Paralympiques

JO 2024 : quand l’inclusion par le sport reste une illusion pour les personnes handicapées

Paralympiques

par Lisa Noyal

Présentés comme accessibles et comme un moyen de déconstruire des stéréotypes, les Jeux paralympiques ne semblent pourtant pas répondre à cette promesse faite par les organisateurs. Pire, ils contribuent à médiatiser des stéréotypes.

« Les Jeux paralympiques sont la plus grande vitrine des personnes handicapées sur la scène mondiale, ils sont une plateforme mondiale pour l’inclusion par le sport », valorise le Comité international paralympique. « Les Jeux paralympiques de 2024 constituent une occasion unique de transformer la ville en faveur de tous et de changer le regard sur le handicap », publie la mairie de Paris sur son site internet.

Tous les quatre ans, l’idée que les Jeux paralympiques permettraient de rendre le pays plus inclusif et de modifier l’image stéréotypée que la société a des personnes handicapées revient en boucle. Dans les faits, les objectifs annoncés par les organisateurs semblent loin d’être atteints. Entre un système de classification excluant, une séparation complète des athlètes valides et non valides ou encore le manque de politiques d’accessibilité, l’inclusivité reste partielle.

Failles dans le système de classification

Pour concourir aux Jeux paralympiques, les athlètes doivent présenter « un état de santé sous-jacent qui entraîne une déficience permanente éligible », renseigne le Comité international paralympique. Aujourd’hui, il existe dix « déficiences éligibles » réparties dans trois groupes : physiques, visuelles et intellectuelles. La surdité n’en faisant pas partie, les personnes sourdes ou malentendantes ne sont pas admises si elles n’ont pas un autre handicap.

Elles participent donc aux Deaflympics (Deaf signifiant sourd en anglais), une compétition à part qui se déroule à une période différente et dans une ville différente des jeux. « La seule raison qui empêche les personnes sourdes de participer aux jeux, c’est que ni les Jeux olympiques ni les Jeux paralympiques n’ont mis en place l’accessibilité nécessaire pour cela », regrette Lyn, du Collectif de luttes anti-validistes (Clav).

Par ailleurs, les sportifs avec une déficience intellectuelle constituaient moins de 5 % des sportifs paralympiques des précédents jeux, et ne pouvaient participer qu’à trois disciplines sur les vingt-deux présentes, indique Jean-Pierre Garel, chercheur au laboratoire « Cultures éducation sociétés » à l’université de Bordeaux. « On ne voit pas non plus d’athlètes avec des handicaps psychiques tels que la schizophrénie ou des personnes autistes », ajoute-t-il. En bref, une large majorité des handicaps semble occultée.

Les sportifs handicapés doivent passer plusieurs tests pour intégrer la catégorie dans laquelle ils concourent. Ces catégories définies selon le handicap et les capacités des athlètes doivent permettre de rendre la compétition plus égalitaire. Seulement, il arrive qu’au cours de leur carrière les sportifs soient reclassés ou que les catégories dans lesquelles ils et elles concourent soient supprimées. C’est le cas en 2020 pour la snowboardeuse Cécile Hernandez qui voit soudainement sa catégorie disparaître.

La sportive traîne en justice le Comité international paralympique pour pouvoir réintégrer une autre catégorie et participer aux Jeux d’hiver de Pékin. « Toute compétition doit compter un nombre suffisant d’athlètes pour être compétitive. Lorsqu’il n’y a pas le nombre requis d’athlètes en compétition dans une catégorie, celle-ci peut être retirée du programme des médailles paralympiques », justifie le Comité.

D’autres sportifs ont également exprimé leur incompréhension face aux inégalités de ce système. Le nageur Théo Curin, quadri-amputé, avait laissé de côté les Jeux de Tokyo après avoir appris que plusieurs athlètes avec leurs mains feront partie de sa catégorie. Ou encore la nageuse Claire Supiot qui a été subitement changée de catégorie. L’athlète ayant une maladie qui entraîne une faiblesse musculaire s’est retrouvée intégrée à un groupe où ses concurrentes peuvent avoir un membre amputé, mais le reste du corps valide. De son côté, le Comité appuie que cette classification « n’est pas une discrimination, mais un renforcement des capacités. Elle garantit que la compétition soit juste et équitable ».

Médiatisation d’une image stéréotypée

Même si elle tend à se développer, la médiatisation des Jeux paralympiques reste faible comparée à celle des olympiques. Alors que les JO sont diffusés depuis 1956 à la télévision européenne, il faut attendre ceux de 2016 pour que les compétitions paralympiques soient retransmises en direct en France.

Lorsque les compétitions sont couvertes, elles le sont majoritairement d’une manière stéréotypée et peu représentative de la réalité. Les athlètes mis en avant sont ceux aux handicaps physiques. Ceux aux handicaps moins visibles sont peu présents, alors qu’ils constituent la majorité des personnes handicapées. « La minorité d’entre elles qui est éclairée laisse dans l’ombre toutes les personnes dont la déficience pourrait conduire à des performances moins étonnantes ou des images moins séduisantes », résume le chercheur Jean-Pierre Garel.

En outre, des documentaires ou des émissions font le portrait de sportifs de haut niveau en les décrivant comme des héros capables d’exploits surhumains : une émission de FranceTV Les superhéros des Jeux paralympiques ou encore We’re the superhumans au Royaume-Uni en 2016« L’accent est mis sur le dépassement de soi de la personne handicapée, voire sur le dépassement du handicap », décrit Elena Chamorro, militante anti-validisme qui fait partie du Collectif lutte et handicaps pour l’égalité et l’émancipation (Clhee). Pour elle, cette médiatisation stéréotypée est délétère pour les personnes handicapées. Elle présente le handicap comme un problème contre lequel on doit lutter, qu’il faudrait surmonter afin d’atteindre la norme valide.

Séparation entre valides et non valides

Depuis leur création, les Jeux paralympiques ont toujours eu lieu après la clôture des Jeux olympiques. « Ils pourraient avoir lieu en même temps, permettant de faire un pas vers l’inclusion et la visibilité. Cela illustre encore une fois la distinction "valide/invalide” », regrette Lyn, du Clav.

Le sportif Sébastien Verdin, rugbyman en fauteuil, souhaiterait également voir cette séparation disparaître. Pour lui, il faudrait que les Jeux s’étalent sur une période plus longue pour que les sportifs concourent en même temps et qu’il n’y ait qu’une seule cérémonie d’ouverture et de clôture. Par ailleurs, 30 sports paralympiques différents sont regroupés dans l’unique fédération française de handisport, que ce soit le tennis, la natation ou encore l’athlétisme. « Quand il y a des subventions ou des sponsorings, les moyens sont divisés entre tous les sports qui composent la fédération », explique Sébastien Verdin.

Les valides, eux, ont une fédération pour chaque sport. « Tout le monde devrait être sous la même bannière, avec les mêmes fédérations. Plus on va regrouper le parasport avec le milieu valide, plus le parasport pourra être considéré comme professionnel et augmenter au niveau médiatique et professionnalisme », souligne encore le rugbyman. Pour Fabien Lamirault, pongiste, la France est en retard dans les moyens qu’elle donne aux sportifs du pays. « Si on veut exister demain, perdurer et garder notre rang, il faudra qu’on passe par plus de moyens. Cela part de décisions politiques », insiste-t-il.

Pas d’effets sur l’accessibilité

Les organisateurs parlent sans cesse d’un héritage que les Jeux paralympiques laisseront en matière d’accessibilité et d’inclusion. « Mais pour ça, il faut des moyens, des enseignants, une accessibilité, que les clubs valides puissent accueillir les personnes handicapées, des entraîneurs formés, etc. Ça suppose des formations, de l’argent et des investissements », souligne le chercheur Jean-Pierre Garel. « Une société égalitarienne ne se construit pas par le biais du seul sport et d’un événement qui a lieu tous les quatre ans, mais par le biais de l’accès à l’école, au travail, à tout ce qui est garanti aux citoyens lambda, en somme », ajoute la militante Elena Chamorro.

Emblème de l’ampleur du chemin qu’il reste à parcourir : l’inaccessibilité des transports en commun parisiens. Une seule ligne de métro est équipée d’ascenseurs à chaque station, lorsqu’ils ne sont pas en panne, et seulement 28 % des lignes de bus sont accessibles en Île-de-France. La mairie de Paris planifie une mise en accessibilité totale des arrêts de bus pour 2024 en plus de la mise en service de 1000 taxis et de navettes dédiées aux personnes handicapées.

Elle souligne néanmoins que « la compétence sur les transports revient à la Région Île-de-France ». Par ailleurs, un des projets de Paris consiste à mettre en place des quartiers d’accessibilité augmentée, soit un quartier dans chaque arrondissement de la ville qui devrait permettre aux personnes handicapées d’accéder à l’ensemble des services utiles au quotidien.

« Après les Jeux, nous continuerons à mettre la priorité sur la mise en accessibilité des équipements publics d’ici à 2026 », poursuit le service de communication de la ville de Paris en réponse à notre demande. Mais qu’en sera-t-il des autres quartiers et des autres villes ? Pour Elena Chamorro, « dans un pays où le validisme est structurel, les Jeux paralympiques ne sont, à l’heure actuelle, qu’un événement qui correspond bien à ce monde où le statu quo est la règle. »

Lisa Noyal

Photo de une : Lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques de 2012 à Londres/ ©International Paralympic Committee via flickr.