Accord de libre échange : « Nous avons besoin d’un débat sur l’avenir de la mondialisation »

par collectif

Le Sénat s’est prononcé contre le CETA, accord de libéralisation du commerce entre l’Europe et le Canada. Alors qu’Emmanuel Macron rechigne à inscrire ce projet de loi de ratification à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, 40 organisations l’interpellent ici.

Le 21 mars dernier, une très large majorité s’est dégagée au Sénat contre le projet de loi de ratification du Ceta cet accord de libéralisation du commerce et de l’investissement entre l’Union européenne et le Canada. Nous nous félicitons tant du résultat que du fait qu’un débat et un vote aient pu enfin avoir lieu au Sénat : alors que votre gouvernement avait présenté ce projet de loi en « procédure accélérée » à l’Assemblée nationale au cœur de l’été 2019, il avait depuis refusé, sans justification valable, de l’inscrire à l’ordre du jour du Sénat.

Nous attendons donc de votre gouvernement que ce projet de loi de ratification soit dans les plus brefs délais transmis à l’Assemblée nationale et inscrit à l’ordre du jour de celle-ci. De nouvelles manœuvres dilatoires priveraient tant la représentation nationale que le pays entier d’un débat nécessaire sur le Ceta Toutes les études d’opinion le montrent : il n’y a plus de majorité dans la population de ce pays pour étendre cette mondialisation déloyale et ratifier de nouveaux accords de libre-échange nocifs pour la planète et les populations.

Raison pour laquelle nous vous demandons de :
 prendre acte de cette nouvelle situation
 faire inscrire le projet de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale dans les plus brefs délais
 suspendre l’application provisoire du CETA, qui n’a manifestement ni le soutien politique ni le soutien populaire nécessaire.

Besoin d’un débat nourri

Conclu en 2016, le Ceta n’est toujours pas pleinement ratifié, ni en France ni au sein de l’UE, huit ans plus tard. La partie commerciale de l’accord, soit environ 90% du texte, est pourtant entrée en application provisoire dès septembre 2017, sans que les parlementaires nationaux n’aient été consultées à ce sujet.

Or cette partie du texte prétendument de « compétence européenne » dépasse largement le seul cadre commercial, notamment en raison des implications sociales et environnementales que peuvent avoir les décisions prises dans les multiples comités de suivi en matière de normes et d’application de celles-ci.

La France fait partie des dix États-membres de l’UE qui n’ont toujours pas pleinement ratifié le Ceta. Le contexte actuel de crise agricole devrait nous permettre de compter sur vous.

Malheureusement, les propos du Premier ministre Gabriel Attal se satisfaisant de la poursuite de l’application provisoire, de la tête de liste de la majorité présidentielle Valérie Hayer affirmant que le Ceta continuerait à s’appliquer quoi qu’il en coûte, et de ceux du ministre Franck Riester refusant d’inscrire le Ceta à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale contribuent à rabaisser la représentation nationale et donnent à voir le très faible niveau démocratique de la vie politique française. De tels propos et pratiques ne peuvent qu’éloigner les électrices et électeurs des urnes et favoriser la montée des partis d’extrême droite ennemis de la République et de la démocratie.

Nous avons au contraire besoin d’un débat nourri et de qualité sur l’avenir de la mondialisation et surtout sur la façon de faire évoluer la politique commerciale de l’Union européenne, et donc de la France, afin qu’elle ne soit plus au détriment des droits des populations et de la planète. Le plus tôt sera le mieux, y compris pour alimenter les échéances électorales européennes d’un débat parfaitement légitime, justifié et approprié.

Réalité des effets et des risques

Agiter quelques chiffres bien choisis pour illustrer des opportunités commerciales largement surévaluées ne rend pas compte de la réalité des effets et des risques d’un tel accord de libéralisation du commerce et de l’investissement sur le long terme. Permettez-nous d’en rappeler quelques-uns :

 Normes agricoles moins restrictives au Canada : les normes négociées entre l’UE et le Canada sont moins restrictives que celles imposées aux agriculteurrices françaises, créant un déséquilibre inacceptable. Le Canada par exemple utilise toujours plus de 40 molécules de pesticides interdites dans l’UE, certaines farines animales et des antibiotiques activateurs de croissance, interdits d’utilisation dans l’UE, et l’importation de ces produits n’est toujours pas interdite.

 Déstabilisation des filières locales : la mise en concurrence de systèmes productifs nationaux exerce nécessairement une pression à la baisse sur les prix agricoles et les normes des deux côtés de l’Atlantique.

 Justice d’exception pour les multinationales : le mécanisme de règlement des différends investisseur-État, bien que modifié, reste une menace pour la capacité et la liberté démocratique des États et de l’UE à réguler dans l’intérêt public.

 Menace pour la démocratie : les mécanismes de coopération règlementaire, assortis de la dizaine de comités thématiques, et de règlement des différends investisseur-État donnent aux entreprises un pouvoir disproportionné sur les politiques publiques, au détriment du pouvoir des parlementaires.

 Impacts sur le climat : les dispositions du Ceta ne fournissent pas une protection adéquate contre les impacts négatifs d’un tel accord sur le climat, et le prétendu « Veto climatique » ne résout pas la question.

Inscrire le Ceta à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et en suspendre l’application provisoire ne signifie pas s’isoler et mettre fin au commerce transatlantique entre l’UE et le Canada, pas plus qu’isoler la France en Europe. C’est au contraire ouvrir les conditions de possibilité d’une remise à plat de la politique commerciale européenne.

Celle-ci ne doit pas continuer à faire de l’agriculture une monnaie d’échange, au détriment des agriculteurs et agricultrices, de la qualité de notre alimentation, de nos écosystèmes ou de notre souveraineté alimentaire. Nous devons pouvoir décider des règles que nous voulons dans l’UE, sans en être empêchées par ces accords et/ou être menacées d’être attaquées par des entreprises multinationales. Et il en va de votre responsabilité.

 Retrouver sur le site du collectif Stop CETA/ Mercosur toutes les organisations signataires

Photo de une : mobilisation en Allemagne contre le CETA, en 2014/CC BY-SA 2.0 Mehr Demokratie e.V..