Documentaire

Le combat d’un pêcheur traditionnel pour une autre Europe

Documentaire

par Les lucioles du doc

John O’Brien, pêcheur de l’île d’Inishbofin, au large de la côte ouest irlandaise, se bat pour continuer à pêcher à la manière de ses ancêtres. Alors que la législation européenne contre la surpêche menace la seule ressource de l’île, il porte pour la première fois la voix des pêcheurs insulaires jusqu’aux plus hautes instances politiques. Loïc Jourdain a filmé pendant huit ans cette lutte de David contre Goliath, racontée dans le documentaire Des lois et des hommes. Chronique par l’association Les Lucioles du Doc.

C’est une trajectoire exceptionnelle que celle de John O’Brien, petit pêcheur irlandais qui défend la pêche traditionnelle face au lobby des gros chalutiers en interpellant les technocrates de son pays et de Bruxelles. Le natif d’Inishbofin, en Irlande, réussit à mobiliser les pêcheurs de son île et des îles voisines, qui souffrent des règles drastiques contre une surpêche dont ils ne sont pas responsables. On vogue ensuite avec lui au cœur des pouvoirs irlandais et bruxellois. Le pêcheur doit y peaufiner sa stratégie pour convaincre et rallier à sa cause. Sans jamais perdre sa simplicité, il s’y emploie brillamment, rencontrant d’autres pêcheurs insulaires européens et des écologistes.

La proximité avec le personnage permet au spectateur du documentaire Des lois et des hommes, qui sort le 11 octobre prochain au cinéma, de comprendre ce qui se joue entre ces différentes échelles. Par le regard de John O’Brien, on découvre les travers de la Commission européenne, si focalisée par les règlementations qu’elle en oublie l’essentiel : la réalité et les spécificités du terrain. Une remarque de John illustre à merveille cette caractéristique : « D’abord l’Europe a financé d’énormes chalutiers et maintenant, voyant l’étendue des dégâts, elle essaie d’arrêter la surpêche comme elle peut. »

Car un regard global ne suffit pas pour voir l’absurdité des conséquences de cette régulation, à l’échelle locale. Après l’interdiction de la pêche du saumon en 2007, les insulaires sont forcés de pêcher intensivement le hareng, qui se raréfie à son tour, puis le crabe, qu’ils sont forcés d’exporter jusqu’en Chine. Une pratique intensive à l’opposé des habitudes de leurs ancêtres, en harmonie avec leur environnement. « Maintenant, je demande à mes fils de faire ce qu’on nous a appris à ne pas faire : pêcher une seule espèce, jusqu’à sa disparition. Mon grand-père doit se retourner dans sa tombe », se désole le natif d’Inishbofin. Il le répète à maintes reprises : les pêcheurs de son île ont toujours respecté les cycles de reproduction des espèces, pêchant en fonction des saisons, pour préserver cette ressource indispensable. L’être humain n’est pas l’ennemi de la nature et les habitants d’Inishbofin nous proposent une autre manière d’envisager l’écologie : non plus préserver la nature en soi, pour elle-même, mais protéger l’équilibre qui permet la vie de tous les êtres qui se partagent un territoire.

Sans pêche, les îles se dépeuplent et, comme les saumons, c’est la culture insulaire qui disparaît. Guidé par la voix du pêcheur irlandais, le spectateur découvre de l’intérieur cette communauté et ses traditions où fêtes et rites religieux s’organisent autour de la mer. Le choix très fort de la voix off de John O’Brien, omniprésente, au timbre calme, cadencée comme le flux et le reflux, nous amène à penser l’importance d’une parole à la fois individuelle et collective. La parole de ceux qui n’ont pas l’habitude de parler, de résister, d’être entendus. John O’Brien fait entendre et connaître sa culture dans les institutions pour prouver en quoi il faut la préserver. L’esthétique du documentaire apporte un soutien inconditionnel à sa démonstration. De la langue gaélique très présente à la musique traditionnelle, en passant par de longs plans montrant la pêche au crabe ou les paysages insulaires, difficile de ne pas être touché par l’authenticité de ce microcosme et la justesse de son combat.

Des lois et des hommes frappe par sa portée politique. Critique de la globalisation, Loïc Jourdain veut montrer une autre voie : le respect de l’écologie mais aussi de l’humain et de ses traditions, sans tomber dans une dérive passéiste. S’il faut préserver l’héritage, c’est parce qu’il est la clé d’un avenir durable tant pour les hommes que la faune, où l’équilibre reviendrait.

Des lois et des hommes, sortie nationale le 11 octobre 2017

Documentaire de 106 minutes
Réalisation : Loïc Jourdain
Production  : Lugh Films
Coproduction  : Idée originale (France), South Wind Blows LTD (Irlande), France 3 Corse Via Stella, Production France 3 & The Irish Film Board
Distribution : Ubuntu Culture & Docks 66

Plus d’informations sur le film : le site Internet.


Les Lucioles du Doc

Ces chroniques mensuelles publiées par Basta! sont réalisées par le collectif des Lucioles du Doc, une association qui travaille autour du cinéma documentaire, à travers sa diffusion et l’organisation d’ateliers de réalisation auprès d’un large public, afin de mettre en place des espaces d’éducation populaire politique. Voir le site internet de l’association.