Préservation

Une forêt coopérative comme « épargne locale et écologique »

Préservation

par Florian Espalieu (L’âge de faire)

Six amis ont décidé de créer un groupement forestier pour acheter des parcelles dans le Vercors et les préserver, tout en dégageant quelques bénéfices. L’initiative s’ouvre depuis à de nouveaux associés et séduit des citoyens sensibles à l’écologie. Reportage.

« Alors, attention où vous marchez ! avertit Benoît Coulée, mi-sérieux, mi-taquin. Les petites pousses, là, c’est votre investissement… » Cet après-midi, le gestionnaire forestier de 44 ans conduit un groupe d’une vingtaine de personnes dans les bois du Vercors. Outre les couleurs automnales et les rayons de soleil jouant avec les feuilles, les marcheurs peuvent profiter de l’expertise de celui qui est déjà, pour certains d’entre eux, un associé. Les autres aspirent à le devenir.

Benoît a créé en décembre 2020 avec sa compagne, son frère et trois amis le groupement forestier « Green forest ». But de cette société civile : acheter des parcelles boisées pour les préserver, tout en dégageant quelques bénéfices. « Une épargne locale et écologique », résume le quadragénaire. Avec les 21 900 euros de départ, 1,17 hectare a été acheté et sera mis en coupe l’an prochain. Six nouveaux investisseurs ont ensuite fait monter le capital à 70 000 euros, et quatre autres hectares sont en cours de transaction chez le notaire.

L’existence des groupements forestiers remonte à un décret de 1954. Mais à l’heure du dérèglement climatique, l’acte, relativement accessible, d’investir dans la forêt séduit nombre de citoyens en quête de sens. Car les 17 millions d’hectares de la forêt française métropolitaine (31 % du territoire) sont à la fois menacés par l’effet de serre, mais aussi un bon levier pour l’atténuer en captant 15 % des émissions de carbone. Créé en 2003 en Saône-et-Loire, le Groupement forestier pour la sauvegarde des feuillus du Morvan (GFSFM) fait figure de pionnier, avec aujourd’hui 350 ha et 970 sociétaires. Plus récemment, en mai dernier, 70 associés ont acheté 10 hectares de forêt ardéchoise.

« Le but n’est pas de rentabiliser à tout prix mais de gérer durablement »

« Mon modèle est plutôt Avenir forêt, créé en 2013 par un couple d’ingénieurs forestiers en Corrèze, confie Benoît. Ils travaillent désormais à temps plein sur ce groupement et gèrent plus de 500 hectares. Leur objectif de 1000 hectares sera bientôt atteint et ils n’iront pas au-delà de leurs 320 sociétaires. »

Selon le type de bois, de parcelle et le mode de gestion, le rendement financier est de 2 à 3 % par an. « Le but n’est pas de rentabiliser à tout prix mais de gérer durablement, met en garde l’Angevin d’origine. Faire travailler localement aussi : le bois coupé sera confié à des scieries du territoire. Et la gestion sur le long terme sera privilégiée. » La balade du jour vise à convaincre ceux qui, déjà nombreux, s’intéressent à l’initiative. Il permet aussi d’expliquer comment se gère une forêt : « Nous sommes ici sur les lieux d’un futur massacre, indique Benoît, en s’arrêtant au bord du chemin. Cet arbre est marqué, celui-ci aussi. La propriétaire est une dame qui n’habite pas ici et a laissé la gestion à un exploitant qui va tout couper. »

Investir dans le vivant plutôt que dans la pierre

Un peu plus loin, l’extrême inverse : « Là, c’est en indivision donc rien ne se fait. Laisser la nature faire n’est pas forcément mauvais. Mais les jeunes pousses ont moins de place pour grandir. Or, ce sont les arbres en croissance qui captent le plus de carbone. » La gestion proposée par Green forest se situera entre les deux : régulière et modérée. « Mélanger les essences, couper de temps en temps pour faire de l’espace, mais aussi laisser du bois mort pour favoriser la biodiversité. Cela permettra d’être plus robuste pour faire face aux aléas à venir », précise Benoît Coulée.

La plupart des participants sont déjà décidés. Jacky, retraité venant de l’agglomération grenobloise, a « toujours été intéressé par la forêt. Il a voulu rejoindre l’aventure, après en avoir entendu parler sur France 3. C’est le côté coopératif que j’ai trouvé intéressant. » Gabriel, 35 ans, l’a découverte dans le Dauphiné libéré : « Je souhaite investir dans le vivant, plutôt que dans la pierre, indique-t-il. J’avais déjà regardé pour acheter des parcelles, mais ce n’est pas si évident à trouver. Là, c’est plus simple. » Le « ticket d’entrée » de la société civile Green Forest a été fixé à 2500 euros. Ses statuts interdisent que l’un des sociétaires acquière plus de 40% des parts.

Avec ces renforts et d’autres, Green Forest a maintenant une trentaine de sociétaires et un capital de 180 000 euros. Une offre a été faite pour cinq nouveaux hectares à Lans-en-Vercors. Six autres sont en négociation.

Florian Espalieu (L’âge de faire)

Ce reportage est issu du numéro de décembre de L’âge de faire. Rendez-vous sur leur site pour commander le numéro. N’hésitez pas à vous abonner, pour soutenir la presse indépendante.