« Ainsi s’ouvre un sombre nouveau chapitre de l’histoire américaine. » Le site indépendant Mother Jones partage la morosité que ressentent beaucoup de médias indépendants étasuniens au lendemain de l’élection. Le suspense n’aura duré que quelques heures : Donald Trump reprendra la tête du pays en janvier 2025.
« Kamala Harris a obtenu de bons résultats auprès des électrices de tous âges et de toutes régions, mais cela n’a pas suffi à rattraper le terrain perdu auprès des hommes noirs, mais surtout des électeurs latinos qui, d’après les sondages de sortie des urnes, ont été étonnamment nombreux à voter pour Donald Trump », analyse la journaliste Stephanie Mencimer.
Dans un autre article, le média progressiste cherche une explication à la défaite de Kamala Harris. Une explication simple et évidente se présente à ses yeux : les inégalités de richesse. « La moitié des familles du pays le plus riche de la planète n’ont aucune richesse. Faut-il s’étonner que certaines d’entre elles soient prêtes à voir le système brûler ? » Même si le mandat démocrate n’a pas été si mauvais pour les ménages américains. « L’administration Biden a fait beaucoup pour la classe moyenne et a essayé d’en faire plus, mais la nuance est difficile à faire entendre à des familles qui s’inquiètent de savoir si elles vont pouvoir tenir jusqu’à la fin du mois. »
Un désastre pour les droits des femmes
« Aujourd’hui est un jour de désespoir pour les États-Unis », écrit le même jour la journaliste de la version étasunienne du Guardian Moira Donegan. « Aujourd’hui est un jour de désespoir, et il serait futile de dire à ceux qui craignent et pleurent ce qui va arriver aux États-Unis qu’ils s’en sortiront. Ce serait également malhonnête : pour beaucoup d’entre nous, en vérité, ne s’en sortirons pas. » 2024 n’est pas 2016, affirme la journaliste. C’est pire. Cette fois, Trump « est entouré d’incels, de conspirationnistes et de sadiques, et ils sont bien mieux préparés à utiliser les organes de l’État pour poursuivre leurs objectifs haineux ».
C’est un désastre pour les droits des femmes et des minorités. « Trump retourne à la Maison Blanche et les conséquences pour la santé reproductive aux États-Unis et dans le monde sont catastrophiques », illustre openDemocracy. Son premier mandat a déjà eu des conséquences désastreuses pour la vie des femmes dans le pays. « Il ne fait guère de doute que Trump signera une interdiction nationale de l’avortement », prévoit la journaliste Sian Norris, spécialiste de ces questions.
Sauvegarder la démocratie
« Peut-on réparer notre démocratie ? » Yes ! Magazine élargit même cette question au reste du monde, observant que « la démocratie décline partout ». Sa conclusion est unanime : « La démocratie est la plus saine lorsqu’il y a une plus grande participation et un meilleur partage du pouvoir, en particulier parmi ceux qui ont été historiquement exclus. » Le média de solution propose plusieurs pistes, de l’ouverture du vote à des personnes aujourd’hui exclues, à une réforme de la Cour suprême en passant par plus de démocratie directe et une reconnaissance des « droits de la nature ».
De son côté, The Intercept propose une autre réponse à la victoire de Donald Trump : l’action radicale. Il n’y a plus rien à attendre du parti Démocrate, écrit Natasha Lennard. « J’évoque ici le regretté Fitzgerald, Standing Rock, Occupy, les réseaux d’entraide, les soulèvements après la mort de George Floyd et, plus largement, l’activisme de solidarité à Gaza – la lutte antiraciste, antifasciste, anti-impérialiste et anti-génocide de ces dernières années – parce que l’establishment démocrate a clairement indiqué qu’il s’engageait dans une politique vouée à l’échec, consistant à faire appel à la droite, pour ensuite perdre face à la droite », y écrit la chroniqueuse.
Autre publication indépendante américaine, ProPublica publie, au lendemain du choc électoral, un article pour clarifier sa position pendant les quatre années à venir. « La victoire de Donald Trump marque un tournant dans l’histoire américaine, et il y a beaucoup à disséquer sur ce que cela signifie. Nous laisserons cette analyse à d’autres, introduit le média d’enquête. Notre travail consiste à donner aux lecteurs un compte rendu indépendant et fiable de ce qui se passe, même si le président nous traite d’ennemis du peuple ou de suceurs de sang. »
Face à cet avenir sombre pour les États-Unis, les médias indépendants, grands comme petits, se tiennent prêts à assurer leur rôle de contre-pouvoir. On retrouve dans l’article de ProPublica les mots de l’un des rédacteurs en chef du média à son équipe, le matin du 6 novembre : « Nous pouvons être harcelés. Nous pouvons être poursuivis en justice. Nous pouvons être menacés de violence. Nous pouvons être ignorés. Sommes-nous prêts ? »
Emma Bougerol
Photo de une : CC BY-NC-ND 2.0 Gilbert Mercier via Flickr