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« J’habite près de Reims. Ma femme est décédée le 29 mars 2020 du Covid. Le 23 mars à 23 heures, elle est montée à 38,5°C de température. Elle était diabétique de type 1 et sa glycémie était à 3 grammes 85. Je lui ai donné du Doliprane et je lui ai fait une injection d’insuline rapide pour faire descendre sa glycémie. Je vivais avec elle depuis 45 ans, donc le diabète, je le connaissais assez bien. Quand on a refait le contrôle deux heures plus tard, la fièvre avait augmenté et sa glycémie était à 5 grammes. Après une injection d’insuline rapide, j’ai appelé le SAMU qui nous a immédiatement envoyé une ambulance. Les ambulanciers l’ont mise dans une chaise roulante et l’ont emmenée. Elle m’a fait un petit coucou de la main et puis je ne l’ai plus jamais revue vivante. Pas même dans la housse mortuaire. Privé de la totalité du rite funéraire permettant l’accompagnement du défunt, psychologiquement nécessaire et important pour la famille.
Ils lui ont fait un test Covid qui est revenu positif et son état s’est dégradé très rapidement. Elle s’est retrouvée dans une unité Covid sous coma artificiel, curare et respirateur. Elle est décédée quelques jours après, elle avait 66 ans. Je n’ai pas pu aller la voir à l’hôpital en raison des protocoles très stricts, ce qu’on peut comprendre, mais ayant laissé la place à une inhumanité inacceptable. Mes relations avec le personnel de l’hôpital étaient très bonnes : ils m’appelaient tous les jours vers 17 heures, ils me faisaient un petit point de la situation. Ça s’est franchement très bien passé, les équipes soignantes se sont très bien occupées de mon épouse.
Que s’est-il passé ensuite ?
Une fois qu’elle est décédée, elle s’est retrouvée dans un « sac poubelle de luxe » qu’on appelle une « housse mortuaire ». Nue, aucun soin mortuaire et puis mise dans un cercueil scellé et hermétique le plus rapidement possible. C’est tout cela qui a été très difficile à vivre après, parce qu’on n’a pas pu faire d’accompagnement de nos défunts. Les protocoles ont depuis peu été un peu assouplis, notamment sur les mises en bière. Il y a des établissements qui mettent un peu d’humanité dans leur organisation. Cependant, dans certains établissements hospitaliers, publics ou privés, j’ai l’impression qu’il n’y a pas de connaissance des dernières règles en vigueur : on assiste à des situations dures pour les proches, avec un manque d’humanité complet, même encore maintenant.
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– « On peut pousser son chariot au supermarché, mais on ne peut pas accompagner le cercueil de sa mère » (14 avril 2020)
– « Je ne sais pas comment on en est arrivé là : mettre les cendres des morts dans des sacs plastiques » (20 avril 2020)
Comment s’est déroulé son enterrement ?
On n’a pas pu aller au funérarium ni au crématorium qui étaient, comme tous les autres, fermés et confinés. Tout nous a été interdit. Mais elle a pu avoir une cérémonie religieuse, sous certaines conditions : vingt personnes maximum, y compris le personnel des pompes funèbres et officiants. Il y avait des distances d’un mètre minimum entre chaque personne, auxquels s’ajoutaient tous les protocoles de l’époque : interdiction de mettre des fleurs, interdiction de bénir le cercueil et interdiction de toucher le cercueil. La cérémonie religieuse puis la dispersion de ses cendres au cimetière ont eu lieu le 3 avril. Il y avait juste la famille, soit neuf personnes dont ma fille et moi. On n’a même pas pu s’embrasser à la sortie de l’église. La cérémonie a duré une demi-heure, le cercueil a été chargé dans la voiture, elle est partie au crématorium et nous, on est resté sur le parvis de la petite église de ma commune... comme des imbéciles. Puis, chacun est reparti chez soi. La situation a beaucoup affecté mon deuil. Il y a toujours quelque chose à l’intérieur de moi qui est brisé. On m’a volé un moment de ma vie que personne ne pourra jamais me rendre parce que c’est passé. C’est très dur.
C’est cette situation qui vous a conduit à créer une association ?
J’étais en colère que ma femme soit décédée du virus, de l’impréparation des services de l’État, des conditions dans lesquelles ça s’est passé et surtout des protocoles mis en place nous interdisant de voir nos défunts. J’ai donc créé l’association « Victimes du Covid-19 » et sa page Facebook en mai 2020. Je me suis dit que je n’étais sûrement pas le seul dans cette situation et qu’il fallait impérativement que les familles puissent trouver un lieu d’expression où écrire cette douleur qu’on ne pouvait exprimer nulle part. Ça libère la parole et ça fait beaucoup de bien aux personnes, du point de vue psychologique, de pouvoir échanger. Parce qu’à l’époque, au niveau des médias, les familles n’étaient pas la priorité.
J’ai aussi créé une pétition en ligne en avril 2020. Vu les circonstances dans lesquelles nos proches étaient partis sans aucune dignité, sans aucun respect, sans aucune considération, on s’est orientés vers l’instauration d’une journée de deuil national. J’ai écrit au président de la République, au Premier ministre. Accorder cette journée de deuil national, c’est faire reconnaître par la nation que toutes ces personnes sont parties dans des conditions inacceptables. C’est leur redonner la dignité humaine, le respect et la considération qui leur ont manqué.
Vous avez déposé plainte suite à ce qu’il s’est passé ?
J’ai fait un dépôt de plainte à titre privé concernant le décès de mon épouse. Cette plainte n’est pas contre les dirigeants de l’époque qui, pour certains, sont toujours là. J’ai fait le choix d’une plainte contre l’État pour non mise à disposition des moyens nécessaires et non application des règles pour éviter qu’on ait plus de décès.
Avec le recul, puisqu’il n’y a pas eu de levée de corps, je me demande si ce sont bien les cendres de mon épouse que j’ai répandues au cimetière. On n’a pas eu le droit de voir son visage. La philosophe Marie de Hennezel a écrit un livre il y a quelque mois, L’Adieu interdit. Elle traite dans un chapitre de cet adieu au visage qui permet, justement, d’accompagner le défunt mais aussi les familles. Ça permet de se projeter dans le deuil.
Ce qui me met en colère, aussi, c’est que les hôpitaux sont dépossédés de leurs moyens depuis des années. Je l’ai d’ailleurs écrit le jour même du décès de mon épouse dans un courrier de trois pages envoyées aux députés et sénateurs de la Marne. J’ai aussi écrit à nos élus que si l’hôpital était dans cet état au moment de cette crise du Covid, c’était la responsabilité des politiques du monde d’avant, quels que soient les partis, et reconduites par nos dirigeants actuels. Le manque de personnel et de matériel, les chambres fermées... Le Covid n’a fait que mettre en évidence toutes ces défaillances. J’espère qu’on saura tirer les leçons de cette première vague pour mettre en place les bonnes dispositions et les bons protocoles pour qu’à l’avenir, nous soyons beaucoup plus réactifs dans tous les domaines si nouvelle pandémie il y a. »
Thalia Creac’h
|Précisions émises par l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris sur les protocoles de visite aux patients :
Interdiction de visites :
– Pour les « personnes présentant des signes de toux, fièvre, rhume, perte du goût ou de l’odorat » ;
– Pour les « personnes contacts Covid-19 » ;
– Pour les « patients atteints de Covid-19 » — « sauf circonstances exceptionnelles (notamment situation de fin de vie, difficultés psychologiques majeures du patient, situation particulière d’un enfant mineur) et dans ce cas, dans un encadrement fixé par l’équipe soignante. »
« L’apparition de cas confirmés de covid-19 au sein d’une unité de soins peut conduire à l’interruption des visites dans l’unité, sous réserve des cas de dérogations prévus par les consignes et recommandations ci-dessus mentionnées ».|
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