International

Les Allemands luttent contre l’extrême droite, nous devons faire front avec eux

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par Emma Bougerol

Les révélations du média allemand Correctiv sur une réunion secrète entre des cadres de l’AfD et des membres de la droite et des milieux néonazis ont déclenché une vague de manifestations outre-Rhin. Certains demandent l’interdiction du parti.

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Des mobilisations sont prévues ce samedi dans toute l’Allemagne contre l’extrême droite (voir la carte du journal la Taz). Le week-end dernier déjà, plus d’1,4 million de personnes se sont rassemblées dans les rues des grandes villes d’Allemagne pour protester contre le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD). Ces rassemblements massifs ont eu lieu après une publication du média indépendant allemand Correctiv - dont nous parlions dans notre précédente newsletter - qui racontait dans le détail une réunion secrète entre des cadres du parti et des personnalités issues de l’ultradroite et de milieux néonazis. Leur but ? Préparer la « remigration » des demandeurs d’asile, des étrangers avec un permis de séjour et des citoyens allemands issus de l’immigration. Et la réunion xénophobe n’était pas un cas isolé. Cette rencontre n’aurait été qu’une parmi d’autres.

Dans les rues de Cologne, les manifestants arrivés par milliers ont été en si grand nombre que le tracé de la marche a dû être modifié, raconte le journal allemand la Taz. Un déferlement similaire a eu lieu dans d’autres villes du pays. Dans la foule, les drapeaux européens et LGBTQI+ se sont mêlés aux pancartes - « Échangeons les racistes contre des réfugiés » - et banderoles qui demandent l’interdiction du parti.

L’extrême droite ne se dédiabolise pas seule

Une de magazine avec un portrait du chancelier Olaf Scholz et la citation "Il faut expulser à grande échelle"
Couverture du magazine allemand Der Spiegel
Une du 21 octobre 2023

Après la révélation, l’heure est aux comptes, raconte Correctiv dans un article sur les conséquences de son enquête et l’inquiétude des personnes issues de l’immigration dans le pays : « De nombreuses personnes issues de l’immigration soulignent à quel point elles se sont senties abandonnées par le chancelier Olaf Scholz (SPD) et le président du parti CDU Friedrich Merz au cours des derniers mois. Elles citent régulièrement la une du Spiegel avec la citation de Scholz "Nous devons expulser massivement" et la fausse déclaration de Merz selon laquelle les immigrés priveraient les Allemands de rendez-vous chez le dentiste. Tous deux ont ainsi attisé le ressentiment et ouvert la voie à l’AfD. » L’extrême droite ne se dédiabolise pas seule.

« L’Allemagne a longtemps été unique dans la politique européenne dans la mesure où sa plus haute instance politique a longtemps été dépourvue de représentation de droite et d’extrême droite. L’AfD a changé la donne », rappelait en 2021 le média suédois Expo, spécialiste de l’extrême droite (nous lui consacrions le portrait de « Chez les Indés International » en novembre dernier). Depuis la création de l’AfD, écrit le média suédois, « l’orientation de plus en plus nationaliste et xénophobe du parti est restée ferme ». C’est pour cela qu’aujourd’hui, certains appellent à son interdiction pure et simple.

Quelques jours seulement après les mobilisations en Allemagne, le 23 janvier, le tribunal constitutionnel allemand a suspendu les financements publics d’un petit parti néonazi « Die Heimat » (anciennement NPD). Car ses idées racistes, antisémites et antidémocratiques sont considérées comme anticonstitutionnelles. « En théorie, cet instrument est donc également disponible contre l’AfD », soulève la Taz. En effet, poursuit le média, « l’inconstitutionnalité dépend non seulement du parti et des programmes électoraux d’un parti, mais également des "véritables objectifs" du parti ».

S’unir au-delà des frontières

Dans un éditorial publié par EU Observer, le directeur de Democracy Reporting International, une ONG basée à Berlin, écrit : « L’importance de cette mobilisation ne peut être surestimée. Les partis autoritaires ont accédé au pouvoir dans de nombreux pays de manière furtive, se faisant passer pour des partis conservateurs et démocratiques. Lorsqu’ils montrent leur visage autoritaire, les gens commencent à protester – souvent trop tard. Les manifestations allemandes ont un caractère plus préventif. Ils détruisent le récit d’une mythique majorité silencieuse qui soutiendrait la montée inexorable de l’extrême droite. C’est important. Le sentiment d’inévitabilité est une force politique puissante. »

Dans le média en ligne tchèque Deník Referendum, le journaliste Jan Sicha loue la confiance des Allemands dans les révélations des journalistes et le fait « que les manifestations se soient déroulées sans ambiguïté ». Il conclut : « Il est dans l’intérêt vital des Tchèques de soutenir les démocrates allemands. » On pourrait en tirer les mêmes conclusions pour la France. S’unir ensemble contre l’extrême droite au-delà des frontières nécessite des informations fiables, des enquêtes de terrain, mais aussi d’y avoir accès. « Chez les indés International », nous l’espérons, participe à cela.

Emma Bougerol

Photo de une : Manifestation du 21 janvier 2024, à Berlin CC BY-NC-ND 2.0 Deed Chris Grodotzki / Campact via Flickr