Écologie

Qui sont les vrais terroristes de l’environnement ?

Écologie

par Rachel Knaebel, Sophie Chapelle

Gérald Darmanin accuse les Soulèvements de la Terre d’« écoterrorisme » et veut créer une cellule anti-Zad. Mais les terroristes de l’environnement ne seraient-ils pas plutôt ceux qui détruisent ce que les activistes veulent protéger ?

« Écoterroristes ». C’est le terme utilisé par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin pour désigner le collectif des Soulèvements de la Terre, l’un des organisateurs de la manifestation de Sainte-Soline contre les mégabassines. Le ministre en demande désormais la dissolution.

Au même moment en Espagne, le président de la région des Asturies, Adrian Barbon, dénonce de son côté des « terroristes environnementaux ». Mais notre ministre de l’Intérieur et l’élu espagnol ne désignent pas du tout des mêmes personnes.

Darmanin vise des activistes environnementaux engagés contre l’artificialisation des terres et pour le partage de la ressource en eau, usant de stratégies d’actions variées légitimées selon eux par l’urgence climatique. Le président de région espagnol, lui, cible lui des incendiaires criminels qui détruisent des forêts.

Fin mars, les premiers grands feux de forêt de l’année ont éclaté en Espagne : près d’une centaine, tous d’origine criminelle selon les autorités. Il y a « clairement une action coordonnée de terroristes environnementaux », de « terroristes de la forêt », déclare le président régional Adrian Barbon.. Ces incendies auraient pu faire « des centaines de morts », dénonce-t-il le 1er avril.

Incendies criminels au profit de l’agrobusiness

Qui sont les véritables terroristes de l’environnement ? Les activistes des Soulèvements de la Terre et autres « zadistes », qui tentent de sauvegarder des espaces naturels, comme semble le penser Gérald Darmanin ? Ou les individus et entreprises qui détruisent sciemment l’environnement ?

En août 2019, dans l’État brésilien du Pará, des dizaines de grands propriétaires terriens et des personnes spécialisées dans la falsification de titres de propriété pour accaparer des terres, s’étaient coordonnées sur WhatsApp pour mettre le feu à la forêt amazonienne. Ils avaient organisé un « dia de fogo », un jour de feu.

Il s’agit d’incendies criminels provoqués tout le long de la grand-route BR 163, qui traverse cette partie de l’Amazonie, reliant les grands élevages et plantations plus au sud aux ports de matières premières situés sur les affluents de l’Amazone. L’objectif de ces incendiaires était de manifester leur soutien au président brésilien d’alors, Jair Bolsonaro, qui prônait l’ouverture de larges zones de l’Amazonie à l’industrie minière ou à l’agrobusiness.

Des multinationales, « criminels climatiques »

Il y a aussi ces entreprises multinationales responsables de 70 % des émissions globales de gaz à effet de serre. Des « criminels climatiques », comme les appelle le journaliste Mickaël Correia dans son livre-enquête du même nom. Les trois premières multinationales qui recrachent le plus de CO2 au monde, Saudi Aramco (Arabie Saoudite), Gazprom (Russie) et China Energy (Chine), déploient un arsenal de stratégies comme la corruption et le lobbying pour perpétuer le recours aux énergies fossiles.

Les scientifiques le disent depuis 2015 : pour limiter le chaos climatique, il faudrait laisser dans nos sous‑sols 80 % des réserves de charbon, la moitié de celles de gaz et un tiers de celles de pétrole. « Toute firme qui continue à mettre de l’argent dans les énergies fossiles relève forcément du criminel climatique puisqu’elle le fait en toute connaissance de cause », estime Mickaël Correia. Non seulement ces entreprises n’ont aucun réel plan de transition écologique d’ici la fin de la décennie, mais elles ont prévu d’augmenter leur production d’énergies fossiles en moyenne de 20 % d’ici 2030, rappelle-t-il encore.

À travers le monde, les activistes environnementaux sont bien souvent eux-même la cible de violences. Rien qu’en 2021 (les derniers chiffres disponibles), 200 défenseuses et défenseurs de l’environnement et du droit à la terre ont été assassinées a comptabilisé l’ONG Global Witness.

54 ont été tuées au Mexique, 33 en Colombie, 26 au Brésil, 19 aux Philippines, 8 en République démocratique du Congo. Au Kenya, l’écologiste Joannah Stutchbury, 67 ans, qui pratiquait la permaculture et défendait la forêt de Kiambu qui se trouve en banlieue de Nairobi, a été abattue alors qu’elle rentrait chez elle en juillet 2021.

Global Witness a commencé à recenser les assassinats d’activistes environnementaux en 2012. En dix ans, l’organisation a compté 1733 meurtres ! « Je regrette l’emploi du mot “écoterroriste” par Gérald Darmanin, qui me paraît complètement inconséquent et irresponsable, réagissait le politologue François Gemmenne le 1er novembre 2022 sur France Inter. 1700 activistes pour l’environnement assassinés depuis dix ans, il est là le véritable écoterrorisme. »

Des menaces récurrentes en France

En France, les violences et intimidations à l’encontre des défenseurs de l’environnement se sont multipliées ces dernières semaines. Le 22 mars dernier, des agriculteurs en Charente-Maritime protestent contre les restrictions d’usage de l’eau d’irrigation et d’épandage de pesticides. Ils se rendent au domicile de Patrick Picaud, vice-président de l’association Nature Environnement 17. L’intéressé est absent, mais son épouse est là. Du fumier est projeté sur la maison, des déchets et des pneus usagés sont jetés dans le jardin, la route et les murs sont tagués avec des inscriptions homophobes.

« L’épouse de M. Picaud a été brutalisée, insultée et elle a reçu des jets de fumier », rapporte la juriste de l’association. Le couple a porté plainte.

Le 27 mars, c’est la secrétaire nationale d’Europe écologie Les Verts (EELV), Marine Tondelier, qui fait l’objet d’un communiqué de presse menaçant du président de la chambre d’agriculture de Lot-et-Garonne, Serge Bousquet-Cassagne et de la présidente de la Coordination rurale 47, Karine Duc.

« Ne venez pas chez nous, ça va mal se passer ! Vous n’êtes pas la bienvenue, le territoire vous est hostile ! » préviennent-ils. Marine Tondelier se rend tout de même sur place, refusant de se laisser intimider. Le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau a fini par condamner ces intimidations. « Il n’est pas admissible, en aucune circonstance et sous couvert d’aucune cause, de justifier l’intimidation, les menaces sur les personnes et les biens, le non-respect de la loi, la vie et l’expression démocratiques. Jamais. Sinon c’est la violence qui fera sa loi », a-t-il écrit sur Twitter.

Le 30 janvier, l’agriculteur Paul François, qui a fait condamner Bayer-Monsanto après avoir été intoxiqué par un de leurs produits, a également été violemment agressé à son domicile par des hommes cagoulés. Là encore, une enquête a été ouverte par le parquet d’Angoulême pour « agression et séquestration », « administration de substances » et de « violences en réunion ».

Une journaliste menacée

La journaliste Morgan Large, connue en Bretagne pour ses enquêtes sur l’agro-industrie et ses effets nocifs, est menacée depuis des années pour son travail. Elle annonce, le 29 mars, le dépôt d’une nouvelle plainte après le déboulonnage d’une roue de sa voiture. Un sabotage identique et potentiellement meurtrier avait déjà eu lieu sur son véhicule il y a deux ans.

« Nous considérons que ce sabotage est une nouvelle tentative de porter atteinte à la vie et au travail d’enquête de notre collègue et consœur. En instillant la peur dans la profession, il participe du climat de menaces qui pèse sur la liberté de la presse et sur les lanceurs d’alerte », dénonce la rédaction de Splann !, média d’investigation qu’elle a cofondé.

Dans la nuit du 30 au 31 mars, l’Office français de la biodiversité à Brest est incendié sur le port de commerce. Dans les heures précédant l’incendie, une manifestation a été organisée par les marins-pêcheurs protestant contre un projet européen de restriction de la pêche de fond. Une enquête est ouverte par le parquet.

La criminalisation dont use Gérald Darmanin a de lourdes conséquences, estime Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement : « Lorsqu’on criminalise les défenseurs de l’environnement, c’est la cause elle-même qui est mise au ban de la société, et cela a un effet très néfaste sur la réaction du public. »

Sophie Chapelle, Rachel Knaebel

Photo de une : mobilisation à Sainte Soline le 25 mars 2023 contre les méga-bassines / © Les Soulèvements de la terre