« C’est une chance pour la France, pour nos clubs, pour nos territoires. » Amoureux du ballon rond, François Hollande ne manque jamais une occasion de répéter combien l’Euro 2016 doit être bénéfique à la France. Il y a pourtant lieu d’en douter. Parce que si on ne sait pas précisément combien l’Euro rapportera à la France, on sait qu’il va lui coûter cher. Comme en témoigne la répartition des coûts et des bénéfices entre les différents acteurs. Côté coûts, l’UEFA assure l’organisation du tournoi, pour un montant estimé à 650 millions d’euros (location des stades, gestion des billets…). Tout le reste (stades, infrastructures, sécurité, fan-zones) est à la charge des pouvoirs publics français, et notamment de l’État et des villes hôtes.
UEFA : le beurre, l’argent du beurre, et plus si possible
La répartition des bénéfices est encore plus claire : « C’est simple, l’UEFA garde tout », commente un professionnel de l’économie des grands événements sportifs. Droits de retransmission télévisée, sponsoring et billetterie…, l’UEFA s’attend à toucher 1,9 milliard d’euros de recettes grâce à cette compétition. Ce record est notamment permis par l’élargissement du nombre d’équipes participantes — 24 cette année, contre 16 pour les éditions précédentes. Cerise sur le gâteau : l’UEFA a exigé de ne payer aucun impôt sur ses activités en France liées à la compétition. Accordée sous la présidence Sarkozy, confirmée sous le quinquennat Hollande, cette exonération devrait coûter entre 150 et 200 millions d’euros à la France, selon l’Assemblée nationale. Elle donne de plus un mauvais exemple : le gouvernement a étendu en juillet 2014 cette exonération à tous les autres grands événements sportifs organisés dans l’Hexagone.
En plus de cette répartition peu favorable à la France, l’UEFA a imposé un cahier des charges très directif. Il contient notamment des exigences sur les stades, les infrastructures obligatoires ou les normes de sécurité. Outre ce cahier des charges, l’instance européenne a formulé plusieurs requêtes très osées. Elle a par exemple demandé aux commerçants installés à proximité immédiate des stades de lui payer une redevance de 600 euros par jour de match et de ne servir que des produits des sponsors officiels (Coca-Cola, Carlsberg…). En cas de refus ? Le commerce aurait dû fermer et aurait été recouvert d’une bâche de 2,50 mètres de haut les jours de match… « L’UEFA a vendu à ses sponsors des critères d’exclusivité fantaisistes, écrits par des avocats suisses un peu loin de la réalité, explique un élu qui a participé aux négociations. Mais ils ont compris qu’on ne pouvait pas accepter ça. » Finalement, les commerçants vendront ce qu’ils veulent.
Mais pour éviter que d’autres marques ne profitent de l’événement pour gagner en visibilité, les concurrents des sponsors officiels ne pourront pas faire de publicité dans un rayon d’un kilomètre autour des stades. Enfin, l’UEFA oblige les collectivités locales qui veulent diffuser les matchs sur écran géant à lui payer une redevance supérieure à 1 000 euros : « On a déjà mis la main à la poche pour accueillir l’Euro, mais on nous demande quand même de payer en plus pour pouvoir organiser un événement gratuit à destination des habitants », grince Gérard Caudron, maire de Villeneuve-d’Ascq, commune voisine de Lille sur laquelle est construit le Stade Pierre-Mauroy. Avant de conclure : « Vu le train de vie de l’UEFA, c’est encore plus choquant que d’habitude. Malheureusement, on observe ce genre de comportements avec tous les sports professionnels. »
Collectivités : balance coût-bénéfices « déséquilibrée »
La façon dont se comporte l’UEFA n’est en effet ni nouvelle ni propre au football. « Les fédérations internationales de sport se sont professionnalisées depuis vingt ans. Désormais, elles organisent beaucoup de choses seules et imposent leurs conditions », explique Loïc Ravenel, du Centre international d’études du sport (Cies). Après la Coupe du monde de football 1998, organisée en France, la Cour des comptes notait déjà que « les rapports de force (…) sont défavorables aux responsables nationaux ». Mais la situation a empiré depuis, estime Pascal Bolo, vice-président de Nantes Métropole, en charge des finances et du sport de haut niveau : « On a accueilli la Coupe du monde de football 1998 à Nantes parce qu’on avait le sentiment qu’on pouvait en faire une fête populaire. Vu les demandes de l’UEFA pour l’Euro 2016, on a estimé que la balance globale des coûts et des bénéfices était trop déséquilibrée. Nous avons retiré notre candidature. »
Pour autant, « il est trop facile de se plaindre du cahier des charges. Au moment de la candidature, c’est l’enthousiasme général ; une fois qu’on a obtenu l’Euro, on s’insurge. C’est hypocrite », tranche Loïc Ravenel. Il est vrai que la plupart des points de crispation étaient écrits noir sur blanc dans le cahier des charges. De plus, pour Jean-Loup Coly, chef de projet Euro 2016 à la ville de Lyon, l’UEFA n’en a pas rajouté : « Il nous a fallu du temps pour nous apprivoiser et nous comprendre, mais la relation de travail est devenue progressivement bonne et constructive avec l’UEFA. » Une analyse partagée, hors micro, par plusieurs personnes qui traitent avec l’instance européenne.
Malgré tout, comment expliquer que la France ait accepté de telles conditions ? Comme toujours, les décideurs les justifient en évoquant les retombées économiques attendues. Un million de visiteurs étrangers devraient venir en France pour suivre la compétition. Selon une étude du Centre de droit et d’économie du sport (CDES) de Limoges, ils entraîneront 1,3 milliard d’euros de dépenses supplémentaires, de quoi occuper l’équivalent de 26 000 emplois à temps plein et apporter 180 millions d’euros de rentrées fiscales additionnelles via leur consommation. Mais même si le CDES est un organisme respecté, la plupart des économistes se montrent sceptiques sur l’impact économique des grands événements sportifs.
Retombées économiques : un « enfumage » ?
« La surestimation des retombées économiques est aujourd’hui la règle », écrit Patrice Bouvet, maître de conférences à l’université de Poitiers [1]. « La très grande majorité des études académiques montrent que les méga-événements ont un impact économique limité », confirme le chercheur britannique Victor A. Matheson [2] « De nombreuses études ont pu conduire dans le passé à surestimer sensiblement les retombées (...), parfois de façon outrancière », met encore en garde Colin Miège dans un rapport remis en décembre 2014 à Valérie Fourneyron, alors ministre des Sports. Logique, « ces études se penchent toujours sur les retombées positives, mais rarement sur les négatives », explique Wladimir Andreff, professeur d’économie [3]. Ainsi, beaucoup de touristes éviteront la France cette année, précisément en raison de l’Euro.
« Cette histoire de retombées économiques, c’est de l’enfumage, estime carrément Loïc Ravenel. Assumons qu’à ce niveau de sport spectacle, le foot ne rapporte pas. Aujourd’hui, on accepte que la culture soit déficitaire parce qu’on estime que c’est important pour une société. Reconnaissons qu’on veut l’Euro pour des questions d’image, de fête populaire, mais arrêtons de vouloir le justifier économiquement. » Cette analyse est partagée par Christophe Lepetit, pourtant coauteur de l’étude du CDES sur les retombées de l’Euro : « Nous avons cherché à mesurer l’impact économique de l’Euro, mais pas le bénéfice ou le déficit qu’il créera en France. Il ne faut jamais justifier ce type d’événements par sa rentabilité. La France ne gagnera à l’Euro que si elle arrive à lui donner un héritage au-delà du mois de compétition. » Même si l’UEFA a accordé une enveloppe de 20 millions d’euros aux villes hôtes pour y développer le football amateur, il n’est pas sûr que cela suffise.
Dans ces conditions, faudrait-il tirer un trait sur l’accueil des grands événements sportifs ? Pas sûr, car les États pourraient rééquilibrer la balance à l’avenir. « Le sport professionnel est allé trop loin », concède anonymement un ancien haut responsable du football. La preuve, les candidatures à l’accueil des grands événements sportifs sont de moins en moins nombreuses, comme en témoignent les retraits de Boston ou de Hambourg pour les jeux Olympiques de 2024. Joint par nos soins, l’UEFA dit par exemple regretter « qu’une ville avec une telle tradition footballistique que Nantes ne fasse pas partie des villes hôtes ». Un mouvement de bascule est sans doute enfin en train de s’opérer.
Vincent Grimault
– Ce dossier a été réalisé en collaboration avec la rédaction du mensuel Alternatives économiques dans le cadre d’un projet commun de développement du journalisme d’investigation économique et social soutenu par la Fondation Charles Leopold Mayer
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