La pression des associations et des parlementaires aura fini par faire plier le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire qui refusait de suspendre la mise sur le marché du E171, un additif alimentaire très controversé. Le 2 octobre dernier, l’Assemblée nationale avait pourtant voté la suspension de la mise sur le marché de cet additif ainsi que des denrées alimentaires en contenant [1]. Vous avez peut-être déjà repéré la mention du « E171 » sur des produits alimentaires : il s’agit de dioxyde de titane. Particulièrement présent dans les sucreries destinées aux enfants, il sert à améliorer l’aspect du produit en lui donnant une blancheur immaculée ou en faisant briller bonbons et glaçages.
Problème : le dioxyde de titane contient des particules d’un diamètre moyen de 100 à 130 nanomètres qui, selon l’association Agir pour l’environnement, « ont la capacité de franchir les barrières physiologiques (intestins, cerveau, reins…), de pénétrer dans l’organisme et de s’y accumuler » (notre précédent article). Pour le journaliste Roger Lenglet, il s’agit d’une « bombe sanitaire » dans la mesure où ces particules peuvent avoir des effets mutagènes, cytotoxiques (toxique pour les cellules), cancérigènes, voire même neurotoxiques (notre entretien). Or, les enfants sont en première ligne : ils ingurgiteraient deux à quatre fois plus de titane que les adultes du fait de leur consommation de sucreries.
« Si incertitudes il y a, à qui doivent-elles profiter ? A l’industrie agroalimentaire ou à la santé publique ? »
En vertu du Code de la Consommation, le ministère de l’Économie est le seul à pouvoir rédiger un arrêté pour suspendre l’utilisation du dioxyde de titane dans les produits alimentaires. Une fois la loi parue, des associations comme Avicenn tentent d’en savoir plus sur le calendrier du contenu de l’arrêté. Les associations déchantent rapidement : le 26 novembre 2018, lors d’un comité de dialogue sur le thème des nanotechnologies et de la santé, la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, relevant du ministère de l’Économie) indique qu’elle n’a pas l’intention à ce stade de rédiger l’arrêté d’application de la suspension du E171, au motif que les preuves de « danger grave ou immédiat » n’ont pas encore été apportées.
Cette information est confirmée par le ministre lui-même le 8 janvier 2019 dans l’émission « C à vous » sur France 5. Bruno Le Maire invoque des « évaluations différentes » quant à la « dangerosité potentielle du produit ». Les nanoparticules de dioxyde de titane sont pourtant classées comme « cancérigène probable » pour l’être humain depuis 2006 par le Centre international de recherche sur le cancer. « Si incertitudes il y a, à qui doivent-elles profiter ? A l’industrie agroalimentaire ou à la santé publique ? », dénoncent 22 organisations dans une tribune.
La suspension du dioxyde de titane dans l’alimentation reportée à mi-avril
Suite à l’annonce de Bruno Le Maire de ne pas suspendre le E171, les réactions pleuvent. Matthieu Orphelin, député de la majorité La République en marche, rappelle que la loi votée en octobre 2018 « doit être appliquée ». « Le parlement a pris une décision concernant cet additif, en connaissance de cause. Il n’est pas acceptable que cela soit remis en cause », confirme Sandrine Le Feur, également députée LREM. « Peut on avoir le nom des lobbys du E171 qui nous gouvernent ? », interpelle la députée Delphine Batho, présidente de Génération écologie. Face au tollé, le ministre de l’Économie reçoit plusieurs associations le 11 janvier et revient sur sa position en « [réaffirmant] sa volonté d’interdire l’E171 ».
Le ministère précise dans un communiqué qu’il demande à l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation) de rendre les résultats « de ses travaux sur les nanoparticules sur le volet TiO2 (dioxyde de titane, ndlr) pour le 15 avril », « afin de réunir les conditions juridiques nécessaires à cette interdiction ». C’est sur la base de ce rapport que le ministère s’engage à saisir la Commission européenne et à exercer « son droit de sauvegarde en prenant une décision unilatérale d’interdiction de l’E171 ». Ce délai supplémentaire de trois mois, regretté par les associations, est aussi critiqué par Loïc Prud’homme, député de la France insoumise, qui a annoncé le 15 janvier avoir saisi le Conseil d’État afin que les décrets d’application soient pris dès maintenant. En attendant la suspension officielle, le site Infonano.org recense les produits alimentaires contenant le E171, du chewing-gum aux sucettes.
Photo : mobilisation des associations le 11 janvier devant le ministère de l’Economie et des Finances / © Agir pour l’environnement