Le 15 juin 2021, au petit matin, des policiers débarquent chez Marie-Claire, institutrice dans un village de la Creuse. Les forces de l’ordre arrêtent ce jour-là cinq autres personnes dans les environs, en lien avec une enquête sur les incendies d’un émetteur TNT en janvier 2021 en Haute-Vienne et de huit véhicules d’Enedis, l’entreprise publique qui gère le réseau électrique, à Limoges en février 2020.
Marie-Claire est alors à quelques semaines de la retraite. Elle passe quatre jours en garde à vue, et apprend alors qu’elle fait l’objet d’une surveillance d’au moins plusieurs semaines selon son avocat. « On a été suivi, écouté… », témoigne Marie Claire. Puis, aux côtés de deux autres personnes, la retraitée est mise en examen pour association de malfaiteurs. Elle est placée pendant 16 mois sous contrôle judiciaire. Celui-ci vient d’être totalement levé fin octobre.
Marie-Claire dénonce aujourd’hui un dossier vide. « On me reproche des contacts avec des gens, on me reproche de chanter dans une chorale révolutionnaire, d’être allée manifester contre la réforme des retraites », dénonce-t-elle. Elle déplore aussi de ne pas avoir eu le droit de finir son année scolaire, la dernière de sa carrière. « Après mon arrestation, le directeur académique m’a suspendue de mes fonctions de directrice d’école et d’enseignante, à titre conservatoire, pour me protéger et protéger le service a-t-il précisé. Sauf qu’il n’a fait que bafouer la présomption d’innocence à laquelle j’avais droit et m’a volé ma fin de carrière. »
« Je ne pouvais pas aller voir ma fille ni mon petit fils »
Pendant les longs mois de son contrôle judiciaire, Marie-Claire n’a d’abord pas pu quitter son département de résidence, la Creuse, alors qu’elle habite à la frontière de trois départements - Creuse, Corrèze et Haute-Vienne. « Quand on habite sur le plateau de Millevaches, la vie sociale, économique, relationnelle, se déroule sur les trois départements. D’ailleurs ma fille et mon petit-fils habitent à 10 km… en Corrèze, précise-t-elle. Donc je ne pouvais pas aller voir ma fille ni mon petit-fils ». « Elle ne pouvait pas quitter la Creuse alors que sa vie était en Haute-Vienne, qui est à cinq kilomètres de chez elle. C’est très lourd un contrôle judiciaire », ajoute son avocat Guillaume Laverdure.
Marie-Claire est aussi alors interdite de participer à des manifestations sur la voie publique, et de rencontrer les deux autres personnes mises sen examen. Au bout de six mois, le contrôle judiciaire est un peu allégé. Elle peut se déplacer au-delà de son département. Mais pendant plus d’un an, il lui est interdit de voir sa partenaire, également mise en examen. « Nous avions une relation amoureuse depuis trois ans. Pourquoi la justice a-t-elle utilisé cette information pour faire pression sur nous deux ? » interroge Marie-Claire.
« 16 mois de limitation de liberté, quatre jours de garde à vue, pour une institutrice à la retraite, c’est très lourd », dénonce son avocat. La levée totale du contrôle judiciaire « ne préjuge pas d’une déclaration d’innocence ou d’un non-lieu, précise-t-il encore. Mais a minima cela veut dire que la justice a considéré qu’elle n’était pas suffisamment impliquée pour continuer à subir la mesure limitative de liberté qu’est le contrôle judiciaire. »
L’avocat et sa cliente contestent fermement les faits reprochés
L’association de malfaiteurs est définie par la loi comme « tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement ». Ce qui est en l’occurrence reproché à l’institutrice avec sa mise en examen, « c’est une entente établie en vue de la préparation de l’acte, explique maître Guillaume Laverdure. Ce qui est visé dans l’accusation d’association de malfaiteurs, ce n’est pas le fait de prendre forcément part à l’acte, ni d’être complice, mais d’avoir pris part à la planification du délit ou du crime, ou d’avoir aidé à sa préparation. »
Quoi qu’il en soit, l’avocat et sa cliente contestent « fermement » les faits reprochés et demandent « la relaxe pure et simple ». « Le dossier est vide, ne démontre rien », insiste l’avocat. Il craint néanmoins que le processus soit plus ou moins à l’arrêt et que l’instruction ne soit pas close avant longtemps. Pour l’ancienne institutrice, cela signifie encore de longs mois d’incertitude.
Image d’illustration : un véhicule d’Enedis. CC BY-SA 4.0 Arthur Crbz via Wikimedia Commons.