Immigration

Anciens sans-papiers et demandeurs d’asile, ils sont devenus élus de la République

Immigration

par Solenne Durox

La France les a accueillis, pas toujours à bras ouverts. Citoyens engagés auprès des sans-voix et des plus vulnérables, Soulé N’gaidé, Anzoumane Sissoko et Régine Komokoli ont un jour décidé de se soumettre au suffrage des électeurs. Et ils ont gagné.

« Comme vous pouvez le remarquer, d’après mon teint et mon accent, je ne viens ni du Finistère ni même d’Ille-et-Vilaine. Je viens de la République centrafricaine. Je l’ai quitté dès que j’ai pu. » Le discours ne faisait qu’une page, mais Régine Komokoli l’a conservé et s’en souvient encore. C’est le premier qu’elle a prononcé devant les militants d’Europe écologie les Verts alors qu’elle ambitionnait d’intégrer leur liste aux élections municipales à Rennes (Ille-et-Vilaine). C’était en 2020. « J’ai mis dix jours à le corriger et recorriger, se remémore-t-elle. Comme je vivais dans une seule pièce avec mes enfants, je sortais discrètement pour le répéter dans les escaliers. »

Un an plus tard, la quadragénaire était finalement élue conseillère départementale d’Ille-et-Vilaine, déléguée à la protection maternelle et infantile, à la petite enfance et à la parentalité, damant le pion à un ténor de la majorité socialiste. « Femme noire, inconnue, avec un passé de migrante sans papiers, je n’avais aucune chance », observe Régine, ravie d’avoir créé la surprise. Elle en éprouve une certaine fierté au regard du chemin parcouru et des nombreuses épreuves rencontrées. Avant d’arriver en France à l’âge de 19 ans, Régine a connu la guerre en Centrafrique.

Des citoyens engagés

Soulé N’gaidé et Anzoumane Sissoko ont eux aussi quitté leur pays, la Mauritanie pour l’un et le Mali pour l’autre. Arrivé en France en 2000, le premier est aujourd’hui adjoint au maire des Ulis (Essonne), chargé de la cohésion sociale et de l’accès aux droits. Il s’agit de son premier mandat, à l’instar d’Anzoumane, adjoint au maire du 18e arrondissement de Paris, chargé des solidarités internationales et des parcours d’accueil.

Citoyens engagés, ils sont entrés en politique sans en avoir jamais rêvé, sans vraiment y avoir songé. « On a toujours le syndrome de l’imposteur quand on vient de l’étranger. On croit qu’on n’est pas légitime. Je pense pourtant que c’est important d’oser », explique Soulé N’Gaidé, qui est aussi juriste, spécialisé en droit des étrangers.

« Femme noire, inconnue, avec un passé de sans papiers, je n'avais aucune chance». Régine Komokoli est désormais conseillère départementale d'Ille-et-Vilaine (élue sur la liste écologiste), et envisage de se présenter aux élections européennes.
Régine Komokoli
« Femme noire, inconnue, avec un passé de sans-papiers, je n’avais aucune chance. » Régine Komokoli est désormais conseillère départementale d’Ille-et-Vilaine (élue sur la liste écologiste), et envisage de se présenter aux élections européennes.
© Solenne Durox

Il le reconnaît pourtant, jamais il n’aurait accepté de rejoindre une liste aux dernières municipales si elle n’avait pas été conduite par le maire actuel, Clovis Cassan (PS), un ami qui a longtemps milité à ses côtés. « Il m’a souvent accompagné dans des tribunaux pour défendre des personnes étrangères, dans des manifestations aussi. C’est un homme qui a des principes et des valeurs. J’ai dit oui parce que c’était lui. D’autres sont venus me voir avec la même demande, mais j’avais refusé. » Devenir élu, oui, mais pas à n’importe quel prix. « Pendant longtemps, les personnes issues de l’immigration ont été une caution pour certaines formations politiques. Je ne voulais pas en faire partie. »

Alors qu’il était encore étudiant au Maroc, Soulé était responsable d’une cellule clandestine d’une association de respect des droits de l’homme. Il écrivait des articles sur la violation des droits humains en Mauritanie, ce qui lui a valu d’être menacé par le gouvernement. Seule solution : l’exil. En France, sa demande d’asile a été acceptée au bout d’un an « car j’ai pu prouver que j’étais persécuté en raison de mes opinions politiques ».

Après un master des droits de l’homme à Lyon, le juriste a travaillé à Emmaüs, la Ligue des droits de l’Homme, la Cimade et SOS racisme entre autres. Aux Ulis, il a supervisé la création du Conseil des résidents étrangers. « L’idée était de les faire participer à la vie de la cité en tant que citoyens même s’ils n’avaient pas le droit de vote », explique-t-il.

Défense des sans voix

Le parcours d’Anzoumane Sissoko est aussi marqué par la défense des sans-voix et des laissés pour compte. Cet agent d’entretien au marché couvert des Enfants rouges de Paris est aussi le porte-parole de la coordination des sans-papiers dans la capitale depuis 2004. « Je suis arrivé en France en 1993 en plein débat sur l’immigration alors que le gouvernement réformait le droit de la nationalité française (avec les lois Pasqua sur l’immigration notamment, ndlr). J’avais 28 ans », se souvient Anzoumane.

Au Mali, sa famille, des agriculteurs, était éprouvée par les sécheresses. « On avait du mal à avoir notre ration alimentaire alors, comme j’étais le seul qui parlait français, j’ai été envoyé en Europe pour aider financièrement les autres », raconte-t-il. Alors que sa demande d’asile est rejetée, il trouve rapidement du travail comme manutentionnaire, mais, faute de papiers, il peine à se loger.

En 2001, il est arrêté et incarcéré à la prison de la Santé pendant deux mois. C’est en sortant qu’il décide de s’investir pleinement dans la lutte des sans-papiers en menant notamment des occupations d’églises, de mairies, de gymnases et même de la Bourse du travail durant 14 mois. Régularisé en 2006, il choisit de continuer à aider ses camarades.

Même si les Verts, engagés dans la lutte en faveur des sans-papiers, n’étaient pas des inconnus pour lui, Anzoumane avoue avoir été surpris quand ils lui ont proposé de rejoindre leur liste dans le 18e arrondissement. « D’autant plus que j’étais en position éligible, ce qui est rare », précise-t-il. Jamais, néanmoins, il n’aurait accepté sans la bénédiction de ses camarades de la coordination. « Je donnerai toujours la priorité à mon combat pour les sans-papiers », insiste-t-il.

« J'ai pu prouver que j'étais persécuté en raison de mes opinions politiques ». militant des droits humains, Soulé N'gaidé a dû fuir la Mauritanie puis le Maroc pour s'exiler en France. Il est désormais maire-adjoint des Ulis (Essonne).
Soulé N’gaidé
« J’ai pu prouver que j’étais persécuté en raison de mes opinions politiques. » Militant des droits humains, Soulé N’gaidé a dû fuir la Mauritanie puis le Maroc pour s’exiler en France. Il est désormais maire-adjoint des Ulis (Essonne).
DR

Contrairement à Anzoumane et Soulé, personne n’est venu chercher Régine Komokoli. « Un jour, un élu écologiste est passé dans notre quartier. Il cherchait à recruter une personne issue de la communauté marocaine pour figurer sur leur liste. Je ne correspondais pas au profil, mais ça m’intéressait. Je savais que la campagne serait l’opportunité de passer mes messages, notamment autour de la violence faite aux femmes », expose-t-elle. Le sujet lui tenait à cœur et pour cause !

En arrivant en France, Régine a été exploitée par un réseau de prostitution contre son gré. Après avoir appris le français et obtenu un diplôme d’aide-soignante, elle a de nouveau été victime de violences, cette fois-ci de la part de son conjoint alors qu’elle était enceinte. Quitter le domicile conjugal avec ses enfants, se retrouver à la rue, dormir à l’hôtel ou dans sa voiture… Rien ne lui aura été épargné.

Le soir où elle décide de pousser la porte d’une réunion du parti EELV local, la discussion porte ironiquement sur les privilèges. On la remarque. « Je parie que quand vous m’avez vu arriver, vous vous êtes dit que la femme de ménage était en avance, lance-t-elle à l’assistance. J’ai précisé que c’était une plaisanterie, mais ils étaient tous gênés. » Régine annonce tout de go vouloir devenir maire de Rennes. « Je pensais que c’était possible à l’époque, glisse-t-elle malicieusement. Ils ont bien rigolé et m’ont expliqué comment ça se passait en réalité. »

L’ambition de devenir député

À force d’implication et de persévérance, Régine intègre la liste qui obtient la majorité des voix aux élections municipales, mais seulement en position non éligible. Un an après, elle se présente aux départementales. Elle dit aujourd’hui que son parti n’était pas convaincu. « Pour eux, c’était trop tôt, je n’avais pas fait mes preuves, c’était ingagnable. » Sauf que Régine ne veut pas attendre, alors elle prend le risque d’investir toutes ses maigres économies pour faire campagne. Et gagne.

« J’ai le sentiment qu’on ne m’a pas fait confiance et même une fois élue, on m’a dit que j’avais sauté les étapes, que je n’avais pas fait Sciences Po, que je ne m’exprimais pas assez bien en français, qu’avec mon accent, il ne valait mieux pas participer à un débat télé, que c’était pour me protéger », critique-t-elle aussi. Au bout d’un an de mandat au conseil départemental, Régine a préféré quitter son parti pour faire cavalière seule. « Il y a eu finalement plus de barrières en interne qu’en externe. C’est difficile à comprendre surtout dans une famille de gauche où on prône l’ouverture et la diversité », dit l’élue.

En tant qu’élue, la Rennaise a pourtant le sentiment de faire avancer les choses. Par sa simple présence, en tant que femme noire, ancienne migrante, au sein de l’assemblée départementale, mais aussi parce que son expérience personnelle nourrit sa mission et fait progresser les services du département. « Il n’y a pas une journée où je ne suis pas confrontée à une situation que j’ai moi-même vécue », remarque-t-elle. La conseillère se voit volontiers comme une pionnière espérant ouvrir la voie à d’autres comme elle. « Cela m’oblige et me rend meilleure au quotidien », assure-t-elle.

Soulé Ngaidé, lui, ne se voit pas vraiment comme un exemple ou un quelconque symbole. Il ne pense pas non plus que son élection ait changé la manière dont les autres le perçoivent. « Dans ma ville, je suis toujours celui qui rend des services et aide les personnes en situation irrégulière », souligne-t-il. Tout à la fois militant et élu, cette double casquette lui va comme un gant. « Grâce à cela, je me rends compte que je peux agir deux fois mieux sur les choses. »

Anzoumane Sissoko, lui, reste plus mesuré quant à sa capacité à peser sur les débats dans le 18e arrondissement. « À mi-mandat, je considère qu’il n’y a pas eu de vraie avancée. Et même si ma voix compte peu, relativise-t-il, je sais que c’est important d’être là même si j’ai l’impression qu’il y a de plus en plus de gens qui sont anti-migrants. » Il ajoute : « Avec la loi asile et immigration, on ne s’attaque plus seulement aux sans-papiers, mais aussi aux personnes en situation régulière en restreignant leur accès aux droits sociaux. C’est du racisme . »

L’Assemblée nationale débat actuellement d’une nouvelle loi sur l’immigration, la dixième depuis qu’Anzoumane est arrivé en France en 1993 (et près d’une cinquantaine d’autres textes, décrets ou circulaires sur le sujet).

Alors que l’âge de la retraite approche, Anzoumane ne prévoit pas de rempiler à la fin de son mandat. Non encarté, Soulé Ngaidé n’exclut pas un jour de tenter la députation, un moyen de faire voter des lois et de défendre les droits des immigrés. « Ce serait la première fois qu’un Mauritanien deviendrait député en France. Un beau challenge. » Régine Komokoli se prend parfois à rêver de siéger à Bruxelles en tant qu’eurodéputée. Et qu’on ne lui dise pas que c’est impossible. « C’est une phrase que je ne comprends pas », sourit-elle.

Solenne Durox

Photo de Une : Soulé Ngaidé, maire-adjoint des Ulis (Essonne) / © Ville des Ulis

P.-S.

Droit de réponse d’Olwen Dennes, conseiller départemental d’Ille-et-Vilaine, délégué à la politique de la ville, co-président du groupe écologiste, fédéraliste et citoyen, au nom du groupe écologiste, fédéraliste et citoyen : En tant que groupe d’élues et militantes mises en cause dans le cadre de la campagne électorale des départementales de 2021 en Ille-et-Vilaine mais aussi dans l’exercice de notre mandat depuis, nous tenions à répondre à certains propos mis en avant dans les paragraphes concernant Régine Komokoli. Dans une première version de l’article, il était écrit que notre collègue s’était présentée contre l’avis de notre mouvement, alors qu’elle a candidaté et fait campagne en binôme avec un militant écologiste sous les couleurs et avec les logos écologistes. Nous sommes heureux de voir que cette partie a été modifiée. Il est aussi rapporté que nous aurions empêché notre collègue de participer à un débat télévisé à la suite de son élection à cause de son accent. Nous démentons formellement ces propos. À notre connaissance, les seuls débats télévisés proposés aux élu.es de notre groupe ont été trois différents débats cantonaux dans le cadre du second tour des élections de 2021, que nous avons tous refusés. Pour les élections municipales de 2020 comme pour toutes les autres élections, les écologistes rennais n’ont jamais cherché à faire de la figuration communautaire, nous réfutons donc également les propos cités dans l’article. Enfin, nous regrettons très sincèrement que Régine Komokoli ait préféré un exercice du mandat solitaire plutôt qu’au sein d’un collectif d’élues au travail.