Déplacer les Palestiniens de Gaza vers la Jordanie, ou l’Égypte. Transformer la bande de Gaza en station balnéaire. Retirer les États-Unis de l’Unrwa, l’agence de l’Organisation des Nations unies (Onu) qui fournit une assistance aux réfugiés palestiniens… Depuis son retour à la présidence des États-Unis le 20 janvier 2025, Donald Trump a multiplié les annonces sur l’avenir du peuple palestinien. Suite à ces propos, l’Onu et plusieurs États ont dénoncé la menace d’un nettoyage ethnique ou d’un déplacement de population. Le ministre des Affaires étrangères français Jean-Noël Barrot rappelait le 5 février dans un communiqué, « la violation grave du droit international » que représenterait le déplacement forcé de la population de Gaza.
Bien qu’un cessez-le-feu ait été conclu entre l’État israélien et le Hamas le 15 janvier, la situation des 2 millions de Palestiniens de l’enclave reste catastrophique, raconte le magazine +972. L’essentiel de la population est en attente d’aide humanitaire et plus de 70 % des habitations ont été endommagées ou détruites. Depuis le début de l’offensive israélienne sur Gaza, en représailles aux attaques du 7 octobre 2023 du Hamas, entre 50 000 et 70 000 Gazaouis auraient perdu la vie.
Un crime de génocide ?
Pour plusieurs acteurs, cette menace de nettoyage ethnique doit poser la question d’un autre crime qui se jouerait depuis le début de l’offensive israélienne : le crime de génocide.
Dès la fin 2023, plusieurs des grandes organisations de défense des droits humains dénoncent tour à tour le crime ou le risque de génocide à Gaza. C’est le cas de la Fédération internationale pour les droits humains , des ONG Human Rights Watch, Médecins sans frontières et Amnesty International.
Le 29 décembre 2023, l’Afrique du Sud accuse l’État d’Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ) de violer la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide. La CIJ enjoint alors Israël à prendre des mesures pour « prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte de génocide ».
Cette plainte est suivie en mars 2024 par la publication d’un rapport de Francesca Albanese, rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 auprès du Conseil des droits de l’homme de l’Onu. Pour la rapporteuse, le caractère génocidaire de la guerre israélienne contre Gaza est sans appel au regard de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
Cette convention, qui date de 1948, définit le crime de génocide de la manière suivante : « tout acte commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».
Pour caractériser un génocide, il faut prouver l’intention de l’État accusé de commettre ce génocide, ainsi que la réalisation d’au moins un de ces cinq actes :
- le meurtre de membres du groupe
- l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe
- la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle
- les mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe
- le transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe
« Une conclusion juridique »
« Dans le cadre de notre rapport, nous avons documenté trois de ces actes. Les meurtres, l’atteinte à l’intégrité physique et mentale des membres du groupe. Et la soumission à des conditions d’existence telles que cela doit entraîner la disparition des membres du groupe », expose Aymeric Elluin, chargé de plaidoyer à Amnesty International. Dans ce rapport de près de 300 pages, les enquêteurs de l’ONG ont répertorié les attaques israéliennes sur Gaza et leurs conséquences, tant sur le plan humain que sur les infrastructures nécessaires à la vie (santé, école, alimentation, eau…).
En plus de ces observations, Amnesty International a tenté de démontrer l’intention génocidaire de l’État israélien. Que ce soit au travers de frappes spécifiques comme « les bombardements directs et aveugles contre les populations civiles et sans objectif militaire », explique Aymeric Elluin. Ou au travers d’actions comme l’entrave à l’aide humanitaire, à l’accès à l’eau, à l’électricité et à des centaines de biens de première nécessité comme l’oxygène ou les produits anesthésiants. Le tout rendant la vie impossible dans la bande de Gaza.
Amnesty International a aussi procédé à l’analyse des déclarations des principaux représentants de l’État et de l’armée israélienne. Les équipes de l’ONG ont constaté un discours de déshumanisation du peuple palestinien et des appels à sa destruction. Pour Aymeric Elluin, nombre de ces déclarations sont des preuves de l’intention génocidaire israélienne : « Quand vous traitez des individus d’animaux. Quand vous dites : “il faut éradiquer cette population et ces bouchers d’enfants.” Le ministre des Finances a osé employer ces termes-là. Ces déclarations annoncent le génocide. » Il précise également que la menace de nettoyage ethnique peut être considérée comme un indice de la commission de ce génocide.
Pour le chargé de plaidoyer, l’accusation de génocide d’Amnesty International à l’encontre d’Israël, n’est pas un simple avis : « Nous n’avons pas exprimé d’opinion. Nous avons pris le droit, pris les faits et nous avons confronté la réalité avec le droit, puis nous avons tiré une conclusion juridique. »
Face à cette conclusion, l’ONG appelle à une reconnaissance internationale du génocide en cours à Gaza et à l’intervention des États signataires de la convention contre le génocide qui sont dans l’obligation de prévenir ce crime. Aussi, « il faut absolument qu’il y ait réparation des infrastructures. Qu’il y ait acheminement de l’aide humanitaire. Si tout cela n’est pas fait et qu’on considère que l’intention reste, le crime de génocide peut continuer », conclut Aymeric Elluin.