Soutenir Gaza depuis la France : « On se sentait complètement démunis »

Société

Après onze semaines de blocus total d’Israël, quelques camions d’approvisionnement sont enfin entrés à Gaza. Face à l’horreur, des personnes tentent d’aider la population gazaouie depuis la France, malgré les nombreux obstacles.

par Malo Janin

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« On se sentait complètement démunis. Puis on s’est dit : pourquoi ne pas faire quelque chose qu’on maîtrise » Benjamin Giraud est boulanger dans le Rhône. Il ne s’est jamais rendu à Gaza. Mais depuis un mois, sa compagne Teepam et lui ont décidé d’utiliser leur farine et leur savoir-faire pour venir en aide à la population de l’enclave palestinienne, victime depuis plus d’un an et demi de bombardements israéliens qui ont dévasté son territoire, et tué des dizaines de milliers de personnes.

Les week-ends, le couple de boulangers vend au marché une quinzaine de « pains pour Gaza ». Leur prix est fixé à 2,50 euros sur lesquels deux euros sont destinés à la population palestinienne. Les boulangers ont fait leur premier virement d’une cinquantaine d’euros au collectif local d’Urgence Palestine, qui se charge ensuite de redistribuer comme il peut l’argent aux Gazaouis. « Ce sont des petites sommes, mais elles peuvent permettre d’aider une femme enceinte, un enfant », dit Benjamin.

Teepam et Benjamin sont horrifiés par les « frappes sur des écoles » et les images de mort qui envahissent les médias et nos réseaux sociaux. « On ne pouvait plus rester sans rien faire, disent-ils. Ce qui me choque le plus, c’est la non-réaction des États et de l’Europe face aux atrocités commises », déplore le boulanger.

« Maintenir une cohésion sociale »

Pour aider la population de Gaza, des collectifs tels qu’Urgence Palestine (que le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau veut dissoudre) encouragent les dons à de petites structures locales. « Privilégier les dons aux associations ou collectifs locaux contribue à maintenir une cohésion sociale et évite de creuser encore plus les inégalités, à la différence des dons individuels », dit l’un des militants d’Urgence Palestine.

Certaines personnes souhaiteraient envoyer directement de l’argent à des individus plutôt qu’à des organisations, mais le collectif pointe les difficultés rencontrées par ces démarches. « Faire de la communication autour de cagnottes individuelles expose ces personnes à la répression de l’armée israélienne. Tout se fait donc par le bouche-à-oreille », explique le porte-parole d’Urgence Palestine.

Le projet humanitaire Enfan de Palestine, créée en avril 2023, fabrique des t-shirts et autres vêtements et reverse les profits à des collectifs palestiniens. 80 000 euros ont ainsi été envoyés au collectif Sa7ten. D’autres organisations, telles que l’Association France Palestine solidarité (AFPS), soutiennent des initiatives locales depuis le territoire français.

Depuis 2001, l’AFPS tisse des relations avec des structures à Gaza et en Cisjordanie. Fourniture de vêtements, tentes, colis alimentaires…« On fait en fonction des besoins que nos partenaires palestiniens sur place nous font remonter », explique Véronique Hollebecque, trésorière de l’AFPS. En 2024, plus de 200 000 euros ont été envoyés à une vingtaine de projets à Gaza via l’appel au don SOS Palestine.

L’envoi d’argent compliqué

Lors de son dernier voyage à Gaza, en 2022, Véronique s’était rapprochée d’un collectif pourvoyant des couches pour bébés. « Finalement, le projet s’est transformé, pour aller vers l’équipement d’une pompe à eau pour un puits. Les besoins changent plus rapidement et sont plus difficiles à cibler sur la bande de Gaza qu’en Cisjordanie », détaille la trésorière. La prise de contact avec de nouveaux partenaires locaux est aussi devenue impossible depuis le 7 octobre 2023, puisque l’entrée sur le territoire de Gaza est interdite aux militants de l’AFPS.

Les transferts d’argent vers Gaza sont également difficiles. « C’est bien d’avoir des donateurs, mais il encore faut que l’argent puisse parvenir sur le territoire palestinien », note Véronique. De nombreuses banques refusent de faire les transferts à des banques palestiniennes, ce qui a conduit l’association à recourir à une plateforme en ligne de transferts internationaux. Une fois sur place, les partenaires règlent leurs fournisseurs par voie électronique le plus souvent possible : l’argent peut être retiré dans certains endroits, mais les commissions sont de plus en plus importantes, rapporte la trésorière de l’association.

Bombardements incessants, blocus de l’aide humanitaire, répression de la part des autorités israéliennes… Les entraves matérielles aux collectifs locaux sont nombreuses. « Nous soutenons une association qui fait de l’accompagnement scolaire à Khan Younès, mais elle ne peut plus accéder à ses locaux depuis le début de l’offensive israélienne d’il y a deux semaines, et a dû délocaliser ses actions en dehors du camp », déplore Véronique. Après l’offensive sur Jénine, en Cisjordanie, les locaux Maison chaleureuse, un autre collectif de soutien aux enfants, financé à 50 % par l’AFPS, ont été totalement détruits.

Des routes impraticables

« Ces initiatives sont absolument nécessaires pour aider les Palestiniens, et doivent être complémentaires d’ONG qui fournissent une majorité de l’aide humanitaire, de l’éducation et des soins », appuie Lubnah Shomali, une responsable de Badil, un centre palestinien pour les droits des réfugiés. La Palestinienne est venue de Bethléem à Paris le week-end dernier pour plaider la cause des réfugiés lors d’une Conférence pour la protection du peuple palestinien.

L’ONG Médecins sans frontières (MSF) embauche toujours du personnel médical et non-médical sur place. « Nous travaillons dans les hôpitaux du ministère de la Santé et dans des hôpitaux de campagne, structures qui évoluent au gré des destructions et déplacements de populations », explique Alice Gotheron, attachée de presse de MSF. Afin de fournir des soins de chirurgie, de psychothérapie, pédiatriques et traumatologiques, l’ONG se finance sur les dons faits au Fonds d’urgence régional Gaza. « Les besoins sont bien supérieurs et nous sommes contraints de puiser dans le fonds d’urgence international de MSF », ajoute Aurélie Dumont, directrice de la collecte de fonds.

Les routes qui permettent l’acheminement sur la bande de Gaza sont largement impraticables, semées de checkpoints, de foules et de débris. Certains camions du Programme alimentaire mondial ont été pillés. « Personne ne devrait être surpris ou choqué de voir des scènes où une aide précieuse est pillée, le peuple de Gaza est affamé depuis plus de onze semaines », a écrit sur le réseau social X Philippe Lazzarini, commissaire général de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (Unrwa).