Réindustrialisation

« La Coop des masques n’aurait pas dû mourir »

Réindustrialisation

par collectif

Voilà la huitième vague de Covid-19 et la Coop des masques, en Bretagne, est en dépôt de bilan. Des membres de la coopérative et des parlementaires dénoncent un gâchis, car le projet représentait « l’espoir d’une réindustrialisation de la France ».

Nous sommes au début de la huitième vague de la pandémie de Covid-19 et la Coop de Masques, sise à Grâces dans les Côtes-d’Armor, est en dépôt de bilan. Comment en est-on arrivé là ?

Au début de la pandémie de Covid-19, l’État souhaitait créer une capacité de production de masques qui nous garantisse une autonomie sanitaire. Les projections de commandes de masques ont été la base des prévisions des producteurs lancés dans cette activité comme de ceux qui les ont financés, dans le public comme dans le privé.

Finalement, le taux d’importation de masques (principalement depuis la Chine) dans les appels d’offres publics est passé de 95 % avant la période Covid à 97 % entre septembre 2020 et l’été 2021, d’après le syndicat des producteurs de masques français. Cette situation fait suite à de précédents épisodes où un soutien de l’État a encouragé le développement d’unités de production partout en France.

Le cahier des charges introduit en février 2022 afin de favoriser les producteurs français, en recommandant l’application d’une clause imposant la production des masques et matières premières en Europe, n’a pas transformé le comportement des acheteurs qui ont toujours pour principal critère le prix et non l’origine de la production ou la qualité.

Les masques importés ne sont pas contrôlés

Les masques importés ne sont pas contrôlés par les services des douanes faute de moyens, ce qui place les producteurs français en position de désavantage concurrentiel sur leur propre marché puisqu’ils font, eux, l’objet de contrôles minutieux et longs pour commercialiser. Qui demande si les masques vendus dans la grande distribution et sur Amazon sont bien aux normes ?

Qui s’interroge sur les conditions de travail dans les usines ? Qui souhaite connaître l’empreinte environnementale des masques au cours de leur cycle de vie ? Concernant les engagements des entreprises en termes de responsabilité sociale et environnementale, nous ne savons que ce que veulent bien dire les services de communication des entreprises.

Un silence complice s’est imposé. Les producteurs français de masques sont forcés de casser les tarifs pour tenter de concurrencer les prix de ces masques importés, tout en maintenant leur exigence de normes de qualité, sur un marché limité dont les prévisions de croissance sont finalement faibles. Cela laisse très peu de marges pour innover et investir dans des masques et autres équipements de production plus durables.

Toujours choisir le moins-disant

Les machines de meltblown (matériau filtrant utilisé pour les masques, qui ont été achetées avec des aides d’État, sont finalement un désavantage concurrentiel puisque rien ne permet de valoriser la production locale et les circuits courts. Les capacités de production de melt sont désormais trop nombreuses en France et Europe, et ceux qui achètent directement leur meltblown en Chine le paient moins cher puisque le cours du produit s’est effondré.

En accordant un prêt d’honneur aux entreprises qui souhaitaient acquérir les fameuses machines, le prêt a finalement représenté le baiser de la mort, endettant durablement les entrepreneurs qui se basaient sur les prévisions de croissance du marché et sur le cahier des charges des commandes d’État, lesquels devaient correspondre à une production locale et durable.

Les services de l’État ont bien misé sur ce cahier des charges, ils l’ont même imposé en proposant de compenser le surcoût au niveau hospitalier. Mais les acheteurs des différentes structures publiques et privées ont l’autonomie budgétaire, et pour les hôpitaux et les universités mises à mal par des budgets d’austérité depuis des années, chaque centime compte. Lorsque des commandes sont possibles, il faut toujours choisir le moins-disant.

Les commandes se font hors de France

Les habitudes sont prises, les commandes se font hors de France. L’on pourrait penser que les masques ne sont jamais qu’un produit secondaire dans notre stratégie industrielle. Mais, comme le souligne Nicolas Dufourcq, le directeur général de la Banque publique d’investissement, dans son ouvrage La désindustrialisation de la France, 1995-2015 :« Qu’est-ce que le déficit commercial ? Un déplacement de fonds propres, une tranche de capital des Français transférée vers l’étranger pour créer des emplois là-bas plutôt qu’ici ».

Après sept ans de réflexion, en 2022, le drame s’amplifie malgré les investissements publics qui ont été consentis durant la pandémie et qui vont imposer aujourd’hui de nouveaux sacrifices aux contribuables et aux services publics afin de compenser les déficits. La Coop des masques a été créée pour réparer l’erreur de la fermeture de l’usine de Plaintel par le groupe Honeywell qui a délocalisé en 2018 dans une période de force majeure où équiper la population de masques était une priorité nationale. La guerre en Ukraine et le coût de l’énergie ont-ils changé les priorités alors qu’une huitième vague pandémique s’annonce et que nos approvisionnements sont menacés par l’incertitude sur le commerce mondial ?

En précipitant le dépôt de bilan de la Coop des masques, comme tant d’autres structures qui n’ont pas remporté d’appels d’offres, certains semblent croire qu’il faut choisir les meilleurs du marché. Cela suppose de sélectionner les sous-traitants les moins chers, mais aussi de mettre un terme à des expériences locales et coopératives qui ne sont pas compétitives en termes de prix.

Toute la filière française de production de masques est menacée

Cela devient une erreur de chercher à introduire de la coopération et de la solidarité dans le secteur du sanitaire et social. Parce que les masques sont vendus quelques centimes de plus que des masques importés de Chine, c’est l’échec. La responsabilité individuelle des entrepreneurs, du conseil d’administration et des salariés est mise en cause. Ils ont commis l’erreur de croire que les aides de l’État souhaitaient réindustrialiser la France et réguler le marché dans un secteur essentiel pour la santé des personnes et la vie du pays.

Ils n’ont pas imaginé qu’après tous ces efforts, seul le prix compterait pour les clients, et que l’État les laisserait choisir et non l’autonomie stratégique de la France face aux pandémies ? Si demain la Chine ne livre pas ses quelque 1,7 million de masques à la préfecture de police de Paris, ses cinq millions de masques aux armées et au moins autant à la région Hauts-de-France qui n’a pas inclus la clause de préférence européenne dans son appel d’offres malgré les rappels du syndicat des producteurs de masques français, cela promet de nouveaux pugilats sur les tarmacs.

Alors que les aides publiques à destination des entreprises se chiffrent à au moins 157 milliards d’euros par an, ce qui en fait le premier poste du budget de l’État, l’incohérence de la politique des achats en France fait que ce n’est pas seulement la Coop des masques qui est menacée. C’est toute la filière française de production de masques, c’est la démocratie sanitaire, et c’est aussi la croyance qu’il est possible de mettre un terme à la désindustrialisation de la France.

La Coop des masques représente l’espoir d’une réindustrialisation de la France, d’une pluriactivité dans une région comme la Bretagne qui peine à transformer sa monoactivité agro-industrielle et une vraie démocratie sanitaire fondée sur la confiance grâce à un marché régulé.

La Coop des masques n’aurait pas dû mourir. Elle avait une utilité sociale et des structures comme celle-là servent toujours au principe d’intérêt général.

Signataires : Tous les salariées ou membres fondateurs de la Coop des masques. Parlementaires : Duteil Simon, David Cocault, Murielle Guibert, Patrick Guilleminot, Murielle Lepvraud, Serge Le Quéau, René Louail, Tristan Lozach, Elen Riot, Aurore Ruellan, François Ruffin, Christophe Winckler.