Privatisation de la sécurité : si des sociétés privées vous répondaient au 17 ?

par Malo Janin

Le plus gros syndicat patronal du secteur de la sécurité privée veut étendre la privatisation de la sécurité. L’initiative s’inscrit dans une dynamique de long terme, qui se fait au détriment des travailleurs.

Surveillance des commissariats, des établissements scolaires et pénitentiaires, réception des appels du 17… Et si ces missions de police étaient demain assurées par des agents privés ? C’est ce que propose le Groupement des entreprises de sécurité (GES) au gouvernement dans son Livre blanc sur les transferts de mission et les marchés publics, rendu public en début d’année.

Nous croisons déjà ces forces privées partout. Elles assurent par exemple la surveillance des centres commerciaux ou des banques. Leurs compétences s’étendent aussi aux services de vidéosurveillance, de transport de fonds ou de surveillance armée de centrales nucléaires.

Une proposition « dans l’air du temps »

Si elle peut inquiéter, la proposition du groupement patronal « s’inscrit dans l’air du temps », dit Virginie Malochet, sociologue chargée d’études à l’Institut Paris région, spécialiste des polices municipales et des métiers de la sécurité quotidienne. Depuis 2017, les sociétés de sécurité privée peuvent exercer des centaines d’activités de sécurité avec le port d’une arme, du tonfa au revolver.

Aux Jeux olympiques (JO) et paralympiques de Paris 2024, 25 000 agents de sécurité privés ont été embauchés. Ce qui a encore un peu plus légitimé le secteur. « Aux côtés de nos forces de sécurité intérieure, de nos militaires, de nos policiers municipaux, la sécurité privée a joué un rôle essentiel », avait salué Emmanuel Macron le 12 août au lendemain de la clôture des JO. Des éloges qui n’ont pas échappé au Groupement des entreprises de sécurité, qui appuie ses nouvelles propositions en louant la professionnalisation des acteurs de sécurité privée pendant les JO.

Frises chronolique des transferts de missions de sécurité au privé
Le Conseil national des activités privées de sécurité, Cnaps, est un service de police administrative placé sous la tutelle du ministère de l’Intérieur et constitué sous la forme d’un établissement public administratif. Il est chargé de la délivrance, pour le compte de l’État, des autorisations d’exercice dans le secteur de la sécurité privée, du contrôle des entreprises de la sécurité privée et d’une mission de conseil à la profession. Il est entré en fonction le 1er janvier 2012.

La question est pourtant difficile. Pour les JO, des formations accélérées de trois semaines, dont une à distance, ont été proposées à des étudiants et demandeurs d’emploi afin qu’ils viennent grossir les rangs des agents de sécurité privée embauchés sur les Jeux. « Le gouvernement veut brader la sécurité », dénonçait alors la Fédération commerce et services de la CGT.

Le GES vante aussi dans son livre blanc la « moralité » des professionnels de sécurité privée. Mais des cas de violences commises par des agents privés posent question. En juillet 2024 par exemple, des agents du Groupement parisien inter-bailleurs de surveillance (GPIS), un service interne de surveillance des bailleurs sociaux parisiens, s’en sont pris à deux jeunes hommes de Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne). Ces derniers ont été blessés et l’un d’eux placé dans le coma après avoir été frappé. Les agents se sont comportés « comme des cowboys », en arrivant « avec des chiens, matraques et gaz lacrymogènes », d’après des témoignages recueillis par le Bondy Blog. De son côté, le Groupement des entreprises de sécurité privée déplore une recrudescence des violences à l’encontre des agents.

Des conditions de travail déplorables

Quoi qu’il en soit, le secteur prend de plus en plus de place. « C’est aussi un mouvement encouragé par l’État dans une dynamique d’optimisation », précise Virginie Malochet. Les difficultés budgétaires poussent à chercher ces acteurs à moindre coût, soulignait en 2018 un rapport parlementaire. Conséquence : ces entreprises sont nombreuses et soumises à un marché très concurrentiel.

« Le critère du coût horaire est souvent le seul pris en compte par les donneurs d’ordre, au détriment de la qualité du service », pointait à son tour la Cour des comptes dans un rapport en 2018.

Ce modèle économique a évidemment des incidences sur les salariés. « On a les plus basses conditions à tous les niveaux », dénonce Pascal Chasson, représentant syndical de Sud-Solidaires prévention et sécurité. En 17 ans d’activité, l’agent lyonnais n’a connu la première revalorisation de l’ensemble des salaires du secteur qu’en 2023.

Amplitudes horaires de douze heures, travail de nuit majoré à 10 % seulement… Voilà les conditions de travail de nombre d’agents de sécurité privée. « 100 % de mon temps appartient à l’employeur, qui arrange mes plannings à sa convenance », continue Pascal Chasson. Certains de ses collègues dorment dans leur voiture et cumulent les emplois. « Ce travail-là détruit la santé. J’ai vécu des années comme un zombie, sans dormir et mangeant mal », continue l’agent.

Pour la Cour des comptes, les conditions de travail déplorables constituent le principal obstacle à une montée en compétence et une meilleure qualité de service. « Ce n’est ni plus ni moins un contrat d’avenir gagnant-gagnant qui est proposé aux pouvoirs publics, avec une possibilité d’économies budgétaires d’un demi-milliard d’euros et une croissance d’autant du chiffre d’affaires de la sécurité privée », vante le Groupement des entreprises du secteur dans son Livre blanc. Sans jamais mentionner les travailleurs du secteur.