Sinistrés par les flammes, ils sèment pour refleurir les Corbières et changer de modèle agricole

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Trois mois après les incendies qui ont ravagé 17 000 hectares dans l’Aude cet été, des habitants agissent pour reverdir et régénérer le territoire. Une grande chaîne de solidarité se met en place pour ces semis d’automne.

par Sophie Chapelle

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« Il y a eu les actions d’urgence par rapport au sinistre où on a multiplié les chantiers solidaires participatifs. On entre maintenant dans une phase de régénération avec l’ambition de reconstruire les Corbières différemment. » Nicolas Mirouze est vigneron au cœur de la zone ravagée par les incendies cet été dans l’Aude. Voilà maintenant trois semaines qu’il a engagé avec les membres du tiers-lieu paysan Beauregard une campagne d’actions pour refleurir les Corbières. Ils sont pour l’instant plusieurs dizaines – habitants, bénévoles, agriculteurs, chasseurs – à montrer qu’il est possible d’agir sur le territoire.

Trois personnes sèment à la volée au milieu de paysages calcinés
Des habitants de ce territoire sinistrés, mais aussi des bénévoles venus de plus loin, sèment des engrais verts sur des friches viticoles calcinées.
©Isabelle Haelvoet

« Il s’agit à court terme d’apporter un couvert végétal aux friches et à ce qui a brûlé », explique l’agriculteur. En effet, les sols mis à nu par les incendies sont particulièrement sensibles à l’érosion. Comme l’eau s’infiltre moins, les prochaines pluies, même modérées, pourraient entraîner des inondations et des glissements de terrain. « Un processus de dégradation pourrait alors s’enclencher : le feu, qui appelle l’érosion, qui entraîne une aridification, qui appelle le feu suivant », met en garde le tiers-lieu paysan. La perspective de ce sinistre scénario est, à terme, la désertification.

À l’inverse, « en semant, on régénère les sols », souligne Nicolas Mirouze. En effet, les variétés annuelles, en germant cet automne, vont retenir les sols mis à nu par les feux en cas de fortes pluies. « Et c’est aussi un premier pas vers l’élevage : les surfaces semées cet automne pourront être pâturées au printemps, ajoute l’homme. C’est une solution pour les éleveuses et éleveurs qui ont perdu leurs pâturages ou leurs stocks de foin avec les incendies. »

« Faire avec les moyens qui sont les nôtres »

Plus de 17 000 hectares ont été dévorés par les flammes cet été dans les Corbières. « On part avec les moyens qui sont les nôtres, admet le vigneron. Après trois semaines, on a fait 60 hectares. On a commencé tout doucement, mais on monte en charge. L’objectif, c’est plus de 300 hectares sur cette première campagne d’ici le 22 novembre. » Cette date marquera le dernier jour des semis pour l’année 2025. Au-delà de cette échéance, les conditions sont moins propices pour semer avec des sols plus froids. Il faudra attendre le printemps pour semer à nouveau.

Un homme sème à la volée au milieu d'une friche viticole calcinée.
L’objectif, en semant cet engrais vert cet automne, est de freiner l’érosion des sols tout en rendant ces parcelles à la fois mellifères (plantations offrant de la nourriture aux abeilles) et pâturables au printemps prochain.
©Isabelle Haelvoet

« On ne présume pas des quantités de surfaces, mais on a trois contraintes », reprend Nicolas Mirouze. La première, c’est la fourniture en semences. En l’occurrence, plusieurs structures, comme la société coopérative Graines équitables au niveau local ou le Réseau semences paysannes à l’échelle nationale, ont été très actives pour en procurer gracieusement.

Trois hommes préparent un semoir au milieu de la garrigue.
L’opération « Refleurir les Corbières » est menée en partenariat avec une association de chasse locale. Tous ont un intérêt commun dans la couverture des sols.
©Damien Couderc

La deuxième contrainte c’est la capacité à semer. Selon les parcelles, il est n’est pas toujours possible de semer mécaniquement. Cela implique alors d’intervenir manuellement en semant à la volée. « Très concrètement, il faut des bénévoles. Heureusement, la dynamique continue : on accueille des bénévoles deux fois par semaine et, samedi dernier, il y avait encore 25 nouveaux bénévoles. » Sur le plan mécanique, cela suppose des engins et de l’argent pour financer. « On a levé des fonds, mais ça reste limité », pointe Nicolas Mirouze.

Les parcelles constituent la troisième contrainte. Toutes les interventions se font évidemment avec l’accord du propriétaire. « Mais cet accord n’est pas suffisant, tient à préciser le viticulteur. On ne veut pas faire ’’à la place de’’ : il faut que le propriétaire vienne participer avec nous et s’engager dans la chaîne de solidarité en nous aidant à trouver d’autres surfaces, en parlant à ses voisins... »

« Besoin de beaucoup de cerveaux et de bras »

Si des milliers d’hectares ont besoin d’être restaurés, l’opération « refleurir les Corbières » cible d’abord les friches viticoles. Dans le département de l’Aude, la moitié des surfaces viticoles ont été arrachées en 40 ans dans le cadre des politiques publiques agricoles. Des subventions à l’arrachage visaient à régler le problème de la surproduction. « Ça n’a pas réglé le problème et le drame, c’est que ça s’est fait sans projet alternatif de production, déplore Nicolas Mirouze. Ces terres abandonnées avec de grandes broussailles ont été un vecteur de propagation de feu. »

Toutes ces friches appartiennent aujourd’hui à des propriétaires qui sont essentiellement des viticulteurs. « On ne jette pas la pierre aux viticulteurs, mais on interpelle les pouvoirs publics sur le fait que ces terres sont à l’abandon, précise Nicolas Mirouze. C’est un impensé des politiques publiques. » 

Un tracteur sème au milieu des garrigues.
L’échéance pour les semis d’automne est fixée au 22 novembre 2025. « Si des collectivités nous donnent les moyens, on peut être impactant sur le territoire et semer des milliers d’hectares », assure Nicolas Mirouze, viticulteur. 
©Damien Couderc

Ce viticulteur en est convaincu : « Si des collectivités comme le département ou la région nous donnent les moyens, on peut être impactant sur le territoire, semer des milliers d’hectares et répondre à ce sujet de l’entretien des friches » Dans ce territoire de l’Aude où la monoculture de vignes a longtemps été présentée comme le seul horizon, les mentalités évoluent sur l’élevage extensif qui apparaît désormais comme une façon de prévenir les feux. « Jamais on a parlé d’élevage comme on en parle aujourd’hui », relève Nicolas Mirouze, évoquant les échanges avec la chambre d’agriculture et des communes intéressées par cette approche.

Il le sait, la transformation du modèle de production agricole demande du temps et a besoin de dépasser le seul milieu agricole. « Il faut engager celles et ceux qui habitent le territoire dans cette transformation. Dans notre modèle d’agriculture paysanne, on a besoin de beaucoup de cerveaux et de bras. Remplacer les intrants et la chimie en agriculture, ça se fera en engageant des travailleurs. Il faut embarquer ! »