C’était le secret le moins bien gardé de l’Histoire du sport : ce mercredi 13 septembre, Paris a officiellement été désignée ville hôte des jeux Olympiques d’été de 2024 lors de la cérémonie de désignation organisée par le CIO à Lima (Pérou). Une victoire sans péril, depuis le retrait de toutes les villes candidates – successivement Boston, Hambourg, Rome puis Budapest – jusqu’à l’accord avec Los Angeles, qui organisera de son côté l’édition suivante, en 2028. Un triomphe sans gloire, tant la candidature parisienne n’a suscité ni intérêt ni engouement.
« Depuis que l’on en débat à Paris, personne ne m’a interpellé sur le sujet dans la rue, constate David Belliard, conseiller municipal et président du groupe écologiste à la Ville de Paris. Il n’y a aucune ferveur populaire pour les Jeux Olympiques. » Une apathie générale dont n’ont guère profité les opposants, éparpillés et inaudibles dans le débat public : « Le contexte de la candidature était très compliquée, entre les attentats, la loi travail puis les élections présidentielles... », plaide Danielle Simonnet, seule autre élue (Parti de gauche, devenue France Insoumise) à s’être opposée, aux côtés d’EELV, au vote du Conseil de Paris entérinant la candidature en mars 2015.
La « grande consultation » des Parisiens n’a jamais eu lieu
Un an plus tôt, Anne Hidalgo s’était pourtant faite élire à la mairie de Paris sans prendre aucun engagement sur le projet, laissant même entendre plus tard son opposition de principe : « Les JO, c’est très joli, mais il n’y a pas une ville qui s’y soit retrouvée sur le plan financier. » Une position qu’elle avait d’ailleurs pris soin de rappeler par écrit au président de la République François Hollande, fervent soutien des olympiades. « Cette responsabilité nouvelle d’une candidature de Paris aux Jeux de 2024 n’était pas inscrite dans mon programme municipal. Son impact financier sur la collectivité ne doit pas menacer la mise en œuvre des réalisations de la mandature », avait-elle expliqué.
Face à ce revirement, alors qu’un sondage Ifop révèle à l’époque que 72% des parisiens souhaitent un référendum, la maire promet « une grande consultation en 2016 ». Elle ne viendra jamais. Un déni démocratique, selon les opposants : « On ne peut pas mettre en jeu de telles sommes qui engagent la population sans la consulter » dénonce Marc Perelman, architecte et professeur des Universités, membre du collectif « Non aux JO 2024 à Paris ».
Les premiers Jeux verts, « les plus durables de l’histoire »...
Pour faire passer la pilule, les promoteurs activent alors un autre levier : l’écologie. Après avoir organisé les deuxièmes JO dits de « l’ère moderne » en 1900, et un siècle exactement après la dernière édition accueillie en 1924, Paris célèbrera cette fois les premiers Jeux verts, « les plus durables de l’histoire » selon Tony Estanguet, coprésident du Comité de candidature Paris 2024. Matériaux biosourcés, énergie verte, alimentation durable et certifiée, transports propres, gestion et recyclage des déchets : après trois échecs successifs pour les éditions 1992, 2008 et 2012, les organisateurs lustrent la vitrine.
« Dans l’histoire des grands événements sportifs internationaux, Paris 2024 est une candidature avant-gardiste d’un point de vue environnemental, assure Didier Lehénaff, fondateur de l’association Sport vert pour ma planète et vice-président de la fédération « Sport and Sustainability International ». C’est la première candidature certifiée ISO 20 121, une norme spécialement créée pour accompagner l’événementiel dans une logique de développement durable. » Fort du partenariat avec le WWF, grande caution éco-responsable de la candidature, le discours finit par faire mouche, même auprès d’un certain nombre d’acteurs de l’écologie. « Il faut dire que leur argumentaire est bien foutu », admet Danielle Simonnet.
... ou une vaste opération de greenwashing ?
La candidature parisienne peut s’appuyer sur quelques points forts, en particulier son système de transport : « Le réseau est déjà très dense et l’aménagement global est prévu pour être le plus compact possible, avec 80% des sites dans un rayon de 10 km autour du village olympique, poursuit Didier Lehénaff. En limitant la dispersion, on réduit de manière substantielle les émissions de gaz à effet de serre, dont plus de 50% sont liés aux transports dans ce genre d’événement. » De surcroît, avec 90% des installations sportives déjà existantes, l’impact en termes de construction doit être limité. « C’est vrai que le risque de voir pousser des éléphants blancs est moindre » reconnaît de son côté Marc Perelman. Des « éléphants blancs », comme ces stades vides et envahis d’herbes folles, héritage des JO d’Athènes en 2004.
Bilan des courses, le dossier Paris 2024 se targue de diminuer sensiblement l’impact climatique : là où Rio 2016 a comptabilisé 3,6 millions de tonnes équivalent CO2, Paris 2024 en annonce moins d’1,6 [1]. Le contexte d’émulation entourant la COP 21 à Paris termine de parachever ce grand récit des Jeux enfin respectueux du climat : « La candidature de Paris 2024 […] permet une réduction de 55% des émissions de gaz à effet de serre par rapport à l’empreinte carbone de Londres en 2012 et l’organisation des tout premiers jeux alignés avec les objectifs de l’Accord de Paris » énonce ainsi fièrement Isabelle Autissier, présidente du WWF et nommée à la tête du « Comité d’excellence environnementale de Paris 2024 », en préambule de la « stratégie durabilité » qui détaille les ambitions en la matière.
Des sponsors pas vraiment écolos
Un affichage qui pourrait bien cacher une réalité un peu moins verte, au moment de l’événement : « L’afflux touristique n’est pas pris en compte dans les calculs, note Marc Perelman. On ne voit pas bien comment le bilan écologique pourrait être à ce point maîtrisé avec les 3 millions de visiteurs attendus en l’espace de quelques jours. » Pour David Belliard, cette entreprise de communication est un renversement complet du raisonnement à avoir vis-à-vis de cette candidature : « on baisse peut-être de 55% les émissions de gaz à effet de serre, mais avait-on seulement besoin d’en créer ? Par nature, les Jeux Olympiques créent des nuisances, c’est donc l’opportunité-même de les faire qu’il faut critiquer. » Ce que d’aucuns appellent tout simplement du greenwashing.
« Le verdissement du discours consiste à rendre acceptable l’opération par les peuples, estime Danielle Simonnet. On nous détourne d’autant plus facilement de la vraie logique actuelle des JO : un grand terrain de jeu pour multinationales cherchant du temps de cerveau disponible pour mettre à profit leurs activités commerciales. » La liste des sponsors, parmi lesquels Air France, Bouygues Construction, BNP Paribas ou encore Suez, a en effet de quoi interroger : « Ce ne sont pas les plus éco-compatibles, c’est sûr, concède Didier Lehénaff. Mais il n’y a pas vraiment le choix : il n’existe pas beaucoup d’autres partenaires potentiels assez solides financièrement pour accompagner l’événement… »
La malédiction financière des JO
Car derrière le logo se cache la planche à billets. Pas une mince affaire dans l’histoire des Jeux : hormis Los Angeles en 1984, aucune édition des JO d’après-guerre n’a été rentable. Le plus souvent, le dépassement du budget s’est même révélé faramineux : 179% en moyenne entre 1960 et 2012, selon une étude publiée par Oxford [2]. L’économiste du sport Wladimir Andreff en a tiré une théorie intitulée « la malédiction du vainqueur de l’enchère ». Il livre une explication structurelle d’une telle situation.
« Les membres du CIO qui devront se prononcer votent à chaque fois pour la candidature la plus grandiose, la plus mirifique… et donc la plus chère. […] Celui qui gagne est celui qui surenchérit le plus. Il va payer beaucoup plus cher que ce que rapportent les Jeux, notamment parce qu’on ne sait pas exactement combien ceux-ci rapportent. La ville va donc présenter un budget apparemment raisonnable, mais ce qu’elle va mettre en vitrine sera en fait beaucoup plus cher. Londres a par exemple sous-estimé le coût des Jeux paralympiques, celui de la sécurité, et a minoré le niveau de plusieurs taxes dans le dossier de candidature », explique-t-il dans une interview accordée à Alternatives Economiques.
Un budget de 6,8 milliards qui pourrait plus que doubler
C’est ainsi qu’avec un budget prévisionnel de 4,8 milliards d’Euros, les JO de Londres avaient finalement représenté un coût total de 11 milliards… Quant à ceux de Tokyo, prévus en 2020, le budget a d’ores et déjà été revalorisé de 4,9 à 13,2 milliards. Pour l’heure fixé à 6,8 milliards d’euros, le budget parisien peut-il connaître pareille explosion ? « La sécurité à Londres, c’est une facture d’un milliard d’euros supplémentaire, et ce avant la période des attentats ! Je vous laisse imaginer la situation, aujourd’hui, à Paris », souligne Danielle Simonnet. Tokyo, elle, vient de réévaluer cette dépense initialement prévue à 405 millions d’euros à plus de 3 milliards…
Le dépassement budgétaire semble ainsi la discipline la mieux pratiquée de l’olympisme : « Il y a un côté inflationniste inhérent à ce genre d’événement, tempère David Belliard. C’est pourquoi on plaide pour la plus grande transparence financière. Car derrière, c’est le CIO qui contrôle et qui se charge d’en faire un événement rentable, à son propre profit. » C’est précisément là que le bât blesse. « Les échanges financiers restent très opaques, note l’architecte Marc Perelman. Il est impossible de connaître les recettes réelles et de savoir ce qu’il se passe précisément entre le CIO, les sponsors, les droits télé… . »
Exonérations de taxes pour le CIO
Une chose est sûre : le CIO devrait bien profiter de la même exonération des taxes que l’UEFA lors de l’Euro 2016 organisé en France [3]. L’amendement voté à cet effet en 2014 étend le principe à tous les événements sportifs internationaux attribués à la France avant la fin de l’année 2017… Une concession soulève la colère de l’élu écologiste : « Alors que le CIO fait face à une pénurie de candidatures, les organisateurs de Paris 2024 étaient en position de force pour engager une négociation financière. »
« La dernière fois qu’une seule ville était candidate à l’accueil des JO, c’était Los Angeles, en 1984. C’est aussi la dernière fois que la ville-hôte ne fut pas déficitaire. Pourquoi ? Car le CIO avait accepté de prendre en charge tout dépassement budgétaire ! » A croire que la ville californienne est coutumière du fait : cet été, elle aurait ainsi négocié une enveloppe de fonds supplémentaires pour l’organisation de l’édition 2028, ainsi que des conditions plus favorables sur les contrats publicitaires [4].
Un centre aquatique olympique inutile ?
Côté organisateurs, on fait valoir que l’investissement public représente moins de 25% du financement total. Sur le budget prévisionnel de 6,8 milliards d’euros, les fonds publics représentent 1,5 milliards, le reste étant réparti entre le CIO, le sponsoring, divers fonds privés, et les recettes de billetterie. « On connaît la recette des partenariats public-privé, rétorque Danielle Simonnet. C’est socialisation des pertes et privatisation des profits. » D’autant que les investissements prévus sont sujets à caution, à l’image du centre aquatique en Seine-Saint-Denis, principale infrastructure sportive restant à construire et qui a vocation à être pérennisée par la suite.
« Cela ne correspond pas aux besoins de la population : nous n’avons pas besoin d’une grande piscine olympique, mais de plusieurs piscines de quartier », poursuit l’élue France Insoumise, qui craint un syndrome « Stade de France », en bien mauvaise posture économique. Dans le contexte actuel, c’est la pertinence même de ces investissements qui se trouve pointée du doigt. « C’est tellement contradictoire avec la situation sociale française, regrette Marc Perelman. D’un côté, on supprime les contrats aidés et on sacrifie un certain nombre de politiques sociales essentielles, mais de l’autre, on se lance dans la course folle des dépenses pour un événement sportif qui dure quinze jours ? » Les scènes de joie et les discours d’auto-congratulation de la délégation française, à Lima, lors de la confirmation de la victoire de la candidature Paris 2024 risquent fort d’être de courte durée. Mais ça aussi, ce n’est plus un secret pour grand-monde.
Barnabé Binctin
En photo : vue de la ligne d’arrivée du cyclisme sur route, sur les Champs Elysées