A69 : une alternative ferroviaire pourrait faire annuler le projet autoroutier

par Justin Carrette

Dévoilé en janvier par des opposants à l’A69, un projet de modernisation du réseau ferroviaire entre Toulouse et Castres pourrait être une alternative sérieuse à la construction de l’autoroute.

« L’annulation du projet d’autoroute par la justice me semble nécessaire et évidente au vu des éléments considérés aujourd’hui. » Derrière son écran, en visioconférence, Jean Olivier conclut son exposé sur l’alternative ferroviaire à l’A69. Le 15 avril, ce docteur en écologie a été auditionné par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute. Invité à s’exprimer par la rapporteure de la commission, la députée écologiste-Nupes Christine Arrighi, Jean Olivier a pu présenter durant trente minutes une solution de substitution à la construction de l’autoroute entre Toulouse et Castres.

Un homme avec un T-shirt jaune micro à la main s'adresse à la foule
Jean Olivier
Lors d’une manifestation à Toulouse contre l’A69, le 21 avril 2024.
© Justin Carrette

Visiblement exaspéré par cette intervention et « le dévoiement de cette commission d’enquête », le président de la commission, le député Renaissance du Tarn Jean Terlier, coupe court aux échanges. « Vous avez compris l’agacement qui était le mien », pointe-t-il. Pourtant, le sujet de l’alternative ferroviaire se révèle central dans le dossier de l’A69.

Né dans les années 1990, le projet de liaison autoroutière A69 entre Castres et Toulouse n’a cessé de diviser la population locale. Les travaux ont officiellement débuté en mars 2023. Mais des collectifs de citoyens se battent depuis 2007 contre l’autoroute, notamment le Collectif RN126 ou La Voie est libre.

Grève de la faim

Leurs moyens d’action sont multiples. Trois Zad bloquent toujours les travaux sur différentes zones, deux près de Castres, dans le Tarn, et une à Verfeil, en Haute-Garonne. Plusieurs activistes se sont même mis en grève de la faim et de la soif pendant un mois à l’automne. D’après ses opposants, le chantier de l’autoroute va artificialiser près de 360 hectares de terres, détruisant notamment des espèces protégées et leur habitat.

« Selon le Code de l’environnement, il est interdit de détruire ces zones protégées », affirme l’avocate Alice Terrasse, spécialisée en droit de l’environnement. « Il existe une dérogation permettant la destruction de ces espaces, mais pour cela, il faut remplir des conditions strictes, notamment la recherche de solution de substitution, qui doit se faire au regard de l’environnement et des espèces protégées », poursuit au téléphone l’avocate du collectif La Voie est libre, qui regroupe des opposants à l’A69. Puisque le projet détruit des espaces naturels protégés, il ne peut se faire que si l’autoroute est le seul projet qui peut remplir les objectifs recherchés, explique l’avocate.

Pourtant, aucune étude concernant l’alternative ferroviaire ne semble avoir été produite par les pouvoirs publics. Auditionné par la commission d’enquête parlementaire le 27 février, l’ancien ministre des Transports Dominique Perben avoue « ne pas avoir le souvenir qu’on ait mis en balance à l’époque une opération routière par rapport à une opération ferroviaire ».

Pas d’étude officielle sur l’alternative ferroviaire

La députée écologiste de Haute-Garonne Christine Arrighi assure à Basta! « avoir demandé à plusieurs reprises l’étude comparative qui prouve que l’alternative ferroviaire a été envisagée. On m’a répondu qu’on ne retrouvait plus le dossier. Soit on nous ment, et c’est très grave, soit aucune étude n’a été produite et c’est tout aussi grave puisque cela signifie que le choix de l’autoroute plutôt qu’un autre moyen de transport a été fait par pur dogmatisme. »

Banderole indiquant "l'autoroute avance, nous aussi" au milieu d'une forêt
Sur la Zad de la Crem’Arbre, installée depuis novembre 2023 à Saïx, dans le Tarn, contre le projet d’autoroute A69.
©Justin Carrette

Selon le concessionnaire Atosca, la motivation principale ayant poussé à la construction de cette autoroute serait « le désenclavement du bassin Castres-Mazamet ». Pour remplir cet objectif, l’autoroute est alors « nécessaire », estime la présidente de la région Occitanie, la socialiste Carole Delga. Début octobre 2023, elle annonçait devant la presse qu’ « il n’existe aucune alternative à l’A69 ».

Un an avant, en octobre 2022, l’Autorité environnementale (autorité chargée de l’évaluation environnementale des projets) rendait son avis sur le projet. « Aucune prise en compte de choix modaux alternatifs n’a été présentée, au motif que le chemin de fer utilise un autre itinéraire pour relier Toulouse et Castres. Cet argument est sans effet sur l’un des objectifs principaux motivant le projet et son utilité publique : le “désenclavement” de Castres », pouvait-on notamment lire dans ce document.

Mieux exploiter la ligne existante

Quelques jours après son audition devant les députés, dans un café du centre-ville de Toulouse, Jean Olivier sort des dossiers de son sac. Il détaille le projet qu’il a mis au point avec Benoît Durand, membre de l’Association des usagers des transports de l’agglomération toulousaine. « Avec la voie ferrée existante et quelques aménagements, nous pourrions d’ores et déjà augmenter le cadencement des trains pour avoir un passage toutes les demi-heures entre Toulouse et Castres, contre un toutes les heures actuellement », défend-il, graphiques à l’appui.

Extrait du dossier de presse sur l’alternative ferrovaire à l’A69
Cliquez sur l’image pour accéder au dossier qui résume le projet ferroviaire.

« Benoît Durand, qui a une grande expertise dans le domaine ferroviaire, a réalisé de nombreuses simulations pour calculer le cadencement optimum pour que les trains puissent se croiser, en gardant une voie unique sur quasiment tout le tracé », ajoute Jean Olivier. Les deux hommes ont imaginé la construction de deux nouvelles gares de croisements (un passage en double voie de la voie ferrée sur quelques dizaines de mètres pour permettre à deux trains de se croiser), la mise en place d’un nouveau système de signalisation automatique, le rehaussement de la vitesse et l’achat de cinq nouveaux trains pour cette ligne de 87 kilomètres.

Cette simulation a ensuite été transmise à Daniel Emery, un consultant indépendant reconnu pour son expertise ferroviaire. Diplômé de l’École polytechnique de Lausanne, en Suisse, il a notamment participé en 2005 à un audit sur l’état du réseau ferré français à la demande de la SNCF. En vérifiant les cadencements et les solutions apportées par les deux militants toulousains, Daniel Emery a conclu à la faisabilité du projet.

« Ce sont des mesures et des travaux qui pourraient être faits très rapidement. Avoir un cadencement des trains à la demi-heure, c’est 32 trains par jour dans chaque sens, soit plus de 6000 personnes qui peuvent être transportées de Castres à Toulouse et inversement », lance Jean Olivier d’un ton enthousiaste.

Une bataille de chiffres

Jean Olivier et Benoît Durand ont également estimé le coût de ces travaux et de ces différents aménagements sur la ligne. Pour cela, ils ont consulté des experts et recoupé leurs chiffres avec des projets similaires menés par la SNCF en France, notamment en Loire-Atlantique. Selon leurs recherches, cette modernisation coûterait entre 80 et 120 millions d’euros.

Un montant que n’a pas tardé à démentir Carole Delga, fin janvier, dans les colonnes de La Dépêche. Selon elle, des travaux sur cette ligne coûteraient au minimum un milliard d’euros. Le 7 mars, devant l’étonnement de plusieurs députés face à l’écart entre les chiffres de la présidente de région et ceux de l’étude menée par les militants, Carole Delga a adressé un courrier aux députés insoumis d’Occitanie.

En s’appuyant sur le gestionnaire SNCF-Réseau, qui affirme lui-même s’appuyer sur des « dires d’experts », Carole Delga écrit disposer d’une solution « optimum » pour la ligne ferroviaire, qui coûterait 2,7 milliards d’euros. Une différence de coût considérable qui s’explique en partie par des choix d’infrastructures différents.

« Doubler la voie sur toute la ligne c’est inutile. Ils cherchent à discréditer cette alternative », avance Jean Olivier. « Avec nos projections, on a montré qu’avec deux gares de croisements supplémentaires on peut avoir un train toutes les 30 minutes. On pourrait transporter plus de voyageurs qu’avec l’autoroute avec ce cadencement. » Contacté par téléphone, ni la SNCF ni la région Occitanie n’ont souhaité réagir, renvoyant vers la lettre adressée aux députés insoumis.

Pour Jean Olivier, même si les travaux de l’autoroute avancent, « il est fort probable que ce projet routier soit annulé si l’on prouve que l’alternative ferroviaire n’a pas été sérieusement envisagée ». Si c’est le cas, il affirme que « les infrastructures déjà construites pour l’autoroute, notamment les viaducs, pourraient être réutilisées pour poser des voies ferrées ».

Justin Carrette

Photo de Une : ©Antoine Berlioz/Hans Lucas.