C’est une fin de matinée d’été. Quelques personnes sont attablées à une terrasse. Certain es discutent, d’autres sont au téléphone. Ce café a ouvert en 2023 dans le XIe arrondissement de Paris. À travers les grandes vitres de l’entrée, le soleil vient éclairer le bar en briques beiges, entouré de hautes étagères remplies de fleurs.
Sur le mur d’en face, des statistiques sont affichées de manière bien visible : « Une personne sur cinq sera concernée par un problème de santé mentale au cours de sa vie », « 92% des proches disent s’être déjà sentis seuls face à la maladie ou au handicap psy », « Trois-quarts des Français
es estiment que les personnes vivant avec un trouble psy représentent un danger, alors que seuls 3 à 5% des actes de violences sont attribuables à un trouble psy ».Ce café est le lieu de rencontre de la Maison perchée. Créée en 2020, en pleine pandémie de Covid-19, l’association vient en aide aux jeunes adultes, de 18 à 40 ans, vivant avec des troubles psy. Elle accompagne ses 600 membres aussi bien en ligne que sur son site parisien.
« On a souhaité se concentrer sur cette tranche d’âge car c’est une période charnière de la vie : c’est l’âge moyen du diagnostic, mais c’est aussi l’âge du premier amour, de la fin des études et du premier boulot », explique Maxime Perez-Zitvogel. Lui-même diagnostiqué bipolaire à l’âge de vingt ans, il est l’un des quatre cofondateur
rices de la Maison perchée. « Des structures de ce type existaient déjà pour les personnes plus âgées, mais il n’y avait rien de semblable pour les jeunes. Moi, j’aurais bien aimé pouvoir fréquenter ce genre de lieu après mon hospitalisation », témoigne-t-il.Groupes de parole
Un grand espace à l’arrière du café accueille les membres de l’association. C’est haut de plafond et lumineux. « Tout le contraire de l’hôpital de jour », souligne Maxime Perez-Zitvogel en parlant des structures hospitalières accueillant les patients en journée. Ici, des grues en papier recouvrent le plafond, et des portraits sont exposés sur un des murs. « Chaque objet dans cette pièce a une histoire, on a essayé d’utiliser uniquement des matériaux récupérés. L’espace est entièrement modulable », indique le cofondateur de la Maison perchée en saisissant deux boîtes de rangement d’une grande étagère pour les placer devant un canapé rouge brique, les transformant en tables ou en tabourets, au choix.
Dans le fond de la salle, des pancartes colorées présentent le programme de la semaine : ateliers de théâtre, d’écriture, danse, coaching de vie professionnelle… Tous les jours, a minima deux activités sont proposées aux membres de la Maison perchée, « afin que chacun puisse créer son chemin et trouve sa recette », précise Maxime Perez-Zitvogel.
Des « cafés santé » et des « perchoirs », des groupes de paroles et des échanges autour d’un thème particulier, ou encore des « nids », des entretiens individuels, sont aussi proposés. L’association propose également un soutien pour les proches, avec des rencontres organisées tous les mercredis et samedis matins et de nombreuses ressources disponibles en ligne.
Un accompagnement par les pairs
La démarche de l’association, non-médicalisée, est basée sur la pair-aidance. C’est-à-dire que l’accompagnement se fait entre personnes concernées, qui s’aident et se soutiennent mutuellement. Cette approche se veut complémentaire à l’offre de soins sans chercher à la remplacer. Mais par là, la Maison perchée souhaite aussi contribuer à faire évoluer les méthodes en psychiatrie.
« Pendant mon hospitalisation, ça m’aurait beaucoup aidé que quelqu’un qui ait aussi traversé ce que j’ai vécu me rassure, me dise que ça irait, qu’il ne fallait pas que je m’inquiète, confie Maxime Perez-Zitvogel. C’est important, ça permet de se rappeler qu’on a le droit de vivre, et pas seulement de survivre. » En plus d’une trentaine d’animateurs et d’une équipe de douze salariés, dont la moitié sont concernées par des troubles psy, l’association compte aujourd’hui 66 pair-aidant. Ces personnes, qui ne sont pas des professionnel es les de la psychiatrie, ont participé à une formation de quatre mois proposée par la Maison perchée. Ils et elles sont membres de l’association depuis plus de deux mois et ont participé à au moins cinq activités. Après un avoir suivi un MOOC, une formation en ligne avec vidéos et exercices, et une journée de formation en présentiel, les futur es pair-aidant es se retrouvent le temps d’un week-end pour partager, échanger et se former, puis se spécialisent dans l’activité qui leur convient : animer des groupes de paroles ou des échanges en tête-à-tête, accueillir sur le lieu et tenir la Cafête, ou encore modérer les échanges sur le serveur Discord de l’association.
Derrière le comptoir, Elsa Decool s’active tout en discutant avec les client
es. Diagnostiquée bipolaire de type 2, elle est pair-aidante à la Maison perchée depuis deux ans et demi. La femme de 41 ans est d’abord chargée des « nids », avant de tenir la Cafête.Formation à la pair-aidance
En parallèle, elle a entamé en février une formation en sciences sanitaires et sociales, parcours Médiateurs de santé pair à Bobigny, et est médiatrice de santé pair au centre des jeunes adultes et adolescents du centre hospitalier de psychiatrie Sainte-Anne. Là, les pairs peuvent être soit bénévoles soit rémunérés par l’hôpital pour intervenir auprès des usagers.
« J’ai toujours eu cette tendance à accompagner les gens, décrit Elsa. Ça me semblait naturel de rejoindre la Maison perchée en tant que pair-aidante. C’est très enrichissant. Je reçois des autres autant que je donne, et j’ai gagné en confiance en moi. » Cette expérience l’a également beaucoup aidée sur la chemin du rétablissement. « Après le diagnostic, j’ai mis des années à me rétablir. Être pair-aidante, ça m’a permis d’accepter toute cette souffrance », développe-t-elle, émue.
Un avis que partage Camille* [1], 23 ans. Assise à la terrasse du café, la jeune femme est une habituée des lieux. Elle a découvert l’endroit il y a quelques mois grâce à sa mère, via une vidéo. « J’étais à la recherche de personnes qui pouvaient comprendre mes troubles mentaux, retrace-t-elle. Ici, je me suis tout de suite sentie moins stigmatisée. On peut parler de choses dont on ne parlerait pas forcément avec ses proches, sans être jugé. Par exemple : est-ce que je continue les études ou le travail ? Est-ce que je dois en parler à mon employeur ? »
S’enrichir mutuellement
Actuellement en arrêt maladie après avoir exercé dans différents domaines, Camille compte reprendre des études en langues. Elle va aussi débuter fin septembre la formation pour devenir pair-aidante. « J’ai longtemps considéré mes troubles comme un frein, une honte. Aujourd’hui, je réalise que, dans une certaine mesure, ils peuvent également être une force, et je souhaite partager cette prise de conscience avec d’autres », dit-elle.
« Pouvoir poser des questions et échanger sur les troubles psychiques, en discuter avec des personnes concernées, au-delà d’être d’être très instructif, ça permet de s’enrichir mutuellement. Ce sont des échanges où l’humilité est au centre », considère Olga Tess. Bénévole depuis trois ans à la Maison perchée, elle n’est pas directement concernée mais porte un grand intérêt aux problématiques liées à la santé mentale. « Ce sont des sujets dont on parle davantage aujourd’hui, mais toujours pas assez », regrette-t-elle.
Afin de sensibiliser le plus grand nombre, les bénévoles vont régulièrement témoigner dans des écoles et des entreprises. L’association a également lancé un podcast et organise des évènements hors-les-murs, comme des expositions, récemment au Palais de Tokyo, ou encore un festival de film. Par ailleurs, le café est ouvert à tout le monde tous les matins, du mardi au vendredi, et le samedi toute la journée. Des rencontres et ateliersy sont souvent organisés. Le thème du dernier rendez-vous avant la pause estivale : « Récit de voyage - qu’est-ce que voyager avec un trouble psychique ? ».
« C’est l’été ! Pour grandir, les Perchés ont encore besoin de blé », peut-on lire sur une ardoise derrière le bar. Une boîte à dons, une maison bleue et blanche aux fenêtres rouges, est posée bien en évidence sur le comptoir. La Maison perchée est financée à 90% par des fondations privées et à 10% par les dons.
Elle a récemment obtenu sa première subvention publique. Prochain objectif après l’ouverture du café : l’essaimage. Afin de répondre à une demande toujours plus importante - il faut compter un à deux mois d’attente pour rejoindre l’association - la Maison perchée souhaite se développer. « C’est le seul endroit de ce type à Paris et même en France, insiste Maxime Perez-Zitvogel. Ce n’est pas un projet classique. On est tous solidaires, on est tous là pour la même chose : on veut que ça bouge ! »
Daphné Brionne
Photo de une : La Maison perchée, le 25 juin à Paris/©Daphné Brionne