Rapports de force : Pour le gouvernement, communiquer sur 1200 euros de retraite minimum est plus séduisant qu’annoncer des augmentations de quelques dizaines d’euros. Ces 1200 euros sont-ils totalement théoriques ? Et si oui, pourquoi ?
Michaël Zemmour : Les 1200 euros ne sont pas totalement théoriques, mais ce n’est pas un élément du texte de loi. Ils font référence à un vieil objectif qui est de dire qu’une personne qui a travaillé toute sa vie au Smic à temps plein devrait pouvoir avoir une pension de l’ordre de 85 % du Smic. C’était un objectif fixé dans la loi depuis 2003. De cet objectif a été tiré un slogan : « Pension minimale de 1200 euros ».
C’est un slogan a minima très trompeur ou, en tout cas, qui ne peut pas être compris correctement. En pratique, à ma connaissance, on ne sait pas qui touchera 1200 euros. Ce que l’on sait, c’est que les seules personnes qui vont atteindre 1200 euros sont les personnes qui touchent aujourd’hui 1100 euros. Toutes celles qui sont en dessous n’atteindront pas ce niveau-là, quelle que soit la forme de leur carrière.
Avant de poursuivre, les sommes dont on parle sont-elles en net ?
La référence est 85 % du Smic brut. Le passage du brut au net dépend des revenus de l’ensemble du ménage. En gros, il faut déduire la CSG et la CRDS. De mémoire, pour les retraités, la CSG varie de 0 à 8,3 %, + 0,5 % pour la CRDS. Cela fait presque neuf points de prélèvement et il doit y avoir un point et quelques de cotisations maladie. En tout : 10 % de prélèvements sociaux, mais cela peut être moins pour un ménage modeste.
C’est la raison pour laquelle le passage du brut au net n’est pas clair. Pour certains, le brut est très proche du net et pour d’autres, il est un peu plus éloigné.
Pour celles et ceux qui sont aujourd’hui à la retraite et seraient concerné
es par la mesure, à quel montant va correspondre l’amélioration ?Elle va être comprise entre 1 euro pour les gens qui seraient très proches du plafond des traitements, et 100 euros par mois, pour ce que je comprends. Sauf éventuellement dans des cas particuliers qui ne sont pas clairs pour l’instant : peut-être pour des artisans ou commerçants qui n’auraient pas précédemment bénéficié des minimas et qui rentreraient dans le droit commun. Mais pour l’essentiel des gens, c’est entre 0 et 100 euros. Et en moyenne, cela ferait 63 euros pour les femmes et 45 euros pour les hommes.
Et pour les nouvelles et nouveaux retraités, cela correspondra-t-il aux mêmes sommes ?
Non, c’est moins pour les nouveaux entrants. Nous sommes plutôt vers 25 euros pour les hommes, probablement parce que la plupart arrivent à la retraite quasiment au niveau du plafond. Donc ils ne touchent que des bouts. Et ce sera 38 euros pour les femmes.
Pour bénéficier de cette mesure, il faut avoir une carrière complète. Est-ce que cela signifie que celles et ceux qui partiraient avant 67 ans avec une décote n’y auraient pas droit du tout ?
Ils n’y ont effectivement pas droit du tout. C’est vraiment le profil qui n’y a pas droit.
La decote prenant fin à 67 ans, pourront-ils en bénéficier au-delà de cet âge ?
Non : si vous n’avez pas liquidé vos droits à taux plein, vous n’y aurez jamais droit de votre vie. C’est la condition. Ce qui revient à ne pas liquider ses droits avant 67 ans, sauf à avoir tous ses trimestres ou être invalide ou en incapacité, ce qui donne également le taux plein.
Cela veut-il dire que les gens qui n’en peuvent plus de leur travail, ou qui sont physiquement fatigués et décident de partir plus tôt avec une décote, ne pourront pas bénéficier de cette mesure ? Même s’ils ont eu des carrières au Smic.
C’est exactement cela et c’est vraiment un des gros problèmes des minimas de pension. C’est cette condition de taux plein qui conduit à des choix hyper inconfortables, parce que ce sont des personnes qui ont des pensions faibles à très faibles. Elles ont le choix de partir plus tôt, mais avec une pension minorée par la décote, ou d’attendre 67 ans pour toucher des fois 300 ou 400 euros de pension, plutôt que de 200 ou 300 euros.
Il y a vraiment un problème sur les minimas de pension, qui n’est pas du tout réglé par la réforme, et c’est à mon sens un problème plus grave même que leur montant.
Dans les documents que le gouvernement avait fournis aux organisations syndicales dans le cadre des concertations, 37 % des retraités actuels avaient des pensions inférieures à 1000 euros ces dernières années. Avec la réforme, le pourcentage de retraités pauvres est-il amené à se réduire fortement ?
Un peu. Nous n’avons pas les détails précis, donc on ne peut donner que des ordres de grandeur. Mais si on avait au moins un tiers des retraités sous les 1200 euros, on peut penser qu’après la mesure, au mieux, les personnes qui sont à 1100 euros franchiront la barre. Donc, grosso modo, on aura facilement encore de l’ordre d’un quart des retraités qui resteront en dessous des 1200 euros. Et plutôt de l’ordre de 40% pour les femmes.
Le gouvernement dit que 200 000 personnes seront concernées chaque année par leur mesure. Mais sachant que plus d’un tiers des retraités actuels ont une pension inférieure à 1000 euros et que seulement un tiers d’entre eux ont une carrière complète, peut-on considérer ce chiffre comme crédible ?
Je pense qu’il est crédible parce que la carrière complète, c’est pour avoir 100 euros. Mais des gens qui ont le taux plein, mais pas la carrière complète, vont être concernés par la mesure. Donc, compter dans les 200 000. Mais ils vont toucher parfois très peu, parce que c’est au prorata de leur carrière. Ceux qui ne touchent rien, ce sont les personnes qui ont une pension très faible et une décote.
Parmi les gens qui ont une carrière incomplète, mais sont en dessous de 1200 euros, il y a des personnes qui ont liquidé à taux plein, soit pour invalidité, soit parce qu’elles ont atteint 67 ans. Elles seront concernées par la mesure, mais ni par les 100 euros d’augmentation ni par les 1200 euros de pension.
A-t-on une idée pour eux de ce que pourrait être la moyenne du montant ?
On ne sait pas exactement, mais on a une petite idée parce que dans l’étude d’impact, on vous donne des montants moyens pour les premiers déciles. Dans l’étude d’impact, on nous dit par exemple pour la génération 1962 : les 10 % de pensions les plus modestes augmenteraient d’à peine plus de 10 euros par mois. Pour les retraités du deuxième décile – compris entre les 10 % et les 20 % les plus modestes – on a 380 euros annuels. Soit un peu moins de 25 euros par mois.
Enfin, vous évoquiez sur les réseaux sociaux que cette augmentation pourrait avoir pour conséquence de faire baisser l’Allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa). Pouvez-vous l’expliquer ?
L’Aspa est une prestation différentielle. Et donc qui vous ramène à un montant cible. Quand vos revenus augmentent, tant que vous êtes sous le plafond de l’Aspa, elle diminue d’autant. On peut tout à fait avoir des cas, notamment sur les gens qui gagnent des montants faibles, pour lesquels en fin de compte il n’y aura pas d’amélioration.
500 000 personnes cumulent les deux, mais ce n’est pas un cumul additionnel, c’est un cumul différentiel. Vous liquidez votre retraite, vous avez votre pension au minimum contributif (Mico). Si votre pension fait 300 euros par mois, comme l’Aspa a un montant cible ( un peu plus de 900 euros), l’Aspa vous verse la différence.
Donc si vous touchez 300 euros de retraite, l’Aspa vous en verse 600. Et si votre retraite passe à 400, alors l’Aspa va vous en verser 500 et vos revenus n’auront pas bougé. Du coup, il y a de nombreux profils, même si je ne sais pas combien, pour qui cela ne change rien.
Recueilli par Stéphane Ortega
Photo : Le 31 janvier 2023 à Paris/©Yann Lévy.