Transport

Réforme des retraites : les éclusiers grévistes réquisitionnés pour débloquer le transport fluvial

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par Rachel Knaebel

Des employés de la Compagnie nationale du Rhône ont bloqué deux écluses pendant deux semaines pour faire barrage à la réforme des retraites. Alors qu’un protocole de sortie de crise était négocié, ils ont été assignés en justice par leur direction.

Le trafic a repris sur le Rhône, se félicitait la presse locale et nationale ce matin. Il était bloqué depuis le 16 mars par la grève contre la réforme des retraites de salariés de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), qui gère notamment le transport fluvial et le passage des écluses. Les employés n’ont pas pour autant cessé leur mouvement. Si la navigation a pu reprendre, c’est parce que les salariés ont été réquisitionnés, après avoir été assignés au tribunal.

Des postiers ont déjà été assignés en justice pour des piquets de grève après une plainte de leur entreprise, à Nantes fin mars. C’est maintenant au tour d’employés de la CNR de se retrouver au tribunal pour deux piquets de grève.

À partir du 16 mars, des employés de la CNR ont, avec leur piquet de grève, bloqué la réouverture de l’écluse de Vaugris, en Isère, et de celle de Bollène, dans le Vaucluse. La navigation sur le fleuve est alors interrompue pour l’entretien annuel des écluses. Le 5 avril, le mouvement dure déjà depuis plus de deux semaines quand salariés et direction semblent proches d’un accord pour mettre fin au blocage.

« Il ne restait qu’à peaufiner le document d’engagement réciproque et le soumettre aux assemblées générales des grévistes du mercredi matin », explique un communiqué de la section CGT de la Compagnie nationale du Rhône. C’est ce jour-là que les assignations en justice sont tombées sur les grévistes des deux sites.

Poursuivis pour « entrave au travail »

« Il y avait des discussions avec la direction, même si la présidente [Laurence Borie-Bancel, ndlr] n’en a pas fait une priorité. On était à deux doigts de pouvoir signer un protocole de fin de conflit, qu’on avait négocié même si ce n’était pas forcément simple, rapporte Delphine Peyron, assistante logistique et déléguée CGT de la CNR. Mais à ce moment, la direction a visé des recours judiciaires. » Pour le syndicat, ces recours en justice sont une atteinte au droit de grève.

Les grévistes se sont ainsi retrouvés sous le coup de doubles plaintes de leur direction : au tribunal judiciaire pour « entrave au travail » et au tribunal administratif pour « occupation d’un lieu sans droits ni titres ». Après avoir reçu ces assignations, les éclusiers ont levé le piquet de l’écluse de Bollène le 5 avril, puis celui de Vaugris le lendemain. Le même jour, le tribunal administratif a prononcé un non-lieu sur le blocage de Bollène. Et le tribunal judiciaire de Vienne jugeait l’accusation d’entrave au travail de l’autre écluse.

La direction de l’entreprise ayant affirmé n’avoir pas constaté la levée du piquet de grève lors de l’audience, le délibéré sera rendu ce jeudi 13 avril. « Cette décision de report, totalement imputable à la direction de la CNR laisse deux salariés dans l’angoisse… », dénonce la CGT. La direction avait entretemps levé les assignations des autres salariés visés, détenteurs de mandats syndicaux ou de représentation du personnel.

Ce vendredi 7 avril, le tribunal administratif a prononcé un nouveau non-lieu dans le cadre de la procédure visant les sept salariés de la CNR présents sur le piquet de grève de Vaugris, pour l’occupation du domaine public « sans droits ni titres ». Comme pour l’autre écluse, le tribunal a constaté que la procédure n’avait plus d’objet à la suite de la levée du piquet de grève. Le même jour, le tribunal judiciaire de Carpentras a de même constaté la levée du piquet de grève de Bollène.

Le préfet de l’Isère a cependant pris un arrêté de réquisition des salariés pour permettre la remise en service de l‘écluse dès le dimanche. « Toutes ces procédures font monter la colère des salariés concernés, a réagi la section CGT de la Compagnie nationale du Rhône. Ils sont de plus en plus déterminés à mener la lutte jusqu’au retrait de cette réforme injuste et injustifiée », ajoute le syndicat.

La CNR, société à majorité publique détenue par la Caisse des dépôts et consignations, des collectivités locales et Engie, a la charge de la navigation et de la production d’électricité sur le Rhône. « Les salariés de la CNR ont le statut des industries électrique et gazière », précise Delphine Peyron.

Ils et elles sont donc aujourd’hui au même régime spécial de retraite que les employés d’EDF. « Ce projet de réforme des retraites, c’est la fin à court terme du statut des industries électrique et gazière. Pour avoir fait des simulations, on va avoir des retraites moindres si on passe au régime général, c’est clair. Car aujourd’hui, nous cotisons plus que dans le régime général, et l’employeur aussi », résume Delphine Peyron. Même si les piquets de grève sont levés et les éclusiers réquisitionnés, les salariés de la CNR affirment rester mobilisés contre la réforme.

Rachel Knaebel

Photo : Une action de soutien de la Confédération paysanne aux éclusiers grévistes de Reventin-Vaugris, en Isère, le 23 mars/©Confédération paysanne