la biodiversité. Étrangement, la thématique des grands fonds ne paraît pas faire partie des questions retenues par la France pour l’organisation du rendez-vous international One Ocean summit, à Brest.
Pourquoi les fonds marins et leurs ressources sont-ils devenus un tel enjeu ?
L’exploitation minière des grands fonds est intéressante car sous des formes diverses (nodules, encroûtements, gisements hydrothermaux), on y trouve des minerais très importants avec des concentration très supérieures à celles que l’on connaît sur les continents : nickel, cuivre, cobalt, terres rares. Ces métaux sont stratégiques, indispensables pour les développements de l’électronique, des batteries ou la téléphonie. L’océan apparaît comme le nouvel Eldorado. C’est ce que l’on appelle des terres rares. Actuellement, c’est la Chine qui écrase ce marché, comme pour le lithium. L’exploitation minière sous-marine représente pour la France de très grands nouveaux marchés.
Une activité de la sorte serait-elle possible dans une aire marine protégée ?
En Nouvelle-Calédonie par exemple, plusieurs campagnes effectuées sur des dizaines d’années ont mis en évidence l’intérêt écologique de la mer de Corail ou encore des îlots Chesterfield, avec notamment des populations remarquables d’oiseaux. Les connaissances disponibles ont servi de base à l’établissement du grand parc naturel marin de la mer de Corail. Ces travaux scientifiques ont également montré la richesse des fonds marins, avec de vastes ressources pétrolières et minérales notamment..
La circulaire Castex envisage cependant de faire dans ce grand parc naturel un lieu d’études test pour l’exploitation des minéraux sous-marins. Pour l’instant, ce parc naturel ne protège pas cette zone de cette menace. Même si la Polynésie française, comme la Nouvelle-Calédonie, bénéficie d’une certaine autonomie sur les eaux territoriales, l’État français a le dernier mot. Quid des populations et des usagers de la mer ? Sur les ressources minérales des grands fonds, « l’information indispensable » des populations et des décideurs n’est que la cinquième et dernière des priorités du plan d’action des trois ans à venir exposé dans la circulaire !
Pourquoi y a-t-il un tel décalage entre les faits et les discours du gouvernement ?
Pour commencer, la France ne se pense pas comme un un État marin, alors qu’elle représente la seconde nation maritime en superficie. Il suffit de compter le nombre de ministère de la mer dédiés dans la Ve république. Certes le gouvernement Macron intègre pour la première fois depuis une quarantaine d’année un ministère de la Mer de plein exercice, cependant celui-ci apparaît finalement ne concerner presque exclusivement que la pêche. L’environnement et la protection des milieux marins sont gérés par le seul ministère de la Transition écologique.
Recueillis par Guy Pichard
Photo de une © Guy Pichard