Travail

Santé des pompiers : « Mourir d’un cancer, on ne reçoit pas de médaille pour ça » 

Travail

par Élina Barbereau

Entre les suies et l’amiante, les pompiers sont exposés à des facteurs de maladies professionnelles. Leur risque accru de cancer est reconnu, mais les actions de prévention se font attendre. Pour que l’État agisse, la CGT vient de déposer plainte.

La France compte 250 000 sapeurs-pompiers, dont 80 % de volontaires. Combien meurent des suites d’une maladie professionnelle chaque année ? Le chiffre n’est pas connu. Cancers, maladies cardio-vasculaires, infarctus : on parle moins des pompiers malades que de ceux morts en opération. « Parce que mourir d’un cancer, pour le ministère, ce n’est pas classe, on ne reçoit pas de médaille pour ça », dénonce Sébastien Delavoux, responsable fédéral de la CGT des pompiers. Alors que les mégafeux contre lesquels les pompiers interviennent se multiplient chaque année, la question de la prévention des maladies professionnelles se pose de plus en plus.

Le 1er décembre, la CGT des pompiers a déposé une plainte contre X au Pôle santé publique du tribunal de Paris, pour mise en danger de la vie d’autrui. La CGT et plusieurs autres syndicats de pompiers professionnels, notamment la Fédération autonome (le syndicat majoritaire) et la CFDT, pointent les nombreux manquements de l’État pour protéger les soldats du feu : leurs équipements ne sont pas suffisants, les protocoles de nettoyage et de décontamination ne sont pas mis en œuvre, le suivi médical est quasi inexistant…

« Il ne faut pas que les pompiers soient une nouvelle catégorie de travailleurs sacrifiés ! Ils sont aujourd’hui dans des conditions de travail archaïques », déplore Hélène Aveline, avocate qui défend le dossier. « Cette plainte vise à créer un électrochoc », renchérit son collègue, l’avocat Philippe De Castro, qui accompagne aussi la plainte. « Les risques professionnels des pompiers sont parfaitement connus, les préconisations pour leur prévention sont écrites, mais pas respectées. Il faut identifier les responsables », ajoute-t-il.

Quatre personnes à une table lors d'une conférence de presse. Une femme parle.
Plainte contre X
Le 4 décembre, au siège de la CGT des pompiers, Sébastien Delavoux (au centre) a dévoilé la démarche en justice de son syndicat, avec à sa droite, les avocats du cabinet qui accompagnent la plainte, du cabinet Teissonniere Topaloff Lafforgue Andreu avocats et associés, Hélène Aveline et Philippe De Castro, et à sa gauche, Sylviane Brousse, membre de la direction générale de la CGT des services publics.
©Élina Barbereau

Mais où chercher ces responsables ? Les sapeurs-pompiers sont placés sous la tutelle du ministère de l’Intérieur. Mais ils sont employés par les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS), qui dépendent des départements. À l’exception des pompiers parisiens et marseillais, qui sont des militaires, les pompiers professionnels sont des fonctionnaires territoriaux.

Les pompiers surexposés au risque de cancers

À l’été 2022, des mégafeux font des ravages à travers la France. Alors que l’action des pompiers focalise l’attention médiatique, une autre actualité passe quasiment inaperçue. Le Centre international de recherche sur le cancer, l’agence spécialisée dans le cancer de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) réunit plus de vingt chercheurs de huit pays à Lyon, qui rendent publiques les résultats d’une étude sur l’exposition professionnelle de pompiers au cancer.

Pour la première fois, l’activité même de sapeur-pompier est classée comme cancérogène. Deux types de risques sont particulièrement identifiés : le mésothéliome (une tumeur maligne rare qui affecte les cellules la membrane protectrice qui recouvre la plupart des organes internes du corps dont la plèvre, le péritoine et le péricarde) et le cancer de la vessie.

Le risque de mésothéliome est 58 % plus élevé chez les pompiers que dans la population générale. Celui de développer un cancer de la vessie est 16 % plus important pour eux. Cinq autres types de cancer sont liés à l’exposition professionnelle des pompiers de manière « crédible », dit aussi ce rapport : cancers du côlon, de la prostate, du testicule, mélanome et lymphome non hodgkinien.

Des cagoules inefficaces comme équipement de protection

La Caisse nationale de retraite des agents de collectivités locales avait déjà alerté sur les risques relatifs aux fumées d’incendie en 2017. Le rapport avait alors eu l’effet d’une bombe dans la profession. Outre les cancers, il évoquait les impacts du travail de pompier sur le risque de développer des maladies du cœur et du poumon, et soulevait les manquements dans le nettoyage et la décontamination des tenues et du matériel des pompiers.

La même année, un deuxième rapport de la caisse de retraite des pompiers alerte cette fois sur les risques liés à un équipement utilisé par les pompiers lors des feux de végétation : une cagoule. « Nos cagoules sont tout aussi efficaces que les filets à papillon pour attraper des électrons », résume Sébastien Delavoux. Cette cagoule est portée par les pompiers lors des feux de forêt. Car l’appareil de respiration autonome, porté lors des interventions sur les bâtiments, est alors inutilisable, du fait de son poids (une quinzaine de kilo) et de sa faible autonomie.

« Ces cagoules ne sont pas filtrantes, constatait la caisse de retraite des pompiers. En plus, « une fois le feu éteint, des particules toxiques se sont déposées sur la peau, les cheveux, les vêtements », poursuivait l’étude. Ces particules « se retrouvent ensuite dans les véhicules, et jusqu’au domicile des pompiers ». D’où la nécessité de meilleurs protocoles de décontamination pour protéger les pompiers.

« Le chef de bureau vient un jour et me dit, “il y a un truc qui nous est tombé dessus, cela s’appelle la toxicité des fumées”, relatait Francis Magnolini, chef de section à la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises du ministère de l’Intérieur, lors du dernier congrès annuel de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers cet automne. Il disait que le rapport de 2017 avait « engendré une vraie révolution » : « Il a fallu élaborer des protocoles de déshabillage et de lavage, c’est quelque chose qui n’existait pas. »

Une révolution, vraiment ? « Il y a une promptitude du ministère à éditer des recommandations », s’agace le responsable de la CGT des pompiers Sébastien Delavoux. Mais en termes d’information aux pompiers et de traduction concrète dans les services, « on n’est pas à la hauteur », ajoute-t-il. Les pompiers dénoncent l’inertie, consécutive à un jeu de ping-pong entre le ministère et les services départementaux d’incendie et de secours. L’histoire de la cagoule est symptomatique : six ans après la démonstration de son inutilité, et donc de sa dangerosité, des référentiels techniques ont bien été rédigés. Mais sur le terrain, les pompiers les attentent toujours.

« L’amiante, c’est l’arbre qui cache la forêt »

Les pompiers sont aussi particulièrement exposés aux substances toxiques qui se dégagent lors des incendies. Lorsqu’ils interviennent dans des bâtiments construits avant 1997, date d’interdiction de l’utilisation de l’amiante, les sapeurs-pompiers peuvent entrer en contact avec cette matière cancérigène. Les pompiers de Rouen ont ainsi été exposés à de l’amiante lors de l’incendie de l’usine Lubrizol en 2019.

Des camions de pompiers à gauche, les vestiaires en face, sur les portes des vestiaires sont posées des tenues de pompiers.
Une caserne
Un exemple de caserne, où les tenues professionnelles sont directement exposées aux gaz d’échappement.
©CGT des Sdis

Dans une ville comme Saint-Nazaire, par exemple, 70 % des bâtiments sont amiantés. Lorsqu’une plaque de fibrociment brûle, elle explose et libère des milliards de fibres cancérogènes. Pour autant, le suivi médical à la suite de ces expositions, comme à celle du plomb, lors de l’incendie de Notre-Dame en 2019 est pour les pompiers, au mieux insuffisant, au pire inexistant. Quant aux tenues utilisées, quand elles sont en contact avec l’amiante, elles sont définitivement contaminées. Et pourtant elles sont souvent réutilisées.

« Les pompiers travaillent dans des conditions inadmissibles », souligne Annie Thébaud-Mony, chercheuse à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et présidente de l’association Henri-Pézerat, qui accompagne les luttes sociales sur la santé des personnes en lien avec le travail et l’environnement. « Et l’amiante, c’est l’arbre qui cache la forêt, poursuit-elle. Il y a une synergie avec d’autres substances chimiques, notamment les suies, que l’on trouve sur tous types de feux, et qui sont extrêmement cancérogènes. »

Ces suies posent d’autant plus problème qu’elles pénètrent par voie cutanée dans le corps, et plus facilement quand les pores sont dilatés par la chaleur. Or, expliquent les pompiers, leurs tenues de protection contre le feu ne filtrent pas ces suies.

Manque de suivi médical

Les syndicats dénoncent l’absence de suivi médical tout au long de la carrière des sapeurs-pompiers, et après. À une question posée à l’Assemblée nationale, le 25 novembre, par le député communiste Yannick Monnet, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin admettait que « les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires ne bénéficient pas, en France, du même suivi épidémiologique que dans d’autres pays. » Il ajoutait : « Il est évident que du fait de leurs interventions menées dans des conditions de plus en plus dangereuses et de leur exposition à des produits toxiques de plus en plus répandus chez nos concitoyens, ils sont amenés à contracter des maladies très graves, notamment des cancers . » Cancer. Le mot était posé.

Les pompiers, eux, n’en peuvent plus d’attendre des actes. Maintenant qu’une plainte pour mise en danger de la vie d’autrui a été déposée, une enquête préliminaire sera menée. Puis, la CGT et les autres syndicats de pompiers pourraient se constituer partie civile, afin qu’un juge d’instruction soit nommé.

« Nous n’acceptons pas l’incompétence de nos employeurs qui refusent de nous protéger efficacement contre les risques connus depuis longtemps, identifiés par une cohorte d’études, et malheureusement attestés par le nombre de nos collègues qui déclarent tour à tour, cancers, maladies pulmonaires invalidantes », insistait Xavier Boy, président de la Fédération autonome des pompiers dans un courrier au ministre il y a quelques jours. Pour l’instant, personne ne lui a répondu.

Élina Barbereau

Photo de une : Lors de l’Incendie de l’usine Lubrizol et des entrepôts de Normandie logistique à Rouen, en 26 septembre 2019. Photo prise par des habitants et transmises par Rouen dans la rue.

P.-S.

Contactés, ni le directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises, ni le porte-parole de la Direction générale de la sécurité civile, ni le conseiller sécurité civile du ministre de l’Intérieur, ni le président de l’Association nationale des directeurs et directeurs adjoints des services d’incendie et de secours et, ni le directeur du Sdis de Loire-Atlantique n’ont donné suite à nos demandes d’entretien.