Depuis le 1er septembre, la plupart des personnes vulnérables face à la Covid-19 sont tenues de retourner sur leurs lieux de travail. De onze critères de vulnérabilité – incluant par exemple le diabète et l’obésité – donnant droit au chômage partiel, on est passé à quatre, sans que les médecins ne comprennent pourquoi. Le Haut conseil à la santé publique désapprouve lui aussi ce « tri » parmi les personnes vulnérables. Sur le terrain, les médecins du travail se demandent comment ils vont s’y prendre pour protéger les salariés susceptibles de développer des formes graves de Covid-19. Les syndicalistes s’insurgent, considérant que le gouvernement a sciemment choisi de sacrifier les plus fragiles aux exigences économiques.
« Au sortir du confinement, certains salariés ont été autorisés à rester au chômage partiel, parce qu’ils étaient considérés comme vulnérables, c’est-à-dire avec un risque important de développer une forme grave de Covid-19 », explique Mélissa Ménétrier, médecin du travail en Île-de-France. Fourni par le médecin du travail, le médecin généraliste ou le médecin spécialiste, un certificat d’isolement était présenté à l’employeur qui faisait ensuite les démarches pour être remboursé des salaires versés. Établie dès le mois d’avril par le Haut conseil à la santé publique, la liste des personnes vulnérables a été sévèrement amputée par le gouvernement le 30 août dernier.
Désormais les personnes obèses ou diabétiques ne sont plus considérées comme vulnérables. Les insuffisants respiratoires chroniques non plus. Autres personnes désormais exclues de ce dispositif exceptionnel de chômage partiel : celles qui ont un proche gravement malade ainsi que les parents d’enfants cancéreux par exemple, dont le système immunitaire est fortement diminué en période de chimiothérapie. Ne sont plus considérées comme vulnérables que les personnes atteintes d’un cancer et en cours de traitement, celles qui souffrent d’une immunodépression, celles qui ont 65 ans ou plus et un diabète associé à une obésité, celles qui sont dialysées ou qui présentent une insuffisance rénale chronique sévère.
« On est sur des maladies extrêmement graves ou des cumuls de pathologies, qui excluent toute possibilité de travail », détaille Jean-Michel Sterdyniak, du syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST). On peut supposer que ces personnes avaient déjà quitté leur activité avant la crise sanitaire.
« Nous avons interrogé le ministère du travail mais n’avons pas eu de réponse »
Chez les médecins du travail, c’est la consternation. « Comment est-on passé de onze à quatre critères ? Nous l’ignorons, dit Jean-Dominique Dewitte, président de la Société française de médecine du travail. Nous avons interrogé le ministère du travail à ce sujet, mais n’avons pas eu de réponse. » Interpellé par Basta!, le ministère du Travail nous a conseillé de joindre celui de la Santé qui nous a renvoyé une copie difficilement compréhensible de différents avis du Haut Conseil à la santé publique, avant de nous renvoyer vers... le ministère du Travail !
« Nous ne savons pas sur quelles données scientifiques ils se sont appuyés pour prendre leur décision », ajoute Mélissa Ménétrier. Certainement pas sur l’avis du Haut conseil à la santé publique (HCSP), qui, sollicité par le gouvernement, a affirmé qu’il était impossible de distinguer des personnes « à très haut risque vital ». Soit le contraire de ce que soutient le décret gouvernemental qui restreint l’accès au chômage partiel aux personnes « les plus vulnérables face au risque de forme grave d’infection au virus SARS-CoV-2. »
« C’est clairement un choix politique puisque l’état de santé de ces personnes n’a pas changé », pense Jérôme Vivenza, en charge des questions de santé au travail au sein de la CGT. « Si elles étaient vulnérables au printemps, elles le sont toujours aujourd’hui face à la recrudescence de l’épidémie », signe le collectif improvisé des « Vulnérables sacrifiés » dans une pétition adressée au ministre de la Santé Olivier Véran.
« Pourquoi le gouvernement met-il un terme à cette disposition du chômage partiel pour les personnes obèses alors que l’on sait que l’obésité augmente de près de 50 % le risque de décès, interroge Agnès Maurin, directrice de la ligue contre l’obésité. Les personnes obèses sont sur-représentées parmi les patients admis en réanimation à cause de la Covid-19 [1]. » Pour Jérôme Vivenza, de la CGT, « le gouvernement a choisi de sacrifier ces salariés au nom de l’économie ». Plusieurs médecins du travail partagent cette analyse.
« C’est quand même paradoxal, la circulation du virus augmente mais on diminue de façon drastique la liste des personnes vulnérables, reprend Jean-Michel Sterdyniak. On devine qu’il y a des motifs économiques. L’activité partielle cela coûte cher. Le gouvernement va être amené à prolonger ces dispositifs donc autant réduire le nombre de personnes qui y ont droit. » Inquiets, les membres du syndicat des professionnels de la santé au travail ont demandé que l’application du décret soit suspendue. De son côté, la ligue contre l’obésité a déposé un recours devant le Conseil d’État pour qu’il soit carrément annulé.
Télétravail, changements d’horaires et aménagements de postes
En attendant d’éventuels changements du côté du gouvernement, que sont censées faire les personnes vulnérables, dont les certificats d’isolement sont désormais caduques ? « Nous conseillons à tous les salariés d’aller voir leur médecin du travail », dit Michel Beaugas, en charge des questions de santé au sein du syndicat FO. « Nous négocions le télétravail dès que c’est possible, explique Mélissa Ménétrier. Et nous poussons à l’aménagement des horaires pour que les salariés évitent les transports aux heures de pointe. » Autres solutions : l’isolement dans un bureau, la pose d’écrans devant les postes de travail, les changements de poste éventuellement.
« Il faut aussi insister auprès des employeurs pour le respect des gestes barrière (port du masque, lavage des mains, respect des distances, ndlr), avance Jean-Michel Sterdyniak. Mais on sait que certains salariés refusent de porter le masque. Ou le portent mal. » « Il n’y a pas que le lieu de travail, il y a aussi les transports, insiste Michel Beaugas. Ceux et celles qui les empruntent tous les jours multiplient les risques. De plus, on ne peut pas toujours aménager les postes. Tout le monde ne travaille pas dans un bureau. Il y a les chaînes de production, les centres d’appel, les rayons de supermarchés, les plates-formes logistiques... » On peut également citer les salles où il faut se changer, les pièces parfois exiguës où l’on fait ses pauses, les rangs des vignes et autres cultures.
Les plus fragiles seront les plus exposés
Pour Denis Gravouil, en charge des questions de chômage à la CGT, « il va y avoir de gros problèmes dans les TPE et PME, pour les travailleurs précaires qui passent d’une entreprise à l’autre. On sait bien que ces salariés là n’ont pas accès à des instances représentatives du personne (IRP). Or, il faut évidemment s’appuyer sur ces instances pour négocier, en lien avec les médecins du travail. » « Il y a un croisement des vulnérabilités. Pour les personnes handicapées, cela va être particulièrement problématique, de même que pour les demandeurs d’emploi », complète son collègue syndicaliste, Jérôme Vivenza. Les demandeurs d’emploi risquent de rester chez eux pour se protéger, et épuiser leurs droits sans contrepartie.
Certains salariés arriveront peut-être à se faire arrêter par leur médecin généraliste, mais devront alors se contenter de revenus moindres. « On met les salariés dans un embarras certain, pointe Michel Beaugas. La plupart d’entre eux vont prendre le risque de retourner au travail. On se retrouve en fait avec les mêmes inégalités que pendant le confinement. » D’un côté ceux et celles qui peuvent rester à l’abri à leur domicile, en télétravaillant, même si les conditions ne sont pas toujours idéales. De l’autre, les salariés tenus d’être sur leur lieu de travail pour produire des biens, ranger des rayons, charger des colis, servir les clients, assurer le nettoyage des bâtiments ou la progression d’un chantier. Emmanuel Macron avait pourtant conseillé, le 17 août dernier, de « redoubler d’attention pour les personnes vulnérables » [2]. Encore du vent.
Nolwenn Weiler
Photo : © Pedro Brito Da Fonseca